"La vaccination est un homicide involontaire" : la nuisance des anti-vaccins

29/06/2018 Par Fanny Napolier
Médicaments

[Rediff] - Adeptes de la naturopathie, complotistes ou simplement inquiets, les anti-vaccins se font entendre de plus en plus. Grâce à Internet, leur discours trouve un écho sans précédent. Inquiets, les pouvoirs publics peinent pourtant à se faire entendre face à ces lobbys qui profitent d’un terreau fertile.     A bientôt 2 ans, Pierre n’a encore jamais été vacciné. "Nous ne voulons lui faire que les vaccins obligatoires, ce qui n’est pas possible. Le DT-Polio n’est plus commercialisé depuis 2008", rétorque son père, Mickaël Lecomte, au pédiatre qui s’étonne de trouver un carnet de vaccination vierge. "Je ne vais pas prendre de risques pour des maladies peu fréquentes. Quand on évalue le rapport bénéfices risques, le bénéfice tend vers zéro, et le risque tend vers l’intolérable. J’ai peur des effets secondaires", explique Mickaël Lecomte, qui ne se définit pourtant pas comme un "anti-vaccin". D’ailleurs, s’il a été consulter ce pédiatre, c’est bien pour faire vacciner son fils contre la fièvre jaune avant un séjour au Gabon. En France, la couverture vaccinale des nourrissons atteint les 98 %, indique l’Institut de veille sanitaire (InVS). Mais une diminution de cette couverture a été observée au début de l’année 2015, et inquiète les autorités. "C’est un fait, un mouvement de défiance vis-à-vis de la vaccination s’est développé dans notre pays. Le taux de couverture vaccinale contre la grippe a chuté de 13 points depuis 2008. Les professionnels de santé expriment leurs inquiétudes face à la baisse de la vaccination chez les nourrissons et à la résurgence régulière des cas de rougeole. Des signes préoccupants ne peuvent être négligés", indiquait Marisol Touraine, début janvier, lors de la présentation de son plan d’action pour une rénovation de la politique vaccinale.   Internet, une caisse de résonance inédite   Pour autant, il ne faut pas oublier que les craintes vis-à-vis des vaccins sont à peu près aussi vieilles que les vaccins eux-mêmes. Au début du XIXe siècle, peu après la naissance du premier vaccin contre la variole, la rumeur voulait que l’injection fasse courir le risque d’être métamorphosé en vache. "Les mouvements anti-vaccination au XIXe siècle sont massifs dans les pays anglo-saxons, explique Didier Torny, sociologue et directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Il y avait des mères qui, en sortant du cabinet du médecin, suçaient la plaie vaccinale de leur enfant comme pour en extraire le poison. D’autres parents enregistraient les nouveau-nés sous un faux nom pour échapper à la vaccination." Si les mouvements ont évolué depuis cette époque, une constante demeure dans la méfiance vis-à-vis de la vaccination : "l’introduction de substances toxiques dans un corps sain reste suspecte". Pour le sociologue, les mouvements d’aujourd’hui demeurent minoritaires, mais ils trouvent sur Internet et via les réseaux sociaux une caisse de résonance inédite. En mai dernier, le Pr Henri Joyeux, cancérologue, lançait une pétition sur Internet contre Infanrix hexa (diphtérie, tétanos, polio, coqueluche, hépatite B et Hæmophilus influenzæ) et pour le retour du DT-Polio. Hébergé sur le site d’une association belge, l’Institut pour la protection de la santé naturelle, le texte a recueilli plus de 530 000 signatures en dix jours. Le 14 janvier dernier, l’ex-médecin homéopathe Marc Vercoutère a été condamné pour exercice illégal de la médecine. Pour la quatrième fois. Marc Vercoutère n’est plus inscrit à l’Ordre depuis 1992, mais continue de délivrer des certificats de contre-indication à la vaccination. "Cette nouvelle condamnation ne va rien changer à ma pratique. Je n’ai pas le droit de refuser de porter assistance à une personne en danger", assure l’ancien médecin installé à Pau (Hautes-Pyrénées). Ce dernier certificat, il l’a délivré à la demande d’une famille de Strasbourg, qui a fait le déplacement après avoir eu connaissance des services de Marc Vercoutère. "Il m’a connu parce que je transmets des informations par mon association, par Internet... Le médecin doit donner une information appropriée au patient afin qu’il donne son consentement éclairé. Moi, j’apporte cette information puisque la France est le royaume de la pensée unique. La vaccination doit être assimilée à la mise en danger de la santé d’autrui par l’administration de substances toxiques. C’est une forme d’homicide involontaire", assure celui qui est aussi président de l’Association liberté information santé (Alis).   