Ce pays où les pharmaciens trient les patients et où les médecins consultent à distance

09/04/2019 Par Yvan Pandelé
Le droit de "prescription" des pharmaciens, voté avec la loi de santé à l'Assemblée, s'inspire notamment des pharmacies suisses netCare. Un système pilote lancé en 2012 qui semble faire florès. Petit voyage au pays des Helvètes.

  C'est une des mesures surprises de la loi de santé : la possibilité pour les pharmaciens de délivrer des médicaments sous ordonnance dans certaines pathologies courantes (voir encadré). Portée par le député Thomas Mesnier, la mesure a finalement été adoptée le 21 mars à l'Assemblée, malgré l'opposition farouche des syndicats de médecins libéraux. Elle s'inspire ouvertement d'initiatives étrangères : Canada, Ecosse, mais surtout Suisse, avec le système netCare. Mais de quoi s'agit-il ? NetCare est un projet pilote lancé en 2012 sous l'égide de l'ordre des pharmaciens helvète, PharmaSuisse. Objectif : pallier le manque de médecins de premier recours. Du moins, sur les dépliants officiels. "Les marges pour les médicaments diminuaient et il fallait trouver d’autres sources de revenus pour les pharmaciens", livre de but en blanc Susanne Flückiger Staub, responsable netCare au sein de PharmaSuisse, avant d'embrayer sur les problèmes d'accès aux soins. Et à la différence des médecins de famille, de plus en plus rares, les pharmacies "sont partout et ouvertes sur des horaires étendus".   Sous l'égide des pharmaciens Voici pour l'argument. Mais comment fonctionne netCare ? Le projet est né d'un partenariat entre PharmaSuisse, un des grands assureurs santé du pays (Helsana) et la société de télémédecine Medgate. Charque pharmacien peut décider de rejoindre la franchise, moyennant une formation payante d'au moins une journée. "Il est aussi possible de faire un module long d'une semaine, où l'on est formé aux fondements de l'anamnèse par un médecin et où l'on aborde d'autres algorithmes de tri, comme ceux concernant les infections dermatologiques", explique Susanne Flückiger Staub. Lorsque le patient se plaint d'une des 25 pathologies prévues par netCare, il est questionné dans une pièce à part par le pharmacien, qui s'aide d'un arbre décisionnel. Si la pathologie est bénigne, la prescription peut se dérouler normalement (avec, selon les cantons, la possibilité de délivrer des médicaments à prescription obligatoire). Dans le cas contraire le pharmacien organise une téléconsultation médicale au sein de l'officine, après quoi il pourra prescrire sur ordonnance médicale. Un appel téléphonique de suivi est prévu trois jours plus tard.   Initié comme projet pilote auprès d'environ 200 enseignes en 2012, le système netCare semble désormais faire tache d'huile. "On compte environ 360 pharmacies, sur les quelque 1800 que compte le pays", indique Susanne Flückiger Staub. Soit une pharmacie sur six.   Cystite, mal de ventre, rhume… Les premiers retours ont été riches en enseignements. Une étude préliminaire portant sur près de 74 000 patients ayant eu recours à netCare en 2012 et 2013 permet d'y voir plus clair sur les pathologies concernées. D'après les données de Helsana, les motifs de consultations les plus fréquents étaient la cystite, le mal de ventre, la rhinopharyngite, la conjonctivite et le mal de dos. Viennent ensuite d'autres affections bénignes, souvent liées à la sphère intime : vulvite, mycose, herpès… Selon des données plus parcellaires, compilées par les pharmaciens eux-mêmes auprès de 4118 clients reçus à Berne, le recours à une téléconsultation médicale a lieu dans moins d'un cas sur cinq (17 %). Et selon les données de suivi à trois jours, plus d'un patient sur huit (84 %) rapportait un soulagement partiel ou complet des symptômes ayant motivé sa venue. La délégation de compétence aux pharmaciens ne s'arrête d'ailleurs pas à l'entretien et à la prescription. Dans certains cas, indique Susanne Flückiger Staub, le pharmacien peut réaliser des actes sur le patient. "Il peut y avoir une otoscopie, un frottis de la gorge, la mesure des CRP…" Mais impossible d'en savoir plus : PharmaSuisse refuse de communiquer les algorithmes de triage, au motif qu'ils sont sous copyright.

