Urgences, télémédecine, retraite... Ce qui vous attend en 2020

03/01/2020 Par Véronique Hunsinger
L’année 2019 aura été très chargée : une loi santé votée en juillet, un projet de loi sur la bioéthique en cours d’examen, deux projets de loi à superviser (les retraites et l’autonomie) mais aussi une demi-douzaine de négociations conventionnelles à gérer et des dizaines de milliers de soignants criant leur épuisement. Sans parler des nombreux scandales sanitaires. L’année 2020 ne sera pas une promenade de santé non plus pour la ministre de la Santé car elle devra à la fois convaincre et donner des réponses concrètes à très court terme pour traduire les réformes lancées. Si la « bonne élève » du gouvernement Philippe a clairement trouvé sa place en politique, rien n’est jamais gagné.
 

Les urgences : regagner la confiance 

Débutée le 18 mars à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), la crise des urgences a touché plus de 250 services hospitaliers. Le 14 novembre, plus de 20 000 professionnels de santé se sont mobilisés partout en France. Divers plans d’urgence ont été annoncés par les pouvoirs publics. La réponse du gouvernement à la crise des urgences, dont l’étincelle a eu lieu au printemps dernier lors d’une grève à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), s’est faite par petits morceaux… au risque d’attiser le mécontentement des personnels. En juillet, une dotation exceptionnelle, jugée symbolique par les grévistes, était débloquée pour les services les plus en difficulté. En septembre, le « pacte de refondation des urgences » n’a pas réussi à convaincre, malgré les 750 millions d’euros de crédits annoncés jusqu’en 2022. En novembre, le plan d’urgence pour l’hôpital public concernait également les services d’urgences. « Qu’il s’agisse du plan pour l’hôpital public ou du pacte de refondation des urgences, ce n’est pas le cap fixé qui est remis en cause par les soignants, a analysé Katia Julienne, directrice générale de l’offre de soins (DGOS) lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) fin novembre dernier. Le message qui nous est adressé est que certains hôpitaux se trouvent dans des difficultés financières trop fortes pour pouvoir participer à cette évolution ». Aujourd’hui, l’enjeu pour le gouvernement est de convaincre la communauté hospitalière avec la mise en place effective des différentes mesures annoncées pour l’année 2020. Ainsi, la reprise par l’État de 10 milliards d’euros de dette des hôpitaux publics devrait permettre de dégager des moyens pour faire mieux fonctionner les services d’urgences sous tension. Mais il faudra attendre le projet de loi prévu au premier semestre 2020 pour en connaître les détails. « La question des urgences n’est pas que parisienne, estime par ailleurs Katia Julienne. Nous savons qu’il y a des points de crispation et des difficultés réelles dans un certain nombre de services. » Mieux s’organiser L’autre réponse à la crise est donc de nature organisationnelle. Le ministère de la Santé mise d’ailleurs sur le futur service d’accès aux soins (SAS) attendu pour l’été, et qui vise à conseiller et orienter la population entre les services d’urgences hospitaliers et la permanence de soins de ville. « L’objectif n’est pas de dire que toutes les réponses à des demandes de soins non programmés doivent être réalisées en ville mais de permettre une régulation qui fera diminuer la charge qui pèse sur les services d’urgences, a précisé la directrice générale de la DGOS. Nous travaillons, par ailleurs, actuellement sur le référentiel métier des assistants de régulation médicale (ARM), qui bénéficient d’une nouvelle prime depuis novembre, pour reconnaître leurs responsabilités. Tout ceci doit permettre de concourir à l’amélioration des conditions de fonctionnement des urgences. » En outre, en attendant le maillage de tout le territoire par des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) dont l’une des missions premières sera de faciliter la permanence des soins, les agences régionales de santé (ARS) financeront, dans les prochains mois, 50 nouvelles maisons médicales de garde (MMG) à proximité des urgences. Enfin, certains petits services d’urgences, à l’activité faible, pourront voir leurs horaires réduits l’année prochaine. Dans les faits, les fermetures partielles se sont multipliées au cours de cette année, bien que légalement impossibles, comme encore récemment au centre hospitalier de Comminges-Pyrénées à Saint-Gaudens (Haute-Garonne). « Ces fermetures étaient décidées sous la contrainte, faute de personnel médical dans un cadre d’exception, explique Katia Julienne. Nous souhaitons que ces pratiques soient encadrées et réfléchies en amont au travers des plans régionaux de santé. » Ainsi, suite aux préconisations...

du député Thomas Mesnier et du Pr Pierre Carli, des antennes de médecine d’urgence pourraient voir le jour en 2020, qui, contrairement aux services d’urgences ouverts 24 heures sur 24, pourraient fermer une partie de la nuit.  

Etudes de santé : Rebâtir l’entrée dans le cursus

C’était l’une des mesures phares du plan « Ma santé 2022 ». Mais si l’annonce de la suppression de la Paces (première année commune des études en santé) et du numerus clausus mis en place en 1971 ont été unanimement saluées, la suite semble aujourd’hui beaucoup plus compliquée à organiser. En novembre, les textes réglementaires enfin parus prévoient la création dès la rentrée prochaine d’une nouvelle première année dans les facultés de médecine, pharmacie, odontologie ou maïeutique – « Parcours spécifique accès santé » – à terme de laquelle les étudiants pourront se diriger, s’ils la réussissent, sans redoublement possible, vers une 2e année dans l’une des filières. Celle-ci pourra également être accessible aux diplômés auxiliaires médicaux et aux diplômés d’autres licences (droit, chimie, lettres, etc.) proposant une option « accès santé ». Les délais pour réaliser ce big bang des études en santé apparaissent aujourd’hui extrêmement justes. La conférence des doyens des facultés de médecine a déjà annoncé craindre de « se trouver acculée à renoncer à mettre en place la réforme pour la rentrée 2020 » en raison également du « déclin de l’hôpital public, et plus particulièrement des centres hospitalo-universitaires, qui se traduit par la vétusté inacceptable des structures, un sous-équipement chronique, un accès de plus en plus retardé aux innovations diagnostiques et thérapeutiques et une dégradation progressive de la formation ». Du côté des étudiants, on commence également à s’interroger. « Fin de la voie d’entrée unique, du bachotage et introduction d’une sélection respectueuse de la diversité des profils et de l’impact humain sur les futurs étudiants, nombre d’objectifs nobles devaient être les piliers de cette réforme, note l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Mais aujourd’hui, l’heure est à la désillusion. » L’association juge, en effet, les textes réglementaires flous et déplorent le manque de moyens financiers. De plus, la suppression du numerus clausus ne marque pas la fin de la sélection à l’entrée de la 2e année de médecine. « On nous promettait une très forte diversification des voies d’entrée possibles mais on voit que les universités n’ont pas l’obligation d’en proposer tant que cela, constate Maxime Tournier, vice-président de l’Anemf, chargé de l’Enseignement supérieur et de la Paces. Il n’y a pas non plus de certitudes que le paradigme de la sélection par QCM va être totalement remis en question. D’autre part, la sélection se fera en deux étapes : la première sur dossier où les universités vont choisir quels éléments de notation elles vont prendre en compte et la seconde à travers au moins deux épreuves orales. On nous dit que les évaluations porteront sur les compétences transversales du candidat. Encore faut-il pouvoir déterminer des indicateurs et former les jurys. Tout cela demande de la logistique et des moyens humains et financiers. » Le flou demeure encore sur le nombre d’étudiants qui pourraient être formés – Agnès Buzyn avait évoqué le chiffre de 20 % supplémentaires – d’autant que celui-ci dépendra d’une discussion entre les universités et les agences régionales de santé en fonction des besoins médicaux des territoires et des capacités de formations des établissements.  

Télémédecine : accélérer le mouvement

 

Objectif : 500 000 téléconsultations en médecine de ville. 90 000 ont été réalisées depuis la mise en application de l’avenant n° 6 à la convention médicale. Un dispositif complété par l’avenant n° 15 à la convention des pharmaciens d’officine et l’avenant n° 6 à celle des infirmières libérales leur permettant d’accompagner les patients lors de la téléconsultation du médecin, contre rémunération.   Sur le papier, les conditions semblent réunies pour que le nombre de téléconsultations commence à augmenter sensiblement en 2020, d’autant que les patients semblent demandeurs, si on en croit le recours aux plateformes de télé-conseil proposées par les assurances complémentaires santé. « Sur le terrain, il y a encore des freins et le cadre proposé par l’avenant n° 6 de la convention médicale est un carcan assez lourd, relative la Dr Lydie Canipel, vice-présidente de la Société française de santé digitale [SFSD, anciennement Société française de télémédecine, NDLR]. En effet, il impose que le patient consulte un médecin généraliste de son territoire. Or dans les déserts médicaux, où il y a des besoins de téléconsultation, les médecins généralistes ne sont pas assez nombreux pour les assurer. » Le second frein semble davantage culturel. « Il y a encore beaucoup de professionnels de santé qui craignent de mal soigner en soignant à distance, constate Lydie Canipel. C’est pourquoi nous proposons des formations à la téléconsultation qui soient des mises en situation réelles pour que le praticien puisse se rendre compte qu’il ne s’agit pas de médecine dégradée. En effet...

la plupart sont prêts à téléconsulter pour des pathologies bénignes mais sont encore très réticents pour leurs patients lourds et chroniques. Or l’un des objectifs de la télémédecine est justement de mettre en place un parcours coordonné pour ces patients en alternant consultations au cabinet et consultations à distance. » Si les débuts sont timides en ville, à l’hôpital, en revanche, la téléconsultation se développe fortement grâce notamment aux organisations des groupements hospitaliers de territoire (GHT).  

