"Médecin retraitée dans un désert, je suis menacée de déconventionnement"

06/12/2019 Par Louise Claereboudt
Témoignage
Dermatologue depuis plus de 30 ans, Patricia est aujourd'hui menacée de déconventionnement par la CPAM parce qu'elle ne télétransmet pas. Retraitée depuis un mois, elle exerce encore une journée par semaine dans un territoire en manque de spécialistes. Pour elle, pas question de céder. Elle se confie pour Egora.fr. 
 

 [MISE A JOUR] : L'Assurance maladie tient à préciser que le refus de télétransmission ne donne pas lieu à un déconventionnement mais à des sanctions pouvant aller à la non-prise en charge des cotisations sociales. "Je me suis installée en 1983 en tant que dermatologue. Aujourd'hui, à la retraite, je loue un cabinet dans une clinique et j'exerce une après-midi par semaine. Lorsque j'ai déménagé dans cette clinique, j'ai reçu une première lettre recommandée de la part de la CPAM, que je n’ai pas vue tout de suite. Ça devait être le 29 mars. Elle disait : 'Nous constatons que depuis que vous êtes installée, vous n'utilisez pas la télétransmission'. La Sécu m’a balancé tous les articles de loi expliquant que les médecins sont ‘tenus’ - elle ne dit pas ‘obligés’ - de télétransmettre. Bref, environ 25 pages de menaces. Fin avril, j’ai reçu un deuxième courrier de rappel. J'ai contacté le service juridique de l'UFML, qui m'a conseillée de louer le matériel de télétransmission et de faire quelques feuilles de soins par mois pour faire preuve de bonne volonté. J’ai refusé. Je ne ferai pas ces quelques feuilles. Je trouve qu'on a assez de boulot comme ça. On passe déjà la journée à remplir des papiers, c'est bon. Ce n'est pas notre travail de faire des feuilles de soins. 

Il y a quelques années, quand Marisol Touraine est arrivée à la tête du ministère de la Santé, elle nous a obligés à télétransmettre. Alors, j'avais loué la machine de télétransmission mais je ne m'en suis jamais servi. Avant tout parce que ça me stresse. Je ne suis pas de la génération informatique, je n’y comprends rien.   Trop d'informatique nuit à la clinique Je travaille à la main, je n'ai pas d'ordinateur, je fais des fiches cartonnées. Je ne vais pas payer pour avoir du stress supplémentaire. Et je ne veux certainement pas passer trois quarts d'heures tous les soirs à télétransmettre à la Sécu, pour peu qu'une fois sur deux ça ne marche pas.  Je pense de toute façon que trop d'informatique nuit à la clinique. L'année dernière, mon père a été hospitalisé. Un médecin est venu dans sa chambre avec son ordinateur, mais il ne l'a jamais examiné. Résultat, il a fait une hémorragie et a failli y passer. J’estime qu’on ferait mieux de regarder les patients plutôt que les écrans. Moi, je suis peut-être de la vieille école, mais je prends le temps d’examiner. Pour l’instant, je n’ai pas de nouvelles de la Sécu, mais ça va me tomber sur le coin de la tête incessamment sous peu cette histoire. Je ne sais pas quand, mais ça va arriver. Je pense que je vais avoir une amende ou autre chose. Mais je ne céderai pas à la menace. Si je suis déconventionnée, ça ne changera pas grand-chose pour moi parce que je ne travaille plus qu’une journée par semaine. Au contraire, ça me fera un tri de clientèle. Je n'ai pas l'intention de courber l'échine parce que j'estime que je ne dois rien à la Sécurité sociale. Quand on dit que les études de médecine sont gratuites, ce n'est pas vrai du tout. On leur sert de larbin pendant tout notre cursus, on est payé au lance-pierre. Maintenant, ça suffit. Il ne faut pas oublier que nous sommes les médecins les plus mal payés d’Europe.    ‘Rayée de la Sécu’, comme si j'avais détourné de l'argent Quels moyens avons-nous, nous médecins, de ne pas être contents ? On n'est pas rémunérés quand on fait grève. On est des artisans : les vacances ne sont pas payées, il n'y a pas de congé maladie. Donc quels moyens avons-nous si ce n'est d'emmerder la Sécurité sociale ? Le problème c'est qu'on embête aussi les patients en faisant cela. Mais, pour moi, il n'y a pas d'omelette sans casser des œufs.  C'est le seul moyen de pression que nous avons, le seul moyen de nous faire entendre. Il faudrait revoir tout le système de santé. Quand on dit que les jeunes ne s’installent pas, au lieu de se demander ‘Comment?’, il faut se demander ‘Pourquoi?’. Et à côté de ça, il y a de plus en plus d'interdits dans le métier, des devis à fournir, etc. Quand même, on a prêté le serment d'Hippocrate, on n'est pas des bandits. On ne s’en met pas plein les fouilles comme ça, l'Urssaf contrôle notre déclaration de revenus. Mais on se fait petit à petit ligoter jusqu'au moment où on va être écrasés. Moi, je n'ai pas envie de cela. Je n'ai pas non plus envie de finir ma carrière sur un esclandre et qu'on me placarde sur la porte de mon cabinet en écrivant ‘Rayée de la Sécu’, comme si j'avais détourné de l'argent. Mais je trouve ça inadmissible que la Sécurité sociale ait la possibilité de nous déconventionner, parce que pour moi, ce ne sont pas des médecins mais des technocrates. Ils ne connaissent pas la réalité du terrain. Je n'ai pas fait de faute professionnelle. Ce n'est pas comme si j'avais escroqué des patients Je veux juste exercer comme je le souhaite. Mais aujourd’hui, on nous traite de la même façon qu'on ait tué un patient ou qu'on refuse de télétransmettre.”   

