[REMPLACEMENT : POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE] Eté 1976. Toute jeune remplaçante, le Dr Gautier est appelée au chevet d'un homme qui se plaint d'un mal de ventre. Rien de méchant, à vue de nez. Et pourtant... "La fille qui ne voulait pas être pas être pape, qui ne voulait pas être médecin, qui a fait médecine. C’est comme ça que je suis devenue psychiatre pour les enfants. En fille unique et docile, j’ai été vite convaincue que c’était mieux que vendeuse aux Nouvelles Galeries. Mon père m’avait donné le choix, en me dissuadant d’être petit rat de l’opéra, avocate, journaliste, architecte. J'ai cultivé ma névrose et fait psychiatrie, chorégraphie de toutes mes aspirations, pour mon bonheur, voire, plus ou accidentellement, de mes patients ! Mon premier et unique remplacement a été formidable. Je rentrais des Antilles après avoir passé un an dans la forêt tropicale, comme faisant fonction d’interne à l’hôpital psychiatrique de Colson (Martinique). Autant dire que mon cerveau s’était un peu embourbé dans les remugles poisseux de cet écrin végétal, chargé d’emprisonner les miasmes des folies. "Un panaché de sueur, de stress et de dégueulis de marmot" Ce fut une sale période, je le dis tout de go. J’étais la première et seule interne au milieu des VAT. Sachez que les volontaires à l’aide techniques étaient pour moitié des salopards de première, genre "volontaires agressifs tripatouilleurs", et pour l’autre vautrés sur la plage, tout à leur business : qui un trafic de poterie, qui un trafic de récupération des dépôts argentiques des radios, qui un trafic d’histoires connes et grasses. Un peu en retrait, marchant l’amble, un grand mec avait une manie innocente : la comparatite. Ainsi la pointe Diamant, en face de Fort-de-France, lui faisait penser au lac Léman et à une ile caraïbe (j‘ai oublié son nom) aux Pays Bas. Très imaginatif, doux rêveur, cet .A, un vrai gentil. Hors du lot, JCB, mon grand ami, trop tôt disparu, si drôle, provocateur et cultivé, m’a tirée de l’ennui, de la solitude et de la mornitude de Gros Morne. Je vous ai déjà raconté comment j’ai failli laisser ma peau deux fois dans le service fermé du Dr T. en congés quelques mois? Mais vous impatientez, on n’est pas là pour mes souvenirs alors passons au remplacement. Chartres, juillet 76, canicule. Je remplaçais un confrère charmant. Son cabinet, à l’ombre de la cathédrale, sentait le vieux Beauceron et la haute bourgeoise Ce délicat mélange de fumures et d’encens faisait bon ménage dans la salle d’attente. Le levé de rideau de la consultation s’ouvrait chaque après-midi sur un nouveau le festival olfactif, panaché d’un peu de sueur, de stress et de dégueulis de marmot. Tous âges, toutes populations, tous Beaucerons mijotaient paisiblement en attendant le bon docteur. C’était une patientèle très aimable, très convenable qui n’a pas moufté quand ma tête apeurée est apparue. Oenomédecine Il faut dire que ma première visite avait démarré par six étages sans ascenseur dans un four de HLM bien délabré. En nage, j’avais foncé sur la porte sans calculer la masse globale : la grosse sacoche et moi de front, ça ne passait pas. Je m’éborgne, m’excuse, ouvre la mallette, cherche le stétho, un minimum pour faire médecin, et je renverse toutes les ordonnances. Tout le monde reste gentil, calme, patient : ma fébrilité passe sur le compte de la chaleur. C’était le bon temps, aujourd’hui j’aurais au minimum été injuriée.
"Il est dans la chambre, Docteur, il a mal au ventre." Il n’est pas gris, pas jaune, pas blanc, pas vert. Il sent le chaud et le renfermé. Je regarde, j'ausculte, je palpe, je circule, il n’y a rien à voir et à sentir. J’en conclus qu’il a mal au ventre et prescris du sargenor parce que la boite est jolie : orange et or. Forcément cet or, assisté de Dieu s’il est bien luné, va le guérir. Je me carapate sans demander mon reste, avec ma besace, mon super diagnostic et mon traitement magique. Les consultations de l’après-midi m’attendent. La salle d’attente est pleine, moite, silencieuse ; ils sont là, convenables, très confiants, trop. Ben oui, je ne sais pas plus de choses que ce matin, pour ne pas dire rien. Mais j’ai un don : le flair. Et une pensée compatissante pour le Dr R., si sympa, qui m’a confié sa patientèle que je vais massacrer, à vue de nez, en un rien de temps. Le lendemain, coup de téléphone de l’épouse du 6ème - "Merci Docteur, il est sorti !"
- "Ah bon, il va bien alors."
- "Oui oui."
- "Vous êtes contents."
- "Oui, oui, parlez! On a vu les anneaux, plein, ah là là là, ça impressionne." Seigneur, les anneaux ! Merci M. Taenia d’accompagner mon angoisse de remplaçante... "Mais la tête, il a vu la tête ? Il nous faut la tête sinon ça repousse." En fait, je crois que j’ai été sauvée de la mise en examen par un tour de passe-passe. J’ai remplacé tous les La Croix par Cosmopolitan et baissé un peu la lumière. C’est plus reposant et aussi goûteux que Sargenor. C’est ainsi que je ne ferai pas de télémédecine, ni remplacerai mon vieux nez par un PC. Je renifle, je regarde, je vois la maladie, je continuerai mon œnomédecine."
Cas exceptionnel, lieu d'exercice hors du commun, cabinet cauchemardesque, patient inoubliable… Remplaçant d'hier ou d'aujourd'hui, racontez-nous vos meilleurs ou pires expériences ! Vos histoires seront publiées cet été sur Egora.fr
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