La malédiction de Toutankhamon disséquée par la médecine

29/03/2019 Par Aveline Marques
Histoire
C'est l'une des fake news les plus célèbres de l'histoire. De 1923 à 1930, la presse française fait les choux gras de la "malédiction du pharaon", qui frapperait quiconque aurait approché la momie de Toutankhamon, découverte dans la Vallée des rois en novembre 22. Du découvreur du tombeau au conservateur du Louvre, en passant par le radiographe de la momie, une vingtaine de "victimes" sont recensées. En dépit des explications fournies par les médecins et les scientifiques, le mythe perdure jusque dans les années 60. Maléfices, poisons, fientes de chauve-souris, champignons… qui a fait le coup ?

 

  Le Caire, 5 avril 1922. Un homme agonise dans sa chambre d'hôtel. Il gémit, se débat et délire. "Toutankhamon… J'ai entendu l'appel, c'est fini…", murmure-t-il à son infirmière, avant de rendre le dernier soupir à 2 heures du matin. Au même moment, raconte-on, une panne de courant plonge dans l'obscurité la capitale égyptienne. À des centaines de kilomètres de là, à Highclere Castle [Downton abbey, pour les connaisseurs, NDLR], la chienne du défunt hurle à la mort et s'écroule à son tour, raide morte. Dès le lendemain, la nouvelle est reprise par tous les journaux : "Lord Carnarvon, qui découvrit le tombeau de Toutankhamon, est mort cette nuit", titre le quotidien français Le Siècle.

Lord Carnarvon

On savait l'aristocrate anglais, âgé de 56 ans, souffrant depuis quelques semaines : une piqure de moustique – ou de scorpion ? – coupée au rasoir s'est infectée, déclenchant une septicémie, doublée d'une pneumonie. "Les médecins eurent beaucoup de peine à se procurer des médicaments nécessaires", signale le quotidien français. Avant de poser LA question qui agite le monde entier : "le Pharaon s'est-il vengé ? "

Cinq mois plus tôt, la découverte "sensationnelle" du tombeau de Toutankhamon par Howard Carter et Canarvon a émerveillé le monde entier, ravivant l'égyptomanie qui a gagné l'Occident au 19e siècle. "Un magnifique trésor vient d'être découvert dans la Vallée des Rois, près de Louqsor, à la suite de fouilles poursuivies pendant une quinzaine d'années par Lord Carnarvon et M. Howard Carter, rapporte Comoedia, le 1er décembre 1922. Ils ont mis au jour plusieurs salles souterraines contenant les objets funéraires, lits, chariots, statues, trône, manteaux, du roi Tout Ankh Amon, un des princes de la 18e dynastie, mort vers 1350 avant notre ère. Ce serait la plus grande découverte égyptologique de ce siècle." La démonstration du Dr Mardrus

Dr Joseph-Charles Mardrus

Une découverte aujourd'hui indissociable de la prétendue malédiction qui l'entoure… et ce, avant même le décès de Lord Carnarvon. "Le pharaon Toutankhamon se vengera", prophétise ainsi dans Le Journal du 18 février 1923, le Dr Joseph-Charles Mardrus, orientaliste célèbre pour sa traduction des Milles et une nuits, et accessoirement médecin sanitaire. Ce dernier rappelle l'incident qui s'est produit avec la momie de Ramsès II lors de son déshabillage au Musée du Caire en 1886 : la dépouille se serait "à demi" dressée sur son séant, "les mâchoires entrouvertes et le bras sorti hors de la vitre brisée", tenant, "brandi dans sa dextre, le fouet du bouvier", sa face "tournée vers le Nord". Une "violente réaction spontanée" – tension post-mortem – qui a provoqué une ruade éperdue vers la sortie de l'assistance, ministres égyptiens inclus.         L'annonce de la maladie de Lord Carnarvon suffit à déclencher l'emballement collectif, dans une société d'après-guerre versée dans le mysticisme. "Un petit incident peut paraître, à certains, d'un bien mauvais augure", rapporte Le Figaro, la veille du décès de l'archéologue : son oiseau de compagnie, qu'il aurait amené avec lui dans la tombe, se serait fait dévorer par un serpent. "Les fellahs manifestèrent, à cette nouvelle, la plus vive inquiétude", insiste le quotidien.