Télétransmission : que dit la réglementation ?
Egora a sollicité la Cnam pour en savoir plus sur le refus de télétransmission et ses conséquences. “Peu de professionnels de santé refusent d’avoir recours à la télétransmission des feuilles de soins, nous répond-t-on. Parmi ceux qui ne télétransmettent pas ou qui télétransmettent peu, on observe qu’il s’agit plus fréquemment de médecins de secteur 2, le plus souvent des spécialistes (hors médecine générale), installés dans des grandes villes, comme Paris. On observe également un phénomène générationnel. Il s’agit la plupart du temps de médecins qui exercent depuis longtemps et qui vont cesser prochainement leur activité libérale“.
Pour encourager la télétransmission, source de rapidité et de fiabilité pour les remboursements des soins, un système d’incitations financières a été mis en place à travers la Rosp en 2012.Ce taux étant désormais globalement bon, il a été inscrit comme un pré-requis dans le forfait structure mis en place par la nouvelle convention signée en août 2016. La convention permet aux caisses d’initier une procédure de sanction conventionnelle pour non respect systématique  de l’obligation légale de télétransmission des facturations, qui figure à l’article L 161-35 du code de la sécurité sociale. Cette disposition est également présente dans les conventions avec les autres catégories de professionnels de santé. 
La sanction possible pour les médecins (qui s’applique à l’issue d’une procédure conventionnelle contradictoire décrite dans la convention) est la suspension de la participation de l’Assurance maladie aux cotisations sociales du professionnel d’une durée de 3 mois (ou d’une sanction financière équivalente pour les médecins de secteur 2 pour qui l’Assurance maladie ne participe pas au financement des cotisations sociales). En cas de récidive (maintien après sanction de la non télétransmisison), la sanction peut être portée à 6 mois de suspension de participation aux cotisations sociales. "Compte tenu du contexte évoqué précédemment très peu de procédures conventionnelles ont été initiées pour ce motif", assure la Cnam.

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Stéphanie Beaujouan

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