Télé-expertise : "Les médecins vont-ils risquer un procès pour 12 euros ?"

19/04/2018 Par Catherine le Borgne
Montant du forfait structure destiné à dépénaliser les investissements, unanimement critiqué pour son faible niveau ; rémunérations des médecins requérants et experts requis, jugées si faibles que les ces derniers pourraient bien gommer la télé-expertise de leur exercice, trop chère à produire et trop risquée en termes de responsabilités… Alors que le terme de la négociation avec l'assurance maladie approche, les syndicats médicaux sont très critiques sur le projet d'avenant soumis par les caisses permettant d'inclure, dès septembre prochain, la télémédecine dans leur pratique.
 
 

La stratégie des petits pas. Comprendre, les petits pas effectués par l'assurance maladie depuis plusieurs semaines pour convaincre les syndicats de signer dans un avenant ad hoc les règles de la télétransmission (téléconsultation et télé-expertise). Mais MG France, la FMF, le SML, le BLOC et la CSMF (seul syndicat non signataire de la convention) ne sont pas prêts à se laisser manger tous crus et montent la barre des exigences, notamment tarifaires. Hier, toute la journée, une "ultime" séance de négociation devait être conclusive. Elle ne l'a pas été. En plus de la télétransmission, ont également été négociés plusieurs articles remaniés de la convention 2016, concernant notamment les consultation ou visites longues, les contrats d'installation subventionnés, l'Optam… Auant de revendications syndicales, auxquelles s'étaient ajoutées celles du président de la CSMF, qui avait notamment conditionné son éventuelle signature conventionnelle à la suppression de l'article 99 de la loi de financement de la sécurité sociale 2017 (qui permet au directeur de la Cnam de baisser unilatéralement les tarifs de forfaits techniques s'ils dérapent). Ce qui relève de la loi. Les parties sont encore très divisées sur le contenu de l'avenant télétransmission. Voici quelles sont les dernières propositions de l'assurance maladie.  

Téléconsultations

Pour qui ? Elles seront ouvertes à l'ensemble des patients, dès le 15 septembre prochain, dans le cadre du parcours de soins coordonné. C'est une avancée, puisqu'originellement, elles ne devaient démarrer que pour les personnes en ALD ou les zones désertifiées, au 1er janvier prochain.   Comment ? L'acte à distance doit être réalisé dans le cadre du parcours de soins entre un médecin libéral, quelle que soit sa spécialité, "téléconsultant" et un patient qui peut être assisté par un autre professionnel de santé. Ce qui signifie que le patient doit être connu du médecin traitant (au moins une consultation en présentiel lors des 12 derniers mois) et orienté initialement par lui (lorsque la téléconsultation n'est pas effectuée avec lui). Ces actes à distance doivent être réalisés en alternance avec les actes en présentiel. Des exceptions au parcours de soins sont rappelées : patient de moins de 16 ans, spécialités en accès direct, lorsque le patient n'a pas de médecin traitant ou si ce dernier est indisponible rapidement. Dans ces deux derniers cas - c'est une nouveauté, une "organisation territoriale coordonnée" doit être sollicitée pour venir en aide rapidement au patient, soit des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé), des ESP (équipes de soins primaires), des MSP (maisons de santé pluridisciplinaires). Ces solutions doivent être validées en commissions paritaires locales ou régionales. L'acte de télémédecine doit faire l'objet d'un compte rendu, qui sera, le cas échéant, intégré dans le DMP du patient.   Combien ? Les téléconsultations seront honorées dans les mêmes conditions que les consultations présentielles : 25 euros pour un médecin généraliste avec les éventuelles majorations personnes âgées (MPA) et 30 euros pour un spécialiste. Le médecin associé à la téléconsultation, et qui assiste le patient, peut également coter une consultation. Nouveauté : les dépassements d'honoraires sont autorisés pour les praticiens en honoraires libres, ce dont se félicite le Dr Philippe Vermesch, le président du SML. Il regrette toutefois que sa proposition de cotation de la lettre clé APC (ex C2) ne puisse pas être appliquée au médecin requis. Le Dr Jacques Battistoni, le président de MG France, affiche une certaine satisfaction à ce point de l'accord.  "Le champ de la téléconsultation, dans un cadre de parcours de soins, est bien défini. C'est un signe positif", relève-t-il. Le Dr Bronner, président de la branche généraliste de la FMF, trouve pour sa part que le deal est "correct".   Quelle dépénalisation des investissements ? Les caisses ont proposé – en signe de bonne volonté - un coup de pouce au forfait structure pour la location de la plateforme sécurisée (50 points; le point est à 7 euros) et pour le matériel (25 points). Soit un total de 525 euros jugé très insuffisant par tous les syndicats, même si, selon le SML, "cela va dans le bon sens". "Ne serait-ce que pour la mise à jour de nos logiciels, cette somme est largement insuffisante", brocarde le Dr Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. Les syndicats évaluent à environ 1 000 euros par an minimum les sommes à débourser pour être opérationnels en télétransmission.  