Un journaliste du Petit parisien, le célèbre Maurice Prax, s'amuse de cette histoire de "vengeance", dans une tribune du 22 mars 1923. "Lady Herbert [Evelyn, la fille de Lord Carnarvon, qui accompagnait son père et Carter à l'ouverture du tombeau, NDLR] a été opérée de l'appendicite parce qu'elle a eu une crise d'appendicite… Lord Carnarvon a été piqué par une sale bête parce qu'il y a encore de sales insectes au pays des pyramides… Lady Carnarvon a eu une panne d'avion parce que tous les moteurs ont encore, de temps en temps, des pannes… Les pharaons ne sont absolument pour rien dans ce scénario de film." "La mort viendra sur des ailes rapides à ceux qui toucheront aux tombeaux des pharaons" Peine perdue. À la mort de l'aristocrate, "la malédiction du pharaon" fait les choux gras de la presse anglo-saxonne et française. Frustrés par l'exclusivité accordée au Times sur la découverte du tombeau, les journalistes s'en donnent à cœur joie. Les célèbres romanciers Marie Corelli et Arthur Conan Doyle y vont de leur commentaire, la première blâmant des poisons antiques, le second "un esprit malin", contribuant tous deux à diffuser la légende selon laquelle les archéologues auraient passé outre l'avertissement inscrit sur une tablette : "La mort viendra sur des ailes rapides à ceux qui toucheront aux tombeaux des pharaons". Rares sont les tombes avertissant les profanateurs, s'amuse l'égyptologue français Marc Gabolde, a fortiori en ces termes. Professeur à l'université de Montpellier, ce grand spécialiste du pharaon le plus célèbre de l'histoire récente a récemment publié un ouvrage de référence sur la question, sobrement intitulé Toutankhamon, (éd. Pygmalion, 2015). Dans son édition du 8 avril, Le Matin mène l'enquête auprès des occultistes, théosophes, spirites et des égyptologues. "Enfantillages que tout cela, répond George Bénédite, conservateur des antiquités égyptiennes au Musée du Louvres. Pour ma part, voici déjà un certain nombre d'années que je vis parmi les momies et vous pouvez voir que je ne m'en porte pas plus mal. La vérité est que Lord Carnarvon, d'une santé débile, n'a pu résister aux fatigues des recherches qu'il avait entreprises", dément le savant, qui rappelle qu'il n'est pas rare que des archéologues et ouvriers décèdent au cours de fouilles. Ironie du sort, George Bénédite sera lui aussi l'une des victimes présumées de la prétendue malédiction.

"Lord Carnarvon est mort d'un accident. Il a eu tort de mourir près de la Vallée des rois, peu de temps après avoir violé la tombe d'un Pharaon. Ainsi naissent les légendes", écrit un journaliste du Siècle le 6 avril 1923. L'avenir lui donne raison. De 1923 à 1930, la liste des prétendues victimes de la malédiction s'allonge. Selon les sources, d'une quinzaine à une trentaine de décès sont recensés. Certaines personnes n'ont jamais approché, ni de près ni de loin, la dépouille du pharaon. C'est le cas notamment de l'infirmière de Lord Carnarvon ou encore du père de son secrétaire Richard Bethell, tombé du septième étage… D'autres sont effectivement mortes très peu de temps après avoir visité le tombeau, tel George Jay Gould, magnat des chemins de fer américain, décédé le 16 mai 1923 à l'âge de 59 ans de la "peste bubonique", rapportent plusieurs journaux. C'est tout simplement le froid du tombeau, visité en plein hiver, qui lui a été fatal : il a contracté une fièvre, puis une pneumonie. Le 15 janvier 1924, le Dr Archibald Douglas Reid, radiologue mandaté par le Gouvernement égyptien pour passer la momie aux rayons X, succombe "soudain", "dans la force de l'âge"  (53 ans) "aux atteintes d'un mal aussi inattendu qu'inexplicable", déplore le Dr Mardrus dans Le Matin du 4 février. Il était sur le point de s'embarquer pour l'Egypte. La nécrologie que lui consacre le British Medical Journal tend pourtant à prouver que sa mort n'a rien de soudain… Le scientifique avait connu de sérieux ennuis de santé trois ans auparavant, relève la revue. Il était par ailleurs atteint d'une radiodermite très invalidante. Qu'importe, le Dr Mardrus exulte : sa prophétie s'est réalisée. "Depuis l'ouverture du tombeau de Toutankhamon, il s'est produit une série d'événements dramatiques que j'avais prévus et annoncés, un mois à l'avance", souligne le médecin. Connaissant les dangers des tombeaux de l'Egypte ancienne, ce "scientifique" n'aurait pas pris la menace à la légère. "J'aurais fait ozonifier à sursaturation, puis sublimiser l'atmosphère viciée de l'hypogée, où pullulaient depuis tant de siècles, dans la sécurité, à même les peaux de bêtes, les tentures, les provisions et les offrandes de toutes sortes, sinon les Doubles, du moins les spores indestructibles de la bactéridie charbonneuse, les microbes de la peste, les germes de l'érysipèle et les armées innombrables des larves qui habitent les réduits de l'obscurité, expose-t-il. Et je me serais ensuite muni de quelques ampoules de sérum anticharbonneux, antivenimeux et antispécifique." Une malédiction "paresseuse et misogyne" Le 23 mars 1926, George Bénédite, le très respecté conservateur des antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, ajoute son nom à la liste. Il meurt à 69 ans, peu de temps après avoir visité le tombeau. On ne connaît pas la cause de sa mort. Le 6 avril 1928, Arthur Mace, archéologue qui avait abattu le mur du tombeau, s'écroule à son tour, à 54 ans. D'après l'égyptologue Marc Gabolde, le journal d'Howard Carter témoigne de la lente dégradation de la santé de son collaborateur. Mace a confié à Carter avoir été intoxiqué en 1921 en travaillant dans les tombes de Licht. Poussière minérales additionnées de bois, débris de momies, fientes de chauve-souris avaient provoqué une irritation et une inflammation de ses poumons. "Il comparait ses difficultés respiratoires à celles des mineurs de charbon atteints de la silicose", relève le Pr Gabolde.

