"Chacun donne un peu de son temps" : généralistes, ils volent au secours des patients de la commune voisine
C'est l'histoire d'un praticien parti de manière inopinée d'un village laissant derrière lui plus de 2 500 patients démunis. Dans l'incapacité de récupérer toute sa patientèle orpheline, les médecins généralistes de la commune voisine ont alors décidé "d'inventer une solution". Le cabinet collectif est né. Et cela a été un succès. Retour sur la belle histoire du "médecin multicéphale" de Nieul-le-Dolent (Vendée).
"Après le départ inattendu du dernier médecin généraliste de la commune voisine, ses patients sont venus nous supplier de les prendre. Cette pression était difficile à assumer, il fallait impérativement que l'on trouve une solution. Dire non aux patients était inconcevable", se remémore la Dre Elodie Cosset, médecin généraliste aux Clouzeaux (Vendée). La praticienne se réunit alors avec ses confrères et en arrive à la conclusion qu'il sera plus simple de créer une antenne de son cabinet plutôt qu'une maison médicale neuve.
"Chacun donne un peu de son temps ailleurs"
Dépourvue de faculté de médecine, la Vendée est pourtant un département dynamique en termes de structures de soins coordonnées. Tout le territoire est notamment couvert par des CPTS. "Le sujet était de maintenir une offre médicale de proximité en mettant à contribution les équipes de soins qui fonctionnaient déjà", résume la Dre Cosset. "Que chacun donne un peu de son temps ailleurs", précise-t-elle. Quelques réunions plus tard, et avec l'aide de la municipalité de Nieul-le-Dolent, "très aidante", le projet voit le jour.
"Très motivés", les médecins s'occupent de gérer la partie logistique. De son côté, la municipalité prend en charge le cabinet ainsi que l'embauche et le salaire d'une secrétaire. Elle achète des locaux appartenant à un ancien médecin et à un ancien dentiste et les rénove pour permettre d'accueillir un cabinet médical et son secrétariat, un cabinet pour une infirmière ASALÉE, des bureaux pour d’autres professions paramédicales (infirmières, psychologue, diététicienne) et une salle d’attente commune.
"Super enrichissant"
Le cabinet secondaire de Nieul-le-Dolent ouvre ses portes en avril 2022, à peine six mois après le départ du dernier généraliste. "Nous étions quatre médecins engagés à consulter dans le village ainsi qu'une équipe de sept remplaçants réguliers", explique Elodie Cosset. Les praticiens partagent un agenda ainsi qu'une messagerie sécurisée.
Le Dr Elie Rocheteau fait partie de ce pool de remplaçants depuis le début de l'aventure. "La dynamique était intéressante. C'était super enrichissant de suivre ce projet commun. En tant que remplaçant, on n'a pas souvent le côté organisationnel, c'était le cas ici", confie le jeune médecin de 29 ans.
"Une utopie qui nous a coûté cher en énergie"
Pour contrer un afflux trop massif de patients, les praticiens décident de ne prendre en charge, dans un premier temps, que les plus fragiles et ceux dans l'incapacité de se déplacer. "On s'est retrouvés qu'avec des patients lourds. Ça faisait un peu médecine humanitaire par moment. On avait vraiment l'impression de rendre service. Et comme il n'y avait pas de médecin titulaire, on avait beaucoup plus la main ce qui a simplifié l'exercice", raconte le généraliste. Bémol à cette sélection de patients, des consultations à rallonge, peu rentables. "On passait une heure par patient, ça n'était pas viable en libéral. C'était une utopie qui nous a coûté cher en énergie", abonde la Dre Cosset. "Maintenant nous prenons le tout-venant", ajoute la praticienne.
Comme pour tout projet "hors cadre", les médecins du cabinet de Nieul-le-Dolent ont rencontré quelques difficultés. A commencer par le Conseil de l’Ordre qui oblige les médecins se désignant comme successeur d’un praticien à récupérer l’intégralité des dossiers. "On avait le choix entre tout reprendre ou rien du tout", témoigne Elodie Cosset qui a choisi l'option de ne rien reprendre pour repartir de zéro. "C'était un peu plus long mais c'est un mal pour un bien", commente la généraliste.
Via l'agenda partagé, les médecins décident " à la carte" du temps passé au sein du cabinet de Nieul-le-Dolent. Chaque mois un médecin titulaire est désigné comme médecin remplacé et les contrats sont faits en son nom. À la fin du mois, il effectue une rétrocession de 85% de leurs recettes à chaque remplaçant.
"Médecin multicéphale"
Au cœur de ce système, un impératif : l'obligation de noter le projet de soin de chaque patient. "Nous sommes plusieurs à suivre les patients donc nous avons tous signé une charte pour bien définir le rôle du médecin multicéphale", précise Elodie Cosset. La secrétaire du cabinet a également un rôle central et essentiel auprès des patients comme des médecins.
"Je suis peut-être un peu plus qu'une secrétaire", admet timidement Lydia Lebeau, en poste depuis l'ouverture du cabinet. "Je m'occupe de la prise de rendez-vous, des contrats pour les médecins remplaçants, des encaissements. J'explique l'usage du logiciel aux médecins qui arrivent", liste la professionnelle forte de 15 ans d'expérience. "Elle est le pivot central du cabinet et s’assure de son bon fonctionnement. Elle est présente tous les jours même en cas d’absence de médecins. Elle est clairement identifiée par les patients qui la voient à chaque fois, alors que les médecins changent. Auprès des remplaçants, elle favorise les moments d’échanges informels, créant ainsi un climat de travail serein, et évitant leur solitude", ajoute le Dr Rocheteau dans une fiche mémo sur le cabinet de Nieul-le-Dolent.
Enchanté par son expérience au sein de ce cabinet pas comme les autres, Elie Rocheteau a décidé d'en faire sa thèse mais surtout de s'y installer. "J'ai tout de suite aimé le côté dynamique de groupe de ce cabinet. Il propose une solution novatrice pour ne pas subir" la désertification médicale, décrit le généraliste.
"L'auberge espagnole"
Deux ans après son ouverture, le cabinet secondaire peut donc se targuer d'avoir permis l'installation d'un médecin. Un second cabinet collaboratif a également vu le jour à Aubigny. "Nous avons fait un copié collé de Nieul-le-Dolent", confie Elodie Cosset. "Si le premier cabinet nous a pris 100% d'énergie, le second ne nous en a pris que 20. Nous avons beaucoup appris de notre expérience", commente la généraliste.
Les cabinets des Clouzeaux, Nieul-le-Dolent et Aubigny ont quant a eux donné naissance à la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) des Colibris. "Elle réunit les médecins généralistes des trois sites, les paramédicaux et trois pharmacies, soit une trentaine de professionnels, cela donne du sens à notre projet", se félicite Elodie Cosset. "Le midi aux Clouzeaux, c'est un peu l'auberge espagnole, les remplaçants viennent déjeuner, on peut débriefer", s'enchante la généraliste.
Si une deuxième installation n'est pas encore annoncée, l'idée pourrait déjà faire son chemin dans les projets des remplaçants. "Il ne faut pas aborder le sujet trop tôt pour ne pas leur faire peur", sourit Elodie Cosset, confiante.
La sélection de la rédaction
Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?
M A G
Non
Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus