Renouveler une ordonnance, examiner une plaie, suivre une affection longue durée, soigner une infection bénigne... Pour tous ces actes, les patients peuvent consulter un médecin sans se déplacer dans un cabinet ou patienter dans une salle d’attente. Généralisée depuis le 15 septembre dernier, la téléconsultation soulève bien des espoirs, à commencer par celui d’apporter – enfin – une solution au problème de la désertification médicale. Partout sur le territoire, mais en particulier dans les régions en manque de médecins, ces consultations virtuelles visent à faciliter l’accès aux soins, à réduire les délais pour un rendez-vous chez un spécialiste et à désengorger les urgences. "En pratique, 80 % des pathologies peuvent être suivies avec la télémédecine. Elle est très utile pour traiter les maladies bénignes qui ne nécessitent pas d’examen clinique approfondi, comme une gastro ou un rhume, et assurer la prise en charge des maladies chroniques. La téléconsultation fait gagner du temps à tout le monde", estime le Dr Claude Bronner, vice-président de la Fédération des médecins de France (FMF). Rassurer et répondre rapidement aux besoins des patients, suivre plus régulièrement les personnes atteintes d’une maladie chronique, bénéficier d’une flexibilité sur son agenda, recueillir immédiatement l’avis d’un spécialiste… Ce médecin généraliste de Strasbourg s’est laissé séduire, dès la première heure, par les atouts de la télémédecine. Un outil qui permet à ce "retraité actif" de jongler librement entre les consultations réalisées à son cabinet et celles depuis son domicile ou son lieu de vacances : "Comme je suis moins présent à mon cabinet, je peux consulter à distance le soir et le week-end, à condition d’être dans un lieu qui garantit la confidentialité des échanges. Je peux voir le patient et discuter avec lui, établir un diagnostic et prescrire un traitement comme s’il était devant moi", explique-t-il. "S’il ne va pas mieux, je lui demande de venir au cabinet. Cela évite des passages injustifiés aux urgences." Mode d’emploi À la suite d’une prise de rendez-vous en ligne, il suffit d’adresser au patient un lien l’invitant à se connecter, via un ordinateur, une tablette ou un smartphone équipé d’une webcam, à un site ou une application de visioconférence sécurisée. Interrogatoire en vue d’établir un diagnostic, accès au dossier médical partagé (DMP)… Les médecins disposent a priori de tous les outils pour délivrer une téléconsultation de qualité. Seule exigence : être équipé de matériels spécifiques (tensiomètre, stéthoscope électronique…) et de logiciels garantissant la sécurité des données médicales. Et pour cela ils peuvent bénéficier d’une aide pouvant aller... jusqu’à 525 euros par an. "Le médecin doit redoubler de vigilance, surtout si c’est la première fois qu’il voit le patient. Comme il ne peut pas procéder à un examen clinique approfondi, il doit mener un interrogatoire d’autant plus fouillé", prévient le Dr Jacques Lucas, premier vice-président du Cnom et délégué général au numérique. "En posant des questions pertinentes et affinées sur le suivi d’un traitement, les symptômes et ses antécédents médicaux, il pourra se faire une appréciation générale et fixer une conduite à tenir." En cas de besoin, les praticiens peuvent demander que le patient soit assisté par un autre professionnel de santé (pharmacien ou infirmier) pour l’auscultation ou qu’il aille dans une cabine de téléconsultation.
Une fois le diagnostic posé, le médecin envoie une e-ordonnance, via un logiciel sécurisé, au patient ou à la pharmacie. Ces téléconsultations sont aussi l’occasion pour les carabins d’être rémunérés pour des actes qu’ils réalisaient gracieusement au téléphone ou par mail. Car grâce à l’avenant 6 de la convention médicale signé en juin 2018 par l’Assurance maladie et les syndicats, l’acte est facturé au même tarif qu’une consultation classique, dont le montant varie entre 25 et 30 euros selon les cas, et remboursé aux patients sous certaines conditions. Un marché qui attise les convoitises Une prise en charge remboursée qui pourrait bien exploser le nombre de ces consultations virtuelles jusqu’ici réservées à une niche (expatriés, résidents des Ehpad…) et qui ne représentent que 1 à 2 % des 400 millions de consultations annuelles. Les autorités tablent ainsi sur 500 000 actes en 2019, 1 million d’ici 2020 et jusqu’à 1,3 million à l’horizon 2021. Reste qu’en mai dernier, seules 16 000 consultations avaient été remboursées par la Cnam. "Le nouveau mode d’intervention nécessite un temps de déploiement des outils techniques et d’appropriation de la part des médecins ainsi que des patients. La montée en charge est donc progressive mais s’accélère", relève Annelore Coury, directrice déléguée à la gestion et l’organisation des soins de la Cnam. "À la mi-mai, nous avons enregistré près de 1100 nouveaux actes sur une semaine." Si ces prévisions budgétaires semblent ambitieuses, elles aiguisent déjà l’appétit des startups qui, en proposant des solutions de visioconférence médicale, comptent bien profiter d’une affaire qui pourrait se révéler juteuse. Car le marché de la téléconsultation est estimé à 2,2 milliards d’euros en 2020, selon Le Parisien. Géant de la prise de rendez-vous en ligne, Doctolib (qui a rejoint le club très fermé des "licornes" françaises après une méga-levée de fonds de 150 millions d’euros) a lancé en janvier dernier son service de téléconsultation à distance, axe majeur dans sa stratégie de développement. Moyennant 79 euros par mois, les 70 000 praticiens abonnés à l’agenda en ligne disposent d’un système vidéo sécurisé, et peuvent consulter le dossier des patients, dialoguer avec eux, obtenir un télépaiement et transmettre l’ordonnance. "Nous avons eu de fortes demandes de la part des professionnels, en particulier des généralistes qui sont les premiers à être sollicités par téléphone ou par mail pour un conseil ou un renouvellement d’ordonnances, ainsi que par des pédiatres", indique Arthur Thirion, directeur France de Doctolib."Nous avons équipé des centaines de médecins et les formons à l’usage de l’outil vidéo. D’ici quelques mois, nous couvrirons l’ensemble des spécialités."