Assistants médicaux et IPA : gagner du temps médical

Permettre au médecin généraliste de se recentrer sur son cœur de métier, tel est l’objectif de la création du métier d’assistant médical mais aussi de la déclinaison de la pratique avancée pour les infirmières libérales. Les conditions pratiques sont désormais réunies pour que les assistants médicaux puissent être embauchés dans les cabinets dans les prochains mois. Un avenant à la convention médicale, publié en août dernier, décrit les tâches qu’ils pourront accomplir : de nature administrative (accueil du patient, création et gestion du dossier informatique…) ou d’aide à la consultation (prise de constante, déshabillage des patients, préparation et aide aux actes techniques…). L’avenant prévoit également une aide financière à l’embauche de l’assistant médical : 12 000 euros la première année, 9 000 la deuxième et 7 000 à partir de la troisième. Par ailleurs, un arrêté paru en novembre fixe la liste des diplômes permettant d’exercer cette activité : celui d’infirmier, d’aide-soignant, d’auxiliaire de puériculture ou encore un certificat de qualification professionnelle (CQP) d’assistant médical. Comme dans le cas des assistants dentaires, les assistants médicaux pourront se qualifier dans les trois ans suivant leur prise de fonction. Le cadre semble plus incertain pour les infirmières en pratique avancée (IPA) de ville – l’infirmière en pratique avancée libérale (Ipal) – qui peuvent exercer à temps plein (sans limitation de conventionnement en zones sous-denses) ou à temps partiel, en couplant leur activité avec des soins infirmiers généraux. Début novembre, les syndicats représentatifs ont abouti à un avenant à leur convention après des négociations très difficiles. Le texte prévoit une rémunération forfaitaire pour le suivi des patients chroniques, soit un forfait de 20 euros facturé lors du premier contact avec le patient, et deux forfaits annuels : le premier, d’un montant de 58,90 euros, rémunère le bilan global réalisé en première année et l’initiation d’actions d’éducation, de prévention et de dépistage ; le second, d’un montant de 32,70 euros, est versé chaque trimestre pour valoriser le suivi (surveillance, coordination avec le médecin…). Les Ipal bénéficieront également d’une aide « complémentaire » à l’installation pouvant aller jusqu’à 27 000 euros. Selon les calculs de l’Assurance maladie, les Ipal peuvent espérer un revenu cible de 3 000 à 3 300 euros pour une file active de 350 patients, bien moins que les revenus d’une infirmière libérale classique. « Nous pensons que le schéma de rémunération ne permettra pas de travailler correctement », tranche Pierrette Meury, vice-présidente de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa), une des quatre premières infirmières libérales diplômées en pratique avancée qui exerce aujourd’hui dans le cadre de l’association Asalée, faute d’un cadre plus satisfaisant.  

Retraite : expliquer pour convaincre 

Le projet de réforme des retraites concerne tous les Français mais les médecins libéraux font partie des professions les plus inquiètes en raison de l’existence de leur caisse de retraite autonome qui dispose aujourd’hui de solides réserves de 6 milliards d’euros.   « Le haut-commissaire à la réforme des retraites nous dit que nos réserves seront déposées dans un fonds paramétré destiné uniquement aux médecins, explique Thierry Lardenois, président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf). Or c’est techniquement compliqué car ces réserves ne sont pas uniquement sous forme de liquidités car nous possédons notamment soixante immeubles à Paris. Mais, surtout, ces réserves ont été prévues, pour moitié, pour payer les pensions des retraités actuels, et pour l’autre moitié, pour assurer les futures pensions des cotisants actuels. Il est inacceptable pour nous que nos réserves puissent être gérées par d’autres. » La seconde incertitude majeure est que les modalités concrètes de ce futur régime universel de retraite par points ne sont toujours pas claires. « Nous avions fait les calculs en juin dernier quand le haut-commissaire nous avait présenté l’architecture de la réforme et nous avions trouvé que la retraite moyenne d’un médecin libéral passerait de 2 664 euros actuellement à 1 750 euros, indique Thierry Lardenois. Puis, en novembre, le haut-commissaire nous a fait part de ses propres calculs selon lesquels la baisse ne serait que de 12 % mais à l’âge de 68 ans. » Des projections inquiétantes qui expliquent pourquoi les syndicats de médecins libéraux sont vent debout contre le projet de réforme. Dans un communiqué commun, l’ensemble des syndicats de médecins libéraux a déjà prévenu : « Les droits acquis doivent être respectés à l’euro près », « La réforme doit respecter les bases du contrat conventionnel qui comporte l’avantage social vieillesse », « Le rapport cotisations/prestations doit dans tous les cas être préservé afin de pouvoir maintenir le niveau de retraite actuel pour les générations à venir ». Dans les rangs de la manifestation contre la réforme des retraites du 5 décembre dernier, des médecins libéraux se sont joints aux cortèges. Le Dr Lardenois a fermé « à titre personnel » son cabinet ce jour-là.

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