Trois généralistes en cinq ans : ce désert va-t-il briser sa malédiction ?

05/12/2018 Par Catherine le Borgne
Démographie médicale
Chanu, une commune rurale de l'Orne touchée par la désertification médicale, en est à son troisième médecin généraliste recruté en cinq ans, après le départ en retraite de ses deux médecins. Après un an sans généraliste, l'embellie pourrait venir d'une jeune consœur native du coin, sur le point de toper-là à condition d'exercer en réseau avec la commune limitrophe.

Ecouter le maire de Chanu, Thierry Aubin, égrainer les histoires des échecs d'implantation de médecins généralistes dans sa commune de 1 200 âmes donnerait presque envie de sourire. Effet de répétition. Car bien qu'à chaque fois différentes, ces histoires se terminent toutes de la même manière : un départ et la commune qui se retrouve le bec dans l'eau. La poisse après que ses deux médecins de familles ont pris chacun à leur tour une retraite bien méritée, le dernier voici un an. On commence par un médecin roumain, recruté par un cabinet ad hoc. Un quadragénaire parlant "pas trop mal le Français", venu avec son épouse sans occupation et peu familière avec notre langue. "L'expérience a duré un an, relate le maire. On se doutait un peu que cela ne marcherait pas, le docteur n'a jamais cherché à s'intégrer à la population. Il est parti."

On enchaîne avec un urgentiste de Flers, attiré par une implantation en médecine libérale tout en continuant son activité à l'hôpital. "Il est resté un peu plus d'un an. C'était bien, mais il était débordé, il oubliait les rendez-vous Là, ce sont les gens de la commune qui ont dit 'stop'", relate Thierry Aubin. Deuxième échec. Troisième séquence :  une consœur espagnole, recrutée avec l'aide du département et le soutien de l'ARS. Tout semblait d'équerre : accueil en fanfare avec presse locale, cours de Français, validation des diplômes par l'Ordre, forte envie de travailler en France pour cette femme d'expérience qui venait de quitter un dispensaire où elle était salariée. "On la comprenait bien quand elle parlait", se souvient le maire avec nostalgie. Mais là encore, la bouture n'a pas pris. "Elle voulait avoir les mêmes conditions d'exercice qu'en centre de santé où elle avait une secrétaire. C’est-à-dire quatre patients par heure, pas de consultations à midi, pas le samedi. Des patients sont venus une fois, mais ne sont pas revenus, elle avait des horaires rigides. La population a dit 'non', on ne suit pas'"…  

"Et avec 4 patients par heure, elle ne gagnait pas suffisamment sa vie"

Car, élément à connaître dans cette commune rurale où la population âgée est nombreuse, il faut que le praticien accepte de voir entre 6 et 8 patients par heure pour pouvoir absorber la file d'attente. Ce que faisaient quotidiennement les médecins de la vieille école, aujourd'hui en retraite. "Elle n'a pas accepté ce rythme, elle n'était pas souple du tout, elle voulait éduquer les patients. Et avec 4 patients par heure, elle ne gagnait pas suffisamment sa vie alors qu'elle bénéficiait en parallèle, de l'aide de l'ARS. Quand l'aide de l'ARS a disparu, elle est partie." Et voilà de nouveau la commune le bec dans l'eau. Exceptionnellement, le médecin généraliste retraité a accepté de suivre ses anciens patients en maison de retraite, ce que la consœur espagnole avait refusé de faire, alors qu'on lui avait proposé. "Là encore, on n'a pas compris", soupire le maire qui commence à penser, comme le député LR Jérôme Nury, que seule une politique nationale un peu plus "coercitive" pourrait inverser la tendance. "Il faut que ces jeunes médecins, qui font leur leurs études notamment avec l'argent public, on puisse les obliger à venir sur nos territoires ruraux pendant deux ans, trois ans ou cinq ans pour apporter ce service indispensable" a estimé le député LR sur France 3, tout récemment. "Nous offrons de bonnes conditions : 6 mois de location du cabinet gratuits, avec tout le matériel dedans… C'est franchement une déception", souffle le maire. Il compare Chanu à ces "régions de France qui sont en surnombre, où les médecins ont des difficultés à gagner leur vie" et ajoute, pas mécontent de bousculer le "puissant lobby médical de l'Assemblée, tous ces médecins qui font de la politique, qu'alors qu'on forme des médecins très cher – ce qui est normal-  on ne leur demande pas en contrepartie de remplir une mission pour l'Etat. Les pharmaciens ont bien une régulation à l'installation. Pourquoi pas les médecins" ? questionne-t-il, en regrettant que l'idée de la suppression du numerus clausus et du concours de la Paces, annoncés par le Gouvernement, ne soient pas intervenus plus tôt. "Il faut que les médecins prennent des stagiaires et des remplaçants", plaide-t-il.

Mais… Peut être que la solution est en train d'émerger issue du terrain et non pas des contrées étrangères. Une jeune femme tout récemment thésée, originaire de la commune d'à côté, vient en effet de prendre contact avec le maire. En tant que remplaçante, elle connaît les conditions de travail, mais ce qui pourrait entraîner son adhésion tient à l'environnement : cette commune limitrophe, Tinchebray, qui fonctionne en maison médicale privée de 4 médecins, prend des remplaçants et lui a déjà proposé de l'inclure dans son "pôle" de santé virtuel. Un ballon d'oxygène grâce au travail en réseau, qui lui permettrait de tenir le rythme. L'esquisse de la solution ? "A 99 %, elle signe", pariait Thierry Aubin en croisant les doigts.

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Stéphanie Beaujouan

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