Dans l’espoir de lui damer le pion, la startup Qare a, elle aussi, annoncé en avril une levée de fonds de 20 millions d’euros. Objectif : se faire connaître du grand public et séduire les praticiens, dans l'espoir d'en référencer 15 000 d'ici fin 2020, contre 300 à ce jour, dans une trentaine de spécialités. "Depuis que les actes sont remboursés, nous avons enregistré une croissance des activités de l’ordre de 10 à 15 % par semaine. Nous estimons qu’en France 20 % des consultations se feront à distance d’ici cinq à sept ans. Pour anticiper et répondre aux besoins des patients, nous devons avoir suffisamment de médecins disponibles dans les différentes spécialités, soit par exemple la gériatrie, la psychiatrie, la pédiatrie et la dermatologie", justifie Nicolas Wolikow, cofondateur de Qare, qui propose un abonnement de 75 euros par mois sans engagement ou une commission de 20 % sur les honoraires. Des tentatives de dérives commerciales Sans surprise, cette levée de fonds a été menée auprès de Kamet Ventures, le fonds d’investissement d’Axa, qui en devient l’actionnaire majoritaire. Car les assureurs lorgnent aussi sur ce marché en pleine ébullition. Alors qu’en 2015 Axa faisait figure de pionnier en lançant Axa Assistance, les services de téléconsultation sont devenus un incontournable dans les contrats assurantiels. En s’appuyant sur le partenariat conclu entre Santéclair et MesDocteurs, Allianz propose depuis février 2018 cinq consultations à distance gratuites par an aux souscripteurs d'une complémentaire santé. Bien que le taux de recours reste marginal, ces offres ne sont guère du goût de l’Ordre des médecins et des syndicats, qui craignent une "übérisation" de la santé. "Des sociétés d’assurances vantent les mérites des centres de téléconsultation en promettant à leurs clients une réponse immédiate à leurs problèmes de santé. Or, ce service n’est pas gratuit et peut se traduire par une hausse de la prime d’assurance. Par ailleurs, un acte médical ne peut pas se transformer en produit de promotion. C’est en contradiction totale avec l’interdiction faite aux médecins de faire de la publicité", assène Jean-Christophe Calmes, secrétaire général adjoint de MG France.
