L’accès aux soins est l’une des préoccupations premières des Français exprimées lors du grand débat national. Actuellement, pour pallier la problématique de la désertification médicale, les médecins retraités sont de plus en plus appelés à la rescousse. Une solution pratique mais qui ne peut être que provisoire. "Je n’y crois plus", souffle le Dr Gérald Galliot, médecin généraliste en cumul emploi-retraite à Jouy, commune de 2500 habitants située dans la région Centre. À bientôt 68 ans, il prévoit de poursuivre "encore un peu" son activité. Si, à l’origine, il se voyait rempiler pour une ou deux années supplémentaires, "après 40 ans d’activité professionnelle, je ne pouvais pas laisser ma patientèle comme cela, sans repreneur", soutient-il. Le médecin a cherché pendant un an un successeur par le biais des petites annonces, de l’Ordre des médecins et du bouche à oreille. Puis il a arrêté de chercher… et a décidé de poursuivre son activité : "J’ai du mal à entendre pleurer mes patients qui me demandent comment ils vont se soigner lorsque je ne serai plus là. C’est ma motivation première." Si officiellement sa commune n’est pas considérée comme un désert médical, "cela fait des années qu’aucun médecin ne s’est installé. Le jour où je m’arrêterai, nous allons devenir une zone de désertification", assure-t-il.
Actuellement, un médecin qui souhaite poursuivre son activité au-delà de l’âge de la retraite dispose de plusieurs solutions. Il peut par exemple poursuivre une activité pleine en cumul avec la liquidation totale de sa retraite. "L’impact fiscal s’avère néanmoins important car il bénéficie à la fois de son revenu lié à son activité et de celui de sa retraite", met en garde le Dr Yves Decalf, président du Syndicat national des médecins concernés par la retraite (SN-MCR). Actuellement, environ 10 % des médecins libéraux, tant généralistes que spécialistes, exercent dans le cadre du dispositif cumul emploi-retraite, d'après la dernière étude de la Drees (2018). Une situation qui pallie en partie le manque de médecins généralistes, spécialité pour laquelle l’équilibre devrait être retrouvé aux alentours de 2025. Néanmoins, si le médecin en cumul activité-retraite paie ses cotisations retraite, il ne perçoit pas pour autant de droits supplémentaires car "la pension est arrêtée au moment de sa liquidation", indique le Dr Decalf. Il faut donc s’assurer un certain niveau de revenus pour que l’activité soit intéressante et que le médecin puisse régler sans trop de difficulté ses cotisations.
- Les cinq départements les plus concernés par le dispositif : la Creuse (18 %), Paris (17,7 %), l’Indre (16,7 %), l’Yonne (16,1 %) et les Alpes-Maritimes (15,3 %).
- 28 % des gynécologues poursuivent leur activité, 14 % des psychiatres et 13,6 % des ophtalmologues.
- Les médecins généralistes sont 9,2 % alors que les biologistes médicaux (1,4 %), les chirurgiens thoraciques et vasculaires (1,5 %) et les oncologues médicaux (2,2 %) sont moins nombreux à poursuivre leur activité.
"Au syndicat, nous dénonçons cette situation, explique-t-il. Si on cotise, on doit pouvoir avoir des droits. On en fait part depuis des années, mais on nous répond que le changement n’est pas possible en raison de l’équilibre financier des différents régimes de retraite. C’est un élément que nous mettons en avant dans le cadre de la future réforme du régime de retraite." Les médecins peuvent également poursuivre leur activité sans liquider leur retraite. Entre 65 et 70 ans, ils obtiennent alors une majoration de points de retraite de 3 % par an. "Ce n’est pas rien, rapporte le Dr Decalf. Mais plus on retarde la liquidation de sa retraite, moins longtemps on en profitera. C’est un équilibre à trouver." Pourquoi continuent-ils après la retraite ? En général, les médecins en cumul partent à la retraite quatre ans après l’âge légal. Si le médecin poursuit son activité, "c’est souvent parce qu’il est très impliqué et qu’il ne trouve pas de repreneur pour sa patientèle, souligne le Dr Decalf. Son objectif va donc être de réduire son activité pour partir en douceur, à la fois pour lui et pour ses patients." Il estime néanmoins qu’il n’est pas logique de vouloir combler une pénurie de médecins en faisant appel à des praticiens plus âgés. "Si les médecins adhèrent au dispositif du cumul, ils le font pour des raisons variées allant de la convenance personnelle (il est en forme, il aime son métier, il travaille dans de bonnes conditions, il n’a pas envie de s’arrêter), à une quasi-contrainte car il n’a pas de successeur, et qu’il ne peut pas, moralement, abandonner les patients qui lui ont fait confiance pendant des années", renchérit le Dr François Simon, président de la section Exercice professionnel, au Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Le Dr Gérald Galliot reconnaît, pour sa part, qu’il ne se voyait pas cesser sa pratique du jour au lendemain. Mais il a dû passer "un deal" avec sa famille : réduire de moitié son temps de travail à 2,5 jours par semaine depuis juillet 2017. Il regrette néanmoins que la politique actuelle n’incite pas les jeunes à s’implanter. "On arrive à trouver des remplaçants, mais ils ne veulent pas s’installer, notamment parce qu’ils ont de nombreux avantages, dénonce-t-il. Ils touchent 75 % du chiffre d’affaires et n’ont pas de charge de cabinet à payer." Ce dernier plaide ainsi pour une valorisation de l’exercice libéral afin d’éviter que les jeunes praticiens s’orientent dans d’autres voies. L'impossible chasse aux jeunes Le Dr Patrick Laine, médecin généraliste depuis trente-cinq ans à Saulnot (Haute-Saône), est également confronté au problème de remplaçants peu désireux de s’installer. Il a tout essayé pour trouver un successeur, allant jusqu’à diffuser une annonce sur le site Leboncoin.fr, pour céder gratuitement sa patientèle. Mais personne ne s’est manifesté : "À 69 ans, je suis partagé entre le désir d’arrêter ma pratique et de passer à autre chose, et l’impossibilité d’abandonner mes patients notamment âgés. Cette responsabilité me fait continuer. Je ne veux pas à me contraindre à les abandonner."
