Des médecins tabassés pour avoir dénoncé la coercition : vis ma vie en Algérie

18/01/2018 Par Fanny Napolier

Des coups de matraque à la tête, des visages ensanglantés, des blessés évacués… C'est avec une grande violence que les forces de l'ordre ont réprimé début janvier les jeunes médecins en Algérie, qui sont toujours aussi nombreux à venir exercer en France. Depuis deux mois, ils se rassemblent pour dénoncer notamment le service civil qui leur impose d'exercer jusqu'à quatre ans dans un désert. Mais la loi interdit les manifestations.

  "C'est affligeant. C'est triste. C'est lamentable. Je ne trouve pas vraiment les mots, déplore Ismaël* généraliste franco-algérien exerçant en France depuis plus de 15 ans. Je ne comprends pas comment les pouvoirs publics peuvent réprimer leurs élites avec autant de force. J'ai vu des images insoutenables. C'est une atteinte à l'intégrité physique, morale et professionnelle. Matraquer des médecins, j'ai rarement vu ça. Il y a eu des blessés graves, dont certains en réanimation et en neurochirurgie pour des hématomes intracérébraux. C'est très grave."  

"Des endroits où il n'y a rien"

  En 2002, quand il a quitté l'Algérie à la fin de ses études, c'était notamment pour fuir ce service civil. "Comment peut-on obliger un médecin qui a donné sa jeunesse pour se former à aller à tel endroit pendant trois, quatre ans ?, s'indigne le généraliste. Pendant ce temps, ils sont éloignés de leur famille, de leurs enfants… J'ai des amis qui se sont retrouvés dans des villes très éloignées de la capitale, laissant famille et enfants à plus de 1 000 kilomètres pour aller dans des endroits où il n'y a rien, et travailler dans des conditions difficiles." Voilà des années que les internes en médecine tentent d'obtenir une réforme de ce dispositif, en vain. Les mêmes revendications ont déjà été portées en 2011, puis en 2015. C'est le moyen qu'ont trouvé les autorités algériennes pour combler leurs déserts médicaux. Cette coercition peut durer plusieurs années, et est suivie, pour les hommes d'un an de service militaire obligatoire. "Loin de nous l'idée de mépriser nos concitoyens qui vivent à l'Intérieur du pays, indique le Collectif autonome des médecins résidents algériens qui fédère le mouvement. On revendique une abrogation du service civil et son remplacement par un autre système de couverture sanitaire pour l’intérêt des malades et l’épanouissement socioprofessionnel du médecin."  

"Les investissements ont été très mauvais"

  Depuis début novembre, les internes n'assurent plus que les urgences et tentent d'organiser des rassemblements malgré les interdictions. Ces derniers jours, ils en sont venus à boycotter l'examen national du DEMS, qui valide la fin de leur internat. A Alger, le mouvement draine des médecins venant de tout le pays. Ils ne veulent plus continuer dans ces conditions, le matériel est inexistant ou cassé. Les locaux sont sales. Les soignants épuisés. Le mouvement, auquel se sont joints d'autres professionnels de santé, rassemble aujourd'hui quelque 9 000 personnes. Au lendemain des manifestations d'internes, soutenus par leurs aînés, le ministre de la santé algérien a promis "d'alléger et de développer le service civil en améliorant les conditions de travail", tout en estimant qu'il restait "plus que nécessaire." Des promesses d'amélioration auxquelles Ismaël ne croit pas une seconde. Pour lui, les racines du mal sont bien trop profondément enracinées. "L'économie algérienne est au fond du trou. La gestion économique a été catastrophique malgré les richesses en pétrole et en gaz. Il y a eu des rentrées d'argent, mais les investissements ont été très mauvais. Il aurait fallu construire des hôpitaux, acheter du matériel…", déplore le médecin, qui alterne entre colère et tristesse. "Expliquez-moi comment des personnalités ou des politiques algériens vont se faire soigner à l'étranger, en Suisse, en France, au Canada et délaissent leurs propres hôpitaux ?, ironise Ismaël. Ça témoigne d'un manque de confiance énormissime. Mais qu'ont-ils ont fait pour pallier à ça ? A part bouffer l'argent de leur pays ?"  

"On leur donne des raisons de fuir !"

  Comme lui, ils sont nombreux chaque année à quitter l'Algérie pour poursuivre leurs études en France et y exercer. En 2017, l'Ordre des médecins comptait près de 5 000 médecins formés en Algérie. "C'est aujourd'hui que l'on se rend compte qu'il y a une véritable hémorragie. C'est en 2018 que l'on se pose la question de savoir pourquoi on a autant de médecins qui fuient leur propre pays ?", s'indigne Ismaël. Selon lui, des discussions ont lieu depuis quelques années entre la France et l'Algérie pour tenter d'endiguer cette fuite des médecins. En vain. "Comment créer un système qui ne touche pas à la liberté des personnes ? Comment les autorités pourraient m'interdire de partir ?, lâche le généraliste. Au vu de ce qu'il se passe, je ne suis pas certain que les autorités aient pris conscience du problème. En arriver à tabasser des médecins… Et après on s'étonne qu'il y ait une fuite ? On leur donne des raisons de fuir !" Depuis l'autre rive de la Méditerranée, il observe le mouvement de protestation avec admiration. "Pendant mes études, j'ai vécu le terrorisme. Avec ce prétexte, certaines lois ont été adoptées pour interdire de manifester, de se rassembler… Sauf qu'on est en 2018 !, fulmine le généraliste. L'action de ces médecins, c'est un acte de bravoure. Ils se réveillent. J'ai toujours l'espoir que des personnes se soulèvent et que cette monarchie déguisée prenne fin."   *Le généraliste a souhaité conserver son anonymat.

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