Infection à Sars-Cov-2 : le rôle fondamental du récepteur nicotinique

23/04/2020 Par Marielle Ammouche
Infectiologie

Selon des chercheurs français, des agents modulateurs du récepteur nicotinique sont susceptibles d’avoir un impact thérapeutique dans la prise en charge de l’infection à Sars-CoV-2. Ces dernières semaines, plusieurs experts et publications ont évoqué le faible taux de fumeurs parmi de patients atteints de Covid-19, et suggéré l’implication de la nicotine. Et une étude française a confirmé que les fumeurs actifs sont « protégés » contre l’infection par Sars-Cov-2 (Miyara M et al. Soumis, pour publication ; preprint disponible sur Qeios). Mais les raisons de cette protection ne sont pas établies. C’est pourquoi, des chercheurs du CNRS, de l’Inserm, de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP), de Sorbonne université, du Collège de France et de l’Institut Pasteur ont voulu  aller plus loin dans la compréhension de ce phénomène.  Leurs réflexions, sous la direction du Pr Jean-Pierre Changeux (Institut Pasteur et Collège de France), portent sur 2 axes.

Les chercheurs ont ainsi constaté le rôle majeur du récepteur nicotinique de l’acétylcholine, qui pourrait contribuer à expliquer, en outre, la plus grande fréquence des formes graves chez les patients ayant des comorbidités à type d’obésité ou de diabète. En effet, le dérèglement de ce récepteur entraine une sécrétion de cytokines pro-inflammatoires comme celle que l’on observe chez les patients Covid-19 ayant une atteinte sévère. Or « cette altération du récepteur nicotinique est à l’origine de l’état résiduel inflammatoire décrit au cours de l’obésité et du diabète, qui pourrait être amplifié en cas d’infection par le Sars-CoV2 ». Cette hypothèse expliquerait donc pourquoi ces deux comorbidités sont si fréquemment retrouvées au cours des cas graves de Covid-19. Ils expliquent par ailleurs que le Sars-CoV-2 présente probablement un neurotropisme. Le virus  pourrait se propager à partir de la muqueuse...

olfactive, puis vers les neurones du tronc cérébral, allant dans certains cas jusqu’aux centres respiratoires. « Cette invasion s’accompagnerait de la perte du sens de l’olfaction, et chez certains patients, de troubles neurologiques variés jusqu’à, éventuellement, un arrêt respiratoire brutal survenant de manière décalée (expliquant le virage observé vers le 8e jour) ». Autre observation dans ce sens, le coronavirus contient une séquence protéique similaire à un motif observé dans le virus de la rage, connu pour un neurotropisme, qui est directement lié à sa fixation sur le récepteur nicotinique de la jonction nerf-muscle. « Ces éléments de séquence sont aussi similaires à un motif présent sur une toxine du venin de serpent, la bungarotoxine,  dont la forte affinité pour le récepteur nicotinique servit à son isolement et à son identification » ajoute le communiqué. Les chercheurs concluent dans leur communiqué que « compte-tenu de l’urgence sanitaire, il apparait souhaitable d’évaluer rapidement l’impact thérapeutique des agents modulateurs du récepteur nicotinique, directs et/ou indirects, addictifs ou non-addictifs sur l’infection par SARS-CoV-2. Des études cliniques sont en cours ».

Des essais préventifs et thérapeutiques vont être entrepris avec des patchs à la nicotine, à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris. Dès le feu vert final obtenu, avec le soutien du ministre de la Santé Olivier Véran, des patchs nicotiniques vont être administrés à des dosages différents dans trois essais : en préventif à des soignants, pour voir si cela les protège; en thérapeutique à des patients hospitalisés en médecine, pour tenter de diminuer leurs symptômes; et enfin à des patients graves en réanimation, détaille le professeur de médecine interne Zahir Amoura.
Selon lui, des patients fumeurs hospitalisés, pourraient voir leur état s'aggraver en raison d'un sevrage brutal du tabac, mais cela mérite d'être vérifié. Il s'agit d' « une piste intéressante, parmi d'autres pistes de recherche clinique », a commenté mercredi 22 avril le ministre de la Santé Olivier Véran. « Il faut être très prudent », a abondé le directeur général de la Santé Jérôme Salomon, « il ne faut pas oublier les effets néfastes de la nicotine (...) ce qui est établi, c'est que les fumeurs présentent des cas graves de Covid », a-t-il poursuivi, déconseillant de reprendre la cigarette et rappelant que « le tabac est le tueur numéro 1 en France avec 75 000 décès par an ».

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