"Non, les médecins généralistes ne sont pas irremplaçables"

05/04/2019 Par Fanny Napolier
Les médecins généralistes doivent cesser de croire qu'ils sont indispensables, s'agace le Dr Fabien Quedeville. Contrairement à nombre de ses confrères, ce généraliste de 48 ans se félicite des nouvelles compétences octroyées aux pharmaciens et aux paramédicaux par la loi de santé. Selon lui, une évolution des mentalités est impérative pour que, demain, les généralistes ne restent pas en marge de l'organisation des soins.

  Le Dr Fabien Quedeville est un généraliste installé à Chilly-Mazarin (Essonne). Il a présidé le Syndicat national des jeunes médecins généralistes de 2007 à 2009.   "Croire que le tout-médecin généraliste, c'est l'avenir, c'est aller droit dans le mur ! Nous, on ne souffre pas puisqu'on a des patients. On en a même trop. On peut souffrir d'avoir trop de demande, mais on a du travail. Celui qui souffre, c'est le patient qui ne trouve plus de réponses quand il a un problème de santé. Tout repose sur le médecin, notamment le médecin traitant, et pas toujours à bon escient. Des pans entiers de santé publique ne sont pas pris en charge : le tabagisme, la contraception, les IVG… Des tonnes de choses. Aujourd'hui, il faut changer de logiciel. Malheureusement, aucun syndicat de médecin ne soutient ce changement.

"Le problème, c'est de croire que c'est le médecin qui dirige tout"

Ce changement passe par une autre façon de procéder. Il faut un vrai premier recours organisé, avec différents acteurs : les sages-femmes, les infirmiers, les pharmaciens, les kinés, etc. Il faut un travail de coordination, de coopération. Quel syndicat a soutenu la loi HPST ? Aucun. Pourtant, la coordination entre les professionnels de santé est possible depuis l'article 51 de la loi HPST, qui permet des protocoles entre professionnels. C'est vrai que c'est compliqué parce qu'il faut passer par l'ARS, la HAS… Quel médecin, qui est isolé aujourd'hui, a envie de passer par ces protocoles ? Il faut simplifier les choses.

Certains dénoncent le fait que ces nouvelles compétences des professionnels de santé soient inscrites dans la loi… Si on ne modifie pas les missions possibles des pharmaciens, comment vont-ils prendre en charge les prescriptions médicamenteuses ? Ils ne pourront pas. Il faut rappeler que les pharmaciens ont aujourd'hui la possibilité de délivrer la pilule du lendemain, de renouveler une contraception. Les infirmières aussi. Mais la loi doit permettre de solidifier tout ça, et de ne plus passer par les négos conventionnelles. On sait très bien que le but des négociations conventionnelles, c'est que les médecins aient la main sur tout. C'est fini. Le problème, c'est de croire que c'est le médecin qui dirige tout. Ça me rappelle ce que disaient les autres spécialistes d'organes vis-à-vis des médecins généralistes qui n'auraient pas été capables de prendre en charge des enfants, de faire de la gynécologie, de la contraception… C'est exactement la même chose. On reproduit ce qu'on a subi. Quand je lis les propos des syndicats de médecins sur les pharmaciens… Si j'étais pharmacien, je serais offensé ! Dans les campagnes, quand vous n'avez pas de médecin pour vous soigner, mais que vous avez des pharmaciens et des infirmiers qui se coordonnent avec un médecin, et que cette équipe prend en charge des populations, des problèmes de santé, tout fonctionne.

"On préfère que les pharmaciens vendent de la crème solaire et des antimoustiques?"

Mais quand vous avez les syndicats qui ne jurent que par le médecin, comment voulez-vous que ça marche sur le terrain ? Comme dans toute profession, les syndicalistes ont peur de perdre les élections. Donc, c'est la surenchère, c'est à celui qui va réclamer le plus d'argent. Les discours des syndicats depuis des années, c'est de dire qu'ils veulent des moyens. Qu'on m'explique, vu les moyens dont on dispose, comment est-il possible qu'en France, on ne soit pas capables d'organiser un système de santé ?