Liste des 25 pathologies prévues par netCare. PharmaSuisse, tous droits réservés.

Il faut dire que le projet est profondément inscrit dans la mentalité helvète. Au pays du secret bancaire, un sou est un sou et la loi du marché règne en maître. Le système de santé suisse a tout de la "jungle libérale", admet le Pr Nicolas Senn, du département de médecine de famille du Centre universitaire de médecine générale et santé publique de Lausanne (université de Lausanne). "Il y a une étrangeté dans le système médical suisse : côté alémanique [suisse allemand, NDLR], les médecins ont le droit de pro-pharmacie", explique le médecin romand. "Les pharmaciens se battent contre, en disant que les médecins ne connaissent pas très bien la pharmacopée – ce qui est sans doute vrai –, et souhaitent que la délivrance revienne dans leur giron. C'est un problème miroir à celui de la France."   Welcome to the jungle Pas un hasard, donc, si les oppositions médicales à netCare se sont principalement fait entendre dans les cantons alémaniques. En Suisse romande, où la franchise est moins bien implantée, les vaches sont mieux gardées. Reste que l'organisation professionnelle faîtière des médecins suisses, la Fédération des Médecins Helvétiques (FMH), ne s'est pas opposée au projet. Et en tout état de cause, le système semble profitable. Au pharmacien, qui touche 15 CHF (environ 13 euros) pour l'entretien préliminaire et 48 CHF (43 euros) en cas de téléconsultation médicale. "C'est intéressant sur le plan financier ", confirme Susanne Flückiger Staub, qui estime à 15 minutes le temps moyen d'un triage. Au patient, qui économise une visite médicale et l'avance de frais. À l'assureur, qui n'a pas à rembourser les 100 CHF (89 euros) que coûte en moyenne une consultation généraliste. Une bonne affaire pour tout le monde, donc, sauf pour le médecin. Mais qui ira plaindre un médecin suisse ?  

La "prescription pharmacienne" : sortie par la porte, revenue par la fenêtre

Présente dès le rapport Mesnier (mai 2018) et rejetée au vote par les députés durant l'automne, la possibilité pour les pharmaciens de délivrer des médicaments sous ordonnance en officine est revenue par la fenêtre à l'occasion du débat sur la loi de santé, portée par le Dr Thomas Mesnier, député de Charente et rapporteur général. Avec succès, cette fois. Finalement adoptée par l'Assemblée, avec le soutien prudent de l'exécutif, elle devra s'inscrire dans le cadre d'un "exercice coordonné" (équipe de soins primaires ou CPTS) et sera conditionnée au suivi de protocoles établis par la HAS. Agnès Buzyn a témoigné dans l'Hémicycle de sa volonté de "trouver un consensus" afin d'encadrer le dispositif, qui ne devra porter que sur des pathologies "très fréquentes, sans gravité".

Pas de quoi apaiser l'ire des syndicats de médecins libéraux, unanimes à condamner la "prescription pharmacienne", accusée d'ouvrir une brèche dans la prescription médicale, de confisquer l'activité des médecins ou encore de mettre en danger les patients. Pour l'heure, aucun élément précis n'a filtré sur l'ampleur du dispositif et son organisation sur le terrain. Les exemples évoqués dans l'amendement sont la cystite aiguë et "certaines angines" (non bactériennes ?). La présidente de l'ordre des pharmaciens, Carine Wolf-Tahl, interrogée au micro de France Info en février et réputée à l'origine de l'idée, y ajoutait volontiers les "conjonctivites et dermatites inflammatoires".

 

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