Le Dr Laine, qui n’a pas encore liquidé sa retraite, déplore, lui aussi, qu’on ne fasse pas assez la promotion de la médecine générale, un mode d’exercice qu’il défend plus que tout. "Nous sommes le parent pauvre de la médecine alors que nous sommes le pilier de départ", soutient-il. Le modèle ne séduirait pas en raison notamment de l’absence d’aide pour la protection sociale (90 jours de carence) ou encore, les charges administratives. "Les assistants médicaux pourraient être une bonne solution mais la subvention est dégressive, regrette le Dr Galliot. En plus, la Cnam demande aux médecins d’augmenter leur nombre de patients en faisant des consultations de dix minutes. Qu’advient-il de la qualité ?" Installé à Chevilly-Larue (Val-de-Marne) en 1951, le Dr Christian Chenay, 97 ans, en cumul activité-retraite, pense aujourd’hui cesser sa pratique, les contraintes financières étant trop nombreuses. Il n’a pas pour autant trouvé de repreneurs : "Il y a encore trois ans, nous étions douze médecins, rapporte-t-il. Neuf sont partis sans trouver de successeurs. Des jeunes praticiens sont venus à mon cabinet. Ils ont regardé ma feuille d’impôts, ma façon de travailler, et ont constaté que, certes, j’avais des cas intéressants avec la prise en charge de personnes atteintes du sida, de maladies pulmonaires, de scléroses en plaques... Mais l’activité n’est pas rentable." Ils ont préféré s’installer dans la commune voisine, qui a créé une zone franche urbaine. Ce qui signifie une exonération d’impôt sous certaines conditions. Pour une contrainte à l’exercice en milieu rural ? "Si une mesure simple pour régler le problème de la démographie existait, elle aurait déjà été mise en œuvre, indique le Dr Simon. La régulation de l’installation proposée par certains a échoué dans les pays où elle a été mise en œuvre et risque d’avoir des effets contre-productifs. Elle n’a pas la faveur du Cnom." Néanmoins, les mesures d’encouragement à l’installation, de coopération interprofessionnelle et d’organisation ne suffisent pas. "Nous ne pouvons pas être très optimistes à court terme mais nous allons assister à une inflexion de la tendance dans les années à venir", poursuit-il. Il faut, selon lui, anticiper et évaluer les besoins en médecins généralistes mais aussi en spécialistes de second recours "dont le nombre risque de diminuer sérieusement dans certaines spécialités lorsqu’auront cessé d’exercer, entre 2025 et 2030, les spécialistes formés par la voie du certificat d’études spécialisées". "Les élus, les pouvoirs publics, les doyens, doivent prendre conscience que les jeunes ne vont s’installer que dans les territoires qu’ils connaissent, souligne le médecin. Si l’on veut reconquérir ces territoires, il est impératif que les étudiants, dès leur second cycle, puissent y effectuer des stages en médecine ambulatoire et à l’hôpital." Pour cela, des mesures doivent être prises tant au niveau de l’organisation universitaire que des conditions de transport, d’accueil et d’hébergement des étudiants en médecine et, au-delà, des autres professions de santé.
Le Dr Laine est à l’origine d’une pétition dans laquelle il demande que les jeunes médecins généralistes soient contraints d’effectuer leur première année d’exercice au sein d’un territoire sous-doté médicalement. "Je pensais que cette pétition permettrait de faire pression et remonterait vers les chambres parlementaires. Mais ce n’est pas le cas, et je me mets à dos les jeunes médecins, l’Ordre et les syndicats pour qui le pilier de la médecine libérale repose sur la liberté d’installation." Pour lui, cette année d’exercice obligatoire permettrait aux jeunes praticiens de découvrir le milieu rural, souvent méconnu pour la grande majorité. "Ce serait comme une obligation de service civique, explique-t-il. Les jeunes médecins ont tendance à négliger notre redevabilité sociale. Nos études sont payées par les impôts. À 10 000 euros l’année en moyenne sur dix ans… Je pense qu’ils ont oublié la règle du pacte républicain."
Le contrat de transition pour les médecins (Cotram) vise à soutenir les médecins exerçant dans les zones fragiles, préparant leur cessation d’activité et prêts à accompagner pendant cette période un médecin nouvellement installé dans leur cabinet. Le médecin doit exercer dans une zone identifiée par l’ARS comme "fragile", être âgé de 60 ans et plus, et accueillir au sein de son cabinet un médecin âgé de moins de 50 ans exerçant en libéral conventionné qui s’installe dans la zone ou y est installé depuis moins d’un an. Pour son accompagnement à l’installation d’un confrère, le médecin va bénéficier d’une valorisation de +10 % des honoraires conventionnés (actes cliniques et techniques hors dépassements et rémunérations forfaitaires). La valorisation est plafonnée à 20 000 euros par an, et limitée à trois ans.
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