Tout de suite, on entend que les pharmaciens vont se substituer aux médecins. Est-ce que c'est écrit quelque part dans la loi ? Il y aura des protocoles, avec des cas spécifiques bien définis… Aujourd'hui, les pharmaciens ont des difficultés financières parce qu'ils ne vivent plus de la vente des médicaments. On préfère qu'ils vendent de la crème solaire et de l'antimoustique ? Ou bien on préfère qu'ils s'occupent de patients et prennent en charge des problématiques de santé ? Personnellement, je préfère la deuxième option. Et pendant ce temps, le patron de Doctolib vous annonce une levée de fonds extraordinaire et vous explique que demain, ils seront prêts à faire de la videoconsultation. Les médecins généralistes croient qu'ils sont irremplaçables. Non, nous ne sommes pas irremplaçables ! Les médecins scolaires ont disparu, les pédiatres de ville disparaissent… Les syndicats défendent le pré-carré du médecin, mais de quoi parle-t-on ? La vaccination est-elle un acte médical ? Non ! On manque de volonté et de courage politique. Quant aux généralistes qui disent qu'avec une vaccination ils font une consultation, qu'ils interrogent plus largement le patient… Je ne sais pas où ils habitent ! Moi, j'ai des patients qui viennent me voir juste pour le vaccin. L'exemple typique, ce sont les enfants. En quoi le médecin a une valeur ajoutée supérieure pour vacciner, peser, mesurer un enfant et donner des conseils alimentaires ? Une fois que vous avez fait votre examen, vous avez vu que l'enfant est en bonne santé, pourquoi le revoyez-vous le mois suivant ? Quelqu'un d'autre peut le faire. On a bien des étudiants qui le font au cabinet, et ils n'ont pas toute notre expérience. On peut valoriser d'autres métiers. On vous dit que pour les cystites, il faut examiner les gens. Non. Il faut faire un entretien correct et si vous avez répondu de telle manière à telle question, vous prenez un avis médical. Et voilà. En plus aujourd'hui, il y a des téléphones, il y a internet… On a l'impression qu'on ne sait pas se parler.  Aujourd'hui, on lance le DMP. Appuyons-nous là-dessus. On va me dire que le DMP n'est pas comme il faut… donc on est contre. Mais au moins il existe, on peut surement l'améliorer. A être par principe contre tout, on n'avance pas. Et celui pour qui c'est problématique, c'est le patient.

Il y a sans doute une affaire de générations de médecins. Nos syndicalistes ne sont plus tout jeunes. Ils racontent toujours la même chose. Déjà, avec la loi HPST on nous disait qu'on allait tout perdre si on acceptait ça... Mais on va tout perdre ! Quand vous voyez que Doctolib va faire de la vidéoconsultation… Combien de cabinets de médecine générale sont équipés pour en faire ? Il y aura toujours des médecins, mais sous quelle forme ? Seront-ils toujours installés en ville ? Est-ce qu'on va passer par des plateformes ? De la videoconsultation ?

"Les gens vont voir ailleurs si leur médecin n'est pas disponible"

Il y a des problématiques de santé auxquelles il faut répondre. La nature a horreur du vide. Donc il faut l'occuper. Si nous, médecins généralistes, on ne peut pas y répondre, d'autres vont y répondre à notre place. Voyez les urgences. Aujourd'hui, les systèmes de garde ne fonctionnent plus comme avant. Vous avez SOS, vous avez les urgences… Sans médecin de garde, les gens trouvent une autre réponse. Les plateformes type SOS se sont substituées au médecin généraliste la nuit, et petit à petit, elles se sont substituées au médecin généraliste le jour. Les gens se déplacent, ils vont voir ailleurs si leur médecin n'est pas disponible. Si vous avez une cystite et que votre médecin ne peut pas vous voir, que faites-vous ? Il faut bien régler le problème. Il faut vite se pencher sur le sujet, parce que Doctolib veut être celui qui offre le meilleur service au patient. Je regrette que ce ne soient pas les médecins qui portent ce discours, qui veuillent offrir le meilleur système de santé aux Français. Nous, on reste arqueboutés sur notre position en disant que si demain les pharmaciens prennent en charge les gastros et les cystites il va y avoir des morts. Non. Ils ne sont pas plus bêtes que nous, il suffit de leur apprendre. Comme nous, généralistes, on s'est formés à plein de choses. Si dans même dans les facultés on porte le discours du tout médecin, ça va être compliqué… On est à un tournant. Si on ne prend pas ce train, il va vite passer. Il va être très rapide et emporter rapidement les choses. Et les médecins risquent de rester sur le bas-côté. "

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