Télé expertise

Si les négociations avancent dans la bonne direction pour la téléconsultation selon un avis quasi unanime, il n'en va pas de même pour la télé expertise. Et entre les caisses et les syndicats médicaux, les points de vue semblent encore très éloignés. "Les choses se gâtent", résume le Dr Battistoni. La CSMF déplore ainsi "la frilosité" de la Cnam, qui aura pour conséquence une pénalisation des patients, "qui attendent parfois de longs délais pour obtenir certains rendez-vous". "On ne sait pas si la profession va se mobiliser pour cette technique qui a vocation à rester marginale, mal rémunérée et qui ne résoudra pas la problématique de la désertification médicale", a grogné le Dr Jean-Paul Hamon.   Pour qui ? La télé-expertise a vocation à concerner tous les patient (elle doit être demandée par un "médecin requérant" et donnée par un "médecin requis"), mais la montée en charge se fera par étapes. Priorités de la première étape : les patients (a priori connus du médecin requis) en ALD, atteints de maladies rares, résidant en zones sous-denses, résidants en Ehpad, détenus (en cours d'expertise).   Comment ? Deux niveaux d'expertise sont définis :   -Le niveau 1 consiste à donner un avis sur une question circonscrite, sans nécessité d'effectuer une étude approfondie d'une situation médicale : analyse de documents en nombre limité (photos, résultats d'examen complémentaire isolé, données cliniques y compris pour aider à l'orientation de la prescription) -Le niveau 2 consiste en un avis circonstancié donné en réponse à l'exposition d'une situation médicale complexe après étude approfondie et mise en cohérence. L'avis de second niveau correspond à l'analyse de plusieurs types de documents. Les patients doivent être connus du médecin requis, nécessité facultative pour les téléexpertises de niveau 1.  Le compte rendu doit être transmis au médecin traitant, et glissé, le cas échéant, dans le DMP du patient. Au terme d'une année de mise en place, les médecins et l'assurance maladie jugeront de l'opportunité de créer un troisième niveau d'expertise.   Combien ? Pour le médecin requis, niveau 1, pour une expertise ponctuelle ou répétée : -12 euros par télé-expertise, dans la limite de 4 actes par an, par médecin, pour un même patient Pour le médecin requis, niveau 2, pour une expertise ponctuelle : -20 euros par télé-expertise dans la limite de 2 actes par an et par médecin pour un même patient Niveau 1 et 2 sont cumulables pour un même patient dans les limites fixées par chacun d'entre eux. Une nouveauté : l'acte de téléexpertise au profit de patients admis en Ehpad et qui changent de médecin traitant sera facturé en niveau 2, tant pour le précédent médecin traitant que pour le nouveau. Il n'y a pas de possibilités de dépassement d'honoraires. Pour le médecin requérant : -Forfait de 50 euros par an entre 1 et 10 télé-expertise requises. -5 euros supplémentaire à partir de la 11ème avec plafonnement à 500 euros par an pour l'ensemble des télé-expertises requises. La caisse a fait un grand pas en avant par rapport à sa dernière proposition, qui était, pour le médecin requérant, un forfait de 150 euros n'intervenant qu'après 30 requêtes/an. Sur ce chapitre, et malgré l'effort de l'assurance maladie, le tollé des syndicats est unanime. Les propositions des caisses sont qualifiées de " très basses, tant pour le médecin requérant que pour le médecin requis, et ne sont pas de nature à permettre son développement", regrette la CSMF, engagée sur d'autres négociations conventionnelles. "C'est peu. Nous demandons une rémunération de 50 euros tout de suite, plus une valorisation à l'unité, bonifiée pour une demande d'expertise de second niveau", développe le Dr Battistoni. "Nous ne savons pas si les médecins généralistes auront envie de s'investir pour 5 euros, au vu des investissements coûteux nécessaires", tempère-t-il, "très réservé". Mêmes doutes à la FMF, où le niveau de rémunération des experts partage les troupes entre ceux qui estiment que cette rémunération ne peut être inférieure à une consultation présentielle et refusent une "sous médecine, une insulte". Et ceux qui acceptent une rémunération pour un avis qui jusqu'à présent, a souvent pu être donné gratuitement à un médecin traitant par son correspondant spécialiste. Le Dr Hamon ne semble pas vouloir endosser le costume d'un président qui "signe pour un demi C. Il faut un effort pour le médecin requérant qui demande une expertise de niveau 2. Recevoir 5 euros, c'est insuffisant pour avoir envie de s'investir". Une consultation électronique de ses troupes devrait lui permettre d'y voir plus clair.   Au SML, c'est aussi le doute. "C'est une rémunération très faible", commente le Dr Vermesch, "et cela soulève un problème de responsabilités. Les médecins accepteront-ils d'aller au procès pour 12 euros ?" . Autres mesures de l'avenant : la mise en place d'un observatoire qui permettra, d'ici 2020, de tirer les conclusions nécessaires pour aménager si besoin, le mécanisme. Par ailleurs, une évolution du dispositif démographique est au programme, afin de rendre les zones en tension plus attractives ; des modifications de nomenclature permettant de mieux prendre en compte les consultations complexes sont également annoncées. L'évolution de la CCAM (nomenclature) vers des tarifs cibles sera poursuivie "pour favoriser l'accès aux soins des patients à des soins spécialisés aux tarifs opposables et réduire le reste à charge", promet la Cnam. Au final, un ultime projet d'avenant sera présenté aux syndicats cette fin de semaine. Les assemblées générales ou consultations électroniques des diverses instances syndicales devraient s'étager tout au long du mois de mai.

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