En mars 1930, alors que certains journaux décomptent pas moins de 34 victimes, le journal L'œuvre tente de décrypter le phénomène avec l'aide d'une égyptologue bruxelloise. "Je voudrais bien que l'on me dise ce qui causerait toutes ces morts, s'écrie Mlle Werbrouck. A quelle cause physique on pourrait les attribuer ? Croit-on que les tombeaux des Pharaons renferment des microbes ? Ce n'est pas possible. Il y a trop longtemps qu'ils sont fermés, ils ne contiennent plus de germes vivants. On a essayé de faire pousser des grains de blé trouvés dans les sépulture : on n'a pas réussi." Quant à un éventuel poison, il se "serait évaporé ou répandu dans l'atmosphère à l'ouverture des tombeaux". La fréquence des cas de pneumonies aiguës interpelle néanmoins les scientifiques. En 1957, le Dr Geoffrey Dean de l'hôpital de Port Elizabeth (Afrique du Sud) croit avoir trouvé le coupable : un virus présent dans les fientes de chauve-souris aurait déclenché la "maladie des caves", l'histoplasmose. Mais nulle fiente dans la tombe, restée scellée durant 3000 ans. En 1985, le Dr Caroline Stenger-Philipp, met en cause les fruits et légumes laissés pour nourrir le pharaon au cours de son voyage vers l'éternité : en se décomposant, ils ont produit des moisissures et formé des particules de poussière organique très allergènes. Carter évoque en effet l'humidité et les poussières de la tombe, dont les fresques murales sont défigurées par des moisissures. Des champignons, notamment aspergillus, ont en effet été retrouvés en 1976 sur la momie de Ramsès II… ainsi que dans les taches brunes des murs de la tombe de Toutankhamon, révèle une étude microbiologique publiée en 2013. Chez des personnes relativement âgées, au système immunitaire affaibli, comme Carnarvon, ils pourraient avoir joué un rôle décisif.

Howard Carter

Reste que les "victimes" avaient en moyenne 52,4 ans, calcule le Pr Gabolde. Soit l'espérance de vie des hommes français à la période 1920-1923. "On est dans une mortalité tristement normale en regard du nombre de visiteurs du tombeau", souligne-t-il, ironisant sur cette malédiction tout à la fois "paresseuse" et "misogyne". Des trois premières personnes à avoir pénétré dans le tombeau, seule une a été rattrapée par le destin : Carnavon. Howard Carter, qui aimait se vanter dans la presse d'être "aussi solide que les pyramides", est mort à 64 ans d'un lymphome. Evelyn Beauchamp, fille de Lord Carnarvon, est morte quant à elle à l'âge de 79 ans. Elle s'en est tirée avec une banale appendicite.

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