Régulièrement, Egora vous invite à lire des billets de médecins blogueurs. Aujourd'hui nous publions celui d'"Un interne". Cet étudiant en médecine a écrit un billet dans lequel il dévoile son envie de tout arrêter. Non pas parce qu'il n'aime plus la médecine, bien au contraire. Mais plutôt parce qu'il a décidé de "ne pas rentrer dans le moule" du département de médecine générale (DMG) de son université. J’ai envie de m’arrêter. Je ne pensais pas qu’un jour je pourrais penser “arrête toi”. Pas depuis que je sais que je vais devenir médecin. D’ailleurs j’étais surpris que des gens puissent le penser. Puis j’ai découvert l’hôpital. Comme interne. Interne, ça dure 6 mois. Assez long pour bien en baver. Assez court pour tenir le coup et se barrer. Le souci, c’est que l’hôpital, moi, j’aime ça. J’adore. Le travail en équipe, les co internes, les chefs de toutes les spécialités, mais aussi les infirmiers/infirmières… Tout un petit monde. Il arrive aussi, à l’hôpital, de s’entourer de collègues sympas. De piliers quand ça va mal, des gens avec qui on prend plaisir à travailler. Mais j’ai eu aussi à découvrir une autre facette de l’Université. Une face obscure qui présente un très joli minois. Avec tout un vocabulaire “bienveillant”, “centré sur l’apprenant”, “approche par compétences”… Honnêtement, un joli bordel. Avant, j’avais des cours. Devant tel patient avec tel symptômes, pense à ça, à ça, puis ça. Ensuite, donne le traitement X ou Y, si ça ne va pas mieux passe au traitement W. Puis adresse au service A, B ou C si ça s’aggrave. En pratique, ça marche plutôt bien. Les premières coliques néphrétiques sont contentes d’être soulagées. Les appendicites eux ont un peu peur du bloc… Rien de bien méchant pour les premiers patients que j’ai eu à prendre en charge. Ça ne se passe pas si mal l’hôpital. Je valide tous mes stages, y compris chez le praticien de médecine générale qui me demande de venir travailler chez lui plus tard avec ses associés, tout comme 3 services où je suis passé qui me demandent de revenir. Je suis aux anges avec les malades. J’adore mon métier. Vraiment. Enfin, j’adorais, j’aimais, j’aimais y consacrer du temps, sortir tard parce que je suis consciencieux, non pas auprès de mon chef de service, mais auprès de mon patient. Rentrer chez moi en me disant : j’ai bien bossé. Depuis que je suis interne, une structure pesante en médecine générale me torture l’esprit. Je parle bien de mon DMG. Tout ce que je vous dis et qui contribue à mon épanouissement professionnel est tabou. Je ne vais pas m’appesantir là-dessus. J’ignore quelle est la nature de leur galimatias improbable : Balint, Calgary Cambridge, Cairn, la charte des questionnaires (google) de thèse, la revue Exercer… et leur pendant pratique : le RSCA, le portfolio, la “marguerite”… Pour ceux qui me lisent, ils le savent : j’emmerde tous ces concepts. Je les emmerde grave. Ils me gavent. Ce n’est pas de la médecine mais des “sciences humaines” de comptoir. J’emmerde la marguerite. Enfin, j’emmerde l’approche par compétences. S’il n’existe pas d’objectifs pédagogiques clairs en médecine générale alors la médecine générale n’est pas une discipline (mais bien une addition d’autres disciplines appliquées au milieu “ambulatoire”). J’emmerde le carré de White qui m’empêche de faire une thèse sur une pathologie qui m’intéresse, j’emmerde le portfolio des ESI qui les fout au 2/3 en déprime chronique. Des compétences ? De l’expérience ? J’en ai. Je peux tenir une conversation en 4 langues, j’ai vécu au milieu de maliens, comoriens, algériens, portugais, sénégalais, dans le département le plus pauvre de France, dans un logement insalubre de cafards dans les chiottes communes et de rats entre deux tentes de roms sur le périph’ le matin en allant à la fac. J’ai moi-même été pauvre. Très pauvre. J’ai vécu la privation dans tous les sens. J’ai vécu la maladie, la mienne, celle de mes proches, la mort d’un parent proche, j’ai vu les balles siffler en Algérie, et les coupeurs de gorge à chaque virage, à chaque barrage. J’ai été précaire, à la limite de vivre à la rue, j’ai soutenu ma famille, mes frangins, je donnais à la maison. J’ai été manutentionnaire, dans le bâtiment, aide-soignant, infirmier, brancardier, standardiste d’hôpital, j’ai donné des cours gratuits de français aux réfugiés. J’ai appris le français à ma propre mère… Et puis j’ai bossé, j’en ai bavé, de la médecine, je n'en ai pas perdu une goutte, j’ai aimé la médecine à me décarcasser pour devenir interne. C’était un rêve de gosse. Une vocation. Un plaisir aux urgences malgré la fatigue et les gardes qui n’en finissent pas, des sorties SMUR passionnantes et stressantes. Des maîtres passionnés qui m’ont appris à parler au malade, à l’examiner, à respecter sa pudeur… Bien avant qu’un portfolio ne vienne me juger. Alors, j’emmerde le portfolio. Et, à la fin, je me retrouve privé d’une année d’internat, invalidé en raison d’un portfolio qu’on surveille tous les 6 mois comme un cancer. Un cancer que je n’ai pas assez nourri car je ne suis pas rentré dans le moule de “raconte tes émotions à une tripotée d’inconnus” qui ne connaissent mon prénom que via le petit bout de papier que je mets en début de table. 4 heures durant. Tous les mois. Avec devoirs à la maison. Tous les 6 mois, tous les ans, quelques internes en moins dans la promotion. De la recherche aussi… Quand t’as fini de chercher : devoir maison –> pourquoi tu as cherché ce sujet ? Pourquoi as-tu choisi ce que tu as cherché ? Non ce n’est pas bien. Recommence. Recommence. Non, recommence, ne met pas box des urgences, tes patients ne sont pas des animaux. Recommence. Recommence. Recommence… Des inconnus m’ont privé d’une année en raison de ce que je dis. En raison de ce que je pense. En raison de mes critiques. Et me font recommencer. Encore et encore. Encore et encore… Je n’ai plus d’énergie à donner. Chaque passage à la fac s’accompagne d’une boule au ventre que je n’avais plus ressenti depuis l’ECN. Chaque ouverture de ma boîte mail me donne des embardées de tachycardie incontrôlable. J’ai moi aussi envie de raccrocher. Mon combat est perdu d’avance. Je suis dans le collimateur d’une part, et, d’autre part, incapable de rendre des travaux vides de sens… Je n’en peux définitivement plus…
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