La théorie du complot "Il y a deux types de personnes méfiantes par rapport à la vaccination. Il y a les sceptiques, qui alertent sur les dangers potentiels de l’aluminium ou sur les liens entre hépatite B et sclérose en plaques. Souvent regroupés en associations, ils veulent peser dans le débat, être entendus mais ne sont pas opposés au principe de la vaccination. Et puis il y a les anti-vaccins. Ils sont 2 ou 3 % de la population. Ce sont les plus actifs, ils ont un discours très radical où la liberté individuelle prime sur la responsabilité collective", analyse Sandrine Hurel, auteur d’un rapport sur la rénovation de la politique vaccinale pour le ministère de la Santé. "Ces gens-là sont des adeptes de la théorie du complot. Ce sont des gens que l’on ne peut pas atteindre, on ne pourra pas les convaincre. Ils sont dans ce que l’on pourrait assimiler à une religion, une foi. Ce qu’il faut c’est limiter leur influence, et ça on ne sait pas faire", ajoute le Pr Daniel Floret, président du Comité technique des vaccinations. Et parmi les sujets chers aux anti-vaccins, celui des effets secondaires et des adjuvants est particulièrement sensible. Pour répondre à la question de l’aluminium, une nouvelle étude de l’Inserm dirigée par le Pr Romain Gherardi et financée par l’Ansm est en cours. Les conclusions devraient être connues en juillet 2017. "Aujourd’hui, les études menées au niveau international concluent à un rapport bénéfices-risques favorable. Mais il s’agit de lever tout doute potentiel. Pour le moment, on n’est pas capable de répondre en étant sûr à 100 %. Il est d’ailleurs demandé aux laboratoires de trouver d’autres méthodes pour doper l’immunité sans aluminium", glisse Sandrine Hurel, dont le travail a servi de base au plan de rénovation de la politique vaccinale. Un discours pour le moins ambivalent qui ne passe pas auprès de certains pontes de la vaccination. D’autant que le Pr Gherardi, qui dirige cette nouvelle étude, a justement décrit dans The Lancet, en 1998, un lien entre la présence d’aluminium dans les vaccins et la déclaration d’une myofasciite à macrophages chez certaines personnes. "Il n’y a qu’en France qu’on se pose autant de questions par rapport aux adjuvants ! Tout ça parce que des chercheurs ont lancé des idées qui ont fait polémique et qui n’ont été reprises nulle part ailleurs", s’agace le Pr Daniel Floret. "Le silence des pouvoirs publics face aux polémiques a été un problème majeur ces vingt dernières années, poursuit le Pr Floret. À tel point qu’aujourd’hui la parole publique est difficilement audible. C’est la raison pour laquelle les médecins et les professionnels de santé dans leur ensemble doivent jouer un rôle d’intermédiaire. Toutes les études le montrent, ils sont l’élément clé dans la décision de vacciner ou de se faire vacciner."   "Pas de ligue anti-vaccins sans médecins anti-vaccins"   Sauf que le doute au sujet de la vaccination a aussi sa place chez les médecins. Si les généralistes se disent très largement favorables à la vaccination en général, près d’un tiers dit se méfier des sources officielles, et plus de la moitié ne se sent pas à l’aise pour expliquer le rôle des adjuvants aux patients, révèle une étude de la Drees de mars 2015. "Près d’un quart des généralistes émet des doutes à l’égard des risques et de l’utilité de certains vaccins", assure même cette étude. "Bien sûr que les professionnels de santé sont à convaincre. Il est clair qu’il n’y aurait pas de ligue anti-vaccins sans médecins anti-vaccins. Ils sont un élément moteur dans ce mouvement", commente le Pr Daniel Floret. Les médecins les moins confiants, indique la Drees, "sont plus âgés et ont un plus faible volume d’activité que la moyenne. Exerçant plus fréquemment seuls, ils pratiquent davantage les médecines douces et ont été confrontés plus souvent que leurs confrères à une maladie grave, parmi celles ayant provoqué des polémiques sur la vaccination". À l’image de ce portrait-robot, l’ex-médecin homéopathe Marc Vercoutère qui délivre des certificats de contre-indication à la vaccination assure avoir développé une neuropathie dégénérative après une vaccination contre l’hépatite B, à l’âge de 25 ans. Sans être aussi radicaux, une partie des médecins exprime un certain malaise vis-à-vis de la vaccination. En cause, notamment, un manque de formation au cours de leurs études et un manque de temps ensuite pour se pencher sur le sujet. "La vaccination est un sujet très compliqué. Les médecins n’ont pas le temps de se consacrer à la vaccination, de se plonger dans les effets secondaires. Et d’autant plus pour des maladies qui n’existent presque plus, qu’ils ne voient plus", assure le Pr Floret. Comment dès lors assurer ce rôle de pivot que l’on attend d’eux ? "Les médecins ont été traumatisés par les épisodes H1N1 et hépatite B. Ils se sont sentis méprisés, humiliés, souligne Sandrine Hurel. Je comprends ce traumatisme, mais il faut avancer. On a besoin d’eux." Pour remettre les médecins généralistes au coeur de la politique vaccinale, elle a recommandé au ministère une lettre d’information trimestrielle. "Les médecins sont en demande d’information. Quand ils n’ont pas les éléments pour répondre à leurs patients, il leur faut une information facile et actualisée", indique l’ancienne députée. Par ailleurs, une réunion de travail pourrait avoir lieu régulièrement avec la Direction générale de la santé (DGS). Le plan de rénovation de la politique vaccinale prévoit aussi un grand débat, rassemblant citoyens, professionnels de santé et experts. "Il faudra donner la parole à ceux qui doutent en s’appuyant sur des arguments empiriques pour leur opposer des arguments scientifiques et démonter leur discours", ajoute Sandrine Hurel. Des conclusions sur l’évolution de la vaccination seront remises à la fin de l’année. Elles devront notamment se prononcer sur le maintien ou non de l’obligation vaccinale.   [Cet article a inialement été publié le 2 février 2016]

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