On pense que cela n’arrive qu’aux autres. Début février, l’un des signataires de la tribune anti-homéopathie, parue dans Le Figaro en 2018, a été condamné à trois mois de suspension d’exercice au motif de " non-confraternité " par la chambre disciplinaire de première instance d’Île-de-France. Face à cette sévérité inédite, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) a néanmoins fait appel de cette décision. Défendant une position inverse sur cette thérapeutique, le Dr Didier Grandgeorge a écopé, en novembre dernier, d’un mois d’interdiction d’exercice pour avoir fait la promotion d’un traitement homéopathique de l’autisme. Une condamnation émanant de la chambre disciplinaire de l’Ordre de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, à la suite d’une plainte formulée en 2018 par le Conseil national. Là encore, l’interdiction qui devait prendre effet au 1er février a été suspendue, à la suite d’un appel du Conseil national estimant, cette fois, que la peine n’était pas assez lourde. Une autre affaire a récemment ému la profession. C’est celle du Dr Jean Méheut-Ferron, médecin généraliste en Normandie [voir sa tribune], interdit d’exercice par la justice en novembre à la suite de sa mise en examen pour avoir administré du midazolam à sept patients en fin de vie.
Dans les affaires de violences sexuelles commises par des médecins, les interdictions d’exercice commencent à être plus systématiques, même si elles sont souvent extrêmement tardives aux yeux des victimes. Ainsi, le Dr Jean-Paul Guittet, psychiatre au Mans, a fait l’objet d’une première suspension de trois mois en octobre 2017, avant d’être radié en septembre de l’année suivante par la chambre disciplinaire de l’Ordre des Pays de la Loire, près de trente ans après les premiers signalements et plaintes contre lui pour des faits de viols et d’agressions sexuelles... On se souvient aussi que l’ancien ministre du Budget, le Dr Jérôme Cahuzac, avait été condamné, en 2014, à six mois d’interdiction d’exercice par l’Ordre des médecins de Paris pour avoir " déconsidéré la profession " en se rendant coupable de fraude fiscale et de blanchiment. Subutex, publicité et déontologie Autant d’affaires qui ont défrayé la chronique mais qui ne sont pas, pour autant, emblématiques de la réalité de l’interdiction d’exercice. En effet, celle-ci est devenue très habituelle dans les affaires de trafics de Subutex, par exemple. Un généraliste du Limousin a ainsi été condamné, en 2017, à dix mois de prison avec sursis et un an d’interdiction d’exercice par le tribunal correctionnel de Limoges pour avoir prescrit de grandes quantités de buprénorphine à ses patients toxicomanes, sans pour autant s’être enrichi lui-même. En réalité, les suspensions les plus fréquentes relèvent de motifs encore plus ordinaires et liés à l’exercice quotidien de la profession. C’est notamment le cas des médecins suspendus pour avoir fait de la publicité, contrevenant ainsi au code de déontologie. Et on se rapproche encore plus du " Dr Tout-le-monde ", avec les suspensions prononcées contre des praticiens à qui sont reprochés des abus d’actes ou de supposés actes fictifs, en raison de leur très forte activité. " Le risque de suspension n’est pas du tout anticipé par les médecins alors qu’il faut avoir conscience qu’un certain nombre de comportements peuvent y exposer ", prévient Fabrice Di Vizio, un avocat qui défend plusieurs praticiens dans des affaires de publicité et de surprescription ou d’activité importante. Deux autorités distinctes et indépendantes Pour ne rien simplifier, les interdictions d’exercice peuvent être prononcées par deux instances judiciaire ou ordinale. " La suspension par l’autorité judiciaire est généralement une peine complémentaire dans le cas d’une infraction pénale, explique Fabrice Di Vizio. C’est notamment très fréquent dans les affaires de fraudes à la Sécurité sociale où un médecin est condamné à une peine d’amende et/ou d’emprisonnement et également à une interdiction d’exercice quand les faits sont suffisamment graves et ont été commis dans le cadre de l’exercice professionnel.
Mais, parfois, l’interdiction d’exercice peut être prononcée avant même toute condamnation pénale alors que le praticien est encore présumé innocent des faits qui lui sont reprochés. " Ce sont des situations très embarrassantes, prévient Me Di Vizio. Le médecin est alors suspendu à titre de sûreté en l’absence de reconnaissance d’une infraction, pour protéger des tiers, à l’image de la détention provisoire. " Si ce médecin est, par la suite, reconnu innocent, il n’aura aucun recours et aucun...
moyen d’être indemnisé pour la perte de revenus qu’il a subie. Il arrive cependant qu’au cours de l’instruction la suspension d’exercice soit levée ou aménagée. " Dans les cas de fraude, il se peut que le médecin soit interdit d’exercer en libéral mais pas en salarié par exemple ", note Fabrice Di Vizio. Dans ces situations, pour avoir une porte de sortie, il peut être utile de rechercher un poste de médecin salarié et de présenter une proposition d’embauche au juge. Pas de remplacement Dans la majorité des cas, les privations du droit d’exercer relèvent d’une décision disciplinaire dès lors que le médecin a commis une faute sur le plan déontologique. Mais qu’il s’agisse d’une suspension par l’autorité judiciaire ou par l’autorité ordinale, le médecin libéral n’aura alors pas le droit de se faire remplacer à son cabinet. " S’il poursuivait son activité malgré l’interdiction, cela constituerait un exercice illégal de la médecine, met en garde le Dr Anne-Marie Trarieux, présidente de la section éthique et déontologie du Cnom. Il est possible de se faire remplacer uniquement lorsque l’interdiction d’exercer est prononcée en raison d’une infirmité ou d’un état pathologique qui va rendre dangereux l’exercice de la médecine, mais pas en cas de faute déontologique. " Cette impossibilité de remplacement a des conséquences économiques d’autant plus importantes que ce n’est pas un risque couvert par les assurances. " Lorsque l’un de nos sociétaires assurés en responsabilité nous fait part d’une procédure qui risque de lui interdire d’exercer ou que cette décision est déjà tombée, il peut demander notre appui pour bénéficier d’une protection juridique, voire exercer en recours, indique Nicolas Gombault, directeur de l’indemnisation et de la communication du groupe MACSF. En revanche, lorsqu’un médecin est sanctionné et interdit d’exercice, les contrats de prévoyance ne peuvent aucunement prévoir d’indemnisation au titre de la perte de revenus. "
Et les patients dans tout cela ? La question de l’offre de soins ne fait pas partie des préoccupations de la justice qui prend ses décisions en toute indépendance. Mais quand un médecin exerçant dans un désert médical est suspendu, c’est entre un et deux milliers de patients qui se retrouvent démunis, du jour au lendemain. Un problème qui ne laisse pas de marbre le Cnom. " Nous avons une réflexion en cours pour prendre en compte les difficultés des patients dans ces situations, indique Anne-Marie Trarieux. Aujourd’hui, le Cnom est à l’écoute, les conseils départementaux tiennent compte des difficultés des territoires, indépendamment de la situation personnelle des médecins concernés, et essayent d’y répondre. " La prochaine révision du code de déontologie médicale devrait être l’occasion de trouver une solution à ce problème.
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