Autre grief : les (fausses) promesses de remboursement par l’Assurance maladie. Alors que ces derniers ne sont possibles que si les actes respectent le parcours de soins coordonnés – c’est-à-dire si l’interlocuteur est le médecin traitant ou un spécialiste vers lequel le patient aura été orienté – , les sociétés profitent du flou entourant les conditions de remboursement pour attirer les chalands. De fait, l’avenant 6 prévoit que ces conditions ne s’appliquent pas pour les situations d’urgence, si le patient n’a pas de médecin traitant ou si celui-ci n’est pas disponible dans un délai compatible avec son état de santé. Ces derniers doivent alors consulter des médecins appartenant à des organisations territoriales proches de leur domicile afin de favoriser leur retour dans le parcours de soins. "Des plateformes commerciales abusent des exceptions à la règle. Il faut mettre des garde-fous", estime Alexis Vervialle, chargé de missions national offre de soins à France Assos Santé. "Si on ouvre la porte à une téléconsultation dérégulée, cela risque de déséquilibrer notre système de santé. Ce qui générera des surcoûts, qui seront à la charge des contribuables." Le 30 mai dernier, le Conseil d’État a ainsi rejeté un recours en référé déposé par Livi. La société contestait la décision de la Cnam de ne pas rembourser des téléconsultations réalisées par son centre de santé digital de Créteil, au motif qu’elles ne respectaient pas l’avenant 6. Pour justifier sa décision, le Conseil d’État retient le fait que la téléconsultation doit être exercée "dans le cadre d’une organisation territoriale". Or, "l’organisation choisie par l’association DigiSanté (qui regroupe Livi et le CH de Créteil) repose, pour l’essentiel, sur un ensemble de médecins salariés à temps partiel qui ne sont mobilisés que pour des consultations de télémédecine (…). Le centre a vocation à délivrer des consultations de télémédecine sur la totalité du territoire national", peut-on lire dans l’ordonnance. En résumé, un malade à Marseille ne peut prétendre être remboursé s’il consulte un médecin situé à Créteil via une plateforme commerciale. "On ne souhaite pas encourager un modèle dans lequel des médecins salariés par des plateformes ne consultent que par écran interposé. Pour orienter leurs diagnostics, créer une relation de confiance et éviter des erreurs médicales, il faut connaître le dossier médical du patient et l’avoir ausculté physiquement auparavant", estime Annelore Coury (Cnam). La Cnam sur ses gardes Pour contrecarrer les abus, l'assurance maladie avertit qu’elle sera vigilante en recevant les feuilles de soin et "remontera les bretelles" aux plateformes qui laisseraient planer le doute sur la prise en charge de leurs prestations. Résultat, les sociétés s’organisent pour entrer dans les clous. Chez Doctolib, les patients ne peuvent prendre un rendez-vous qu’avec des praticiens qu’ils ont déjà consultés en présentiel au cours des douze derniers mois. De son côté, Qare, qui avait été mise en demeure cet automne par l’Ordre pour des encarts publicitaires titrés "satisfait ou remboursé", a renoncé à son projet de proposer des consultations en illimité avec des médecins salariés moyennant un abonnement de 29 euros. Afin d’orienter les patients vers des structures territoriales proches de chez eux, la société projette de créer un centre de santé en Île-de-France, puis à terme dans chaque région. "Qare travaille en proximité avec le monde médical et développe ses fonctionnalités en étant à son écoute. La téléconsultation est un troisième mode d’exercice qui doit s’intégrer dans les pratiques des médecins. C’est donc fondamental qu’ils soient à l’aise avec l’outil", souligne son PDG Nicolas Wolikow. La startup a concocté sa "Qare Academy", destinée à familiariser les médecins aux spécificités de la téléconsultation. Au menu : des modules sur la conduite d’un entretien à distance, la gestion du planning, la rédaction des comptes-rendus, la transmission sécurisée des ordonnances… Des médecins pas encore rôdés à la pratique Manque de formation à l’usage des outils numériques, solutions techniques pas toujours au point, journées surchargées, connexions internet défaillantes, craintes sur la sécurité des données… Avec tous ces obstacles, la téléconsultation n’est pas encore le graal espéré. Si selon une étude de la MACSF, trois médecins sur quatre estiment que la télémédecine fera partie de leur quotidien professionnel en 2030, le passage à l'acte est plus difficile. Seuls 650 praticiens ont coté au moins un acte de téléconsultation en mai, relève la Cnam. "La téléconsultation n’est pas adaptée pour les pathologies lourdes et aiguës. Par écran interposé, il est impossible d’ausculter correctement le patient. Sans cet examen physique, la prise en charge est partielle, et le praticien risque de louper des signes cliniques importants. Au moindre doute sur son diagnostic ou le traitement à prescrire, il doit interrompre la téléconsultation et demander au patient de se rendre dans un cabinet ou aux urgences. Les médecins engagent leur responsabilité, ils doivent donc rester prudents", recommande Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. De son côté, MG France pointe le spectre d’une déshumanisation de la médecine. "L’essence même du métier de généraliste reste les relations humaines. Les patients ont besoin de voir leur médecin pour le suivi d’une pathologie chronique ou l’annonce d’une situation difficile", remarque Jean-Christophe Calmes. "Les échanges sur les interfaces numériques ne peuvent pas remplacer les contacts dans le huis-clos du cabinet."
Consulter un médecin pour des troubles de la sexualité : beaucoup d’hommes n’osent pas encore franchir le pas. Prenant acte de la pudeur entourant le sujet, Olivier Algoud et Simon Burellier ont lancé, le 22 mai dernier, une plateforme de télémédecine dédiée aux troubles de l’érection baptisée Charles. "La population souffrant de troubles de l’érection en France est estimée entre 3 et 4 millions d’hommes, et seulement 800 000 personnes sont suivies", détaille aux Échos Simon Burellier. Pour lancer cette offre, les entrepreneurs se sont tournés vers des médecins sexologues français qui "ont très bien accueilli l’idée". Actuellement, dix spécialistes travaillent quotidiennement sur la plateforme, et la startup indique être sur le point d’en recruter 70 autres. "La réussite du traitement passe énormément par le conseil du médecin, donc leur rôle est clé", estime Simon Burellier.
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