
Patients en ALD sans médecin traitant : "Malgré leur scepticisme, il y a eu une forte mobilisation des praticiens"
Si l'objectif de "zéro patient en ALD sans médecin traitant" est loin d'être atteint, en Ile-de-France la mobilisation a payé. Dans le premier désert médical français, seuls 4% des patients chroniques demeurent sans médecin traitant, contre 7% en 2023. Invité du dernier Café FMF, jeudi 13 mars, Albert Lautman, directeur de la CPAM de l'Essonne, a dressé un bilan sans filtre.

"Malgré le scepticisme initial, il y a eu une forte mobilisation des médecins, même ceux qui trouvaient que c'était un peu de la com", a salué Albert Lautman, directeur de la CPAM de l'Essonne, invité du dernier "Café FMF". Dans ce département francilien, le plan d'actions en faveur des patients en ALD sans médecin traitant, lancé au printemps 2023, a permis de diminuer leur nombre de 2000, a-t-il indiqué.
A l'échelle de l'Ile-de-France, région marquée par de fortes tensions sur l'accès aux soins, le nombre de patients sans médecin traitant a été réduit de 41 400. "On peut trouver que ce n'est pas assez, mais c'est le témoignage que cette mobilisation a produit quelque chose", a-t-il insisté. La proportion de patients franciliens en ALD sans médecin traitant a été réduite de trois points, passant de 7% à 4%, a-t-il relevé.
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Michael Finaud
Non
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"Tonneau des Danaïdes"
"Ça ne veut pas dire qu'on a réglé 41 100 situations, a rectifié le directeur de la caisse. On en a réglées beaucoup plus. Mais il y a un côté 'tonneau des Danaïdes, c'est un éternel recommencement." Si l'augmentation du nombre de généralistes formés commence à produire ses effets sur les installations, les malades chroniques sont chaque année plus nombreux. "Et il y a encore beaucoup de médecins qui partent en retraite, on constate toujours un pic de nouveaux patients en ALD sans MT en début d'année", souligne Albert Lautman. En Essonne, sur la période, "on a perdu une quinzaine de médecins traitants".
Mais "malgré cette donnée négative, on l'a fait", a martelé le représentant de l'Assurance maladie, saluant l'engagement des libéraux, des CPTS, des maisons de santé et centres de santé, en faveur d'une action qui "a du sens". Car le médecin traitant n'est pas qu'une "construction politique", a appuyé le Dr Frédérique Villeneuve, président de la FMF-Gé. "La mauvaise orientation dans le parcours de soin, la mauvaise prise en charge, la non-régularité du suivi a un impact épidémiologique démontré sur l'aggravation de l'état et la capacité à prévenir une insuffisance cardiaque lourde, avec des traitements coûteux et un impact sur la qualité de vie extrêmement fort", a confirmé Albert Lautman, par ailleurs directeur coordonnateur de la gestion du risque en Ile-de-France.
Régularisation administrative dans 30% des cas
Certes, dans ce résultat, il y a une part de "régularisation de patients qui étaient déjà suivis par le médecin mais dont ce dernier n'était pas déclaré comme médecin traitant dans nos bases pour des raisons incompréhensibles", reconnaît le directeur de la CPAM, qui estime que cela représente "plus de 30%" des cas. Cette régularisation a visé d'abord les patients vus "3 fois dans l'année par un même médecin, puis on est passé à 2 fois, puis on a proposé à tous les patients en ALD qui avaient vu un médecin une fois dans l'année -à condition qu'ils soient d'accord- de régulariser", a-t-il détaillé. "On peut considérer que c'est un résultat administratif mais ça a eu un impact sur la rémunération des médecins" puisque ces médecins ne touchaient pas les forfaits correspondants.
Les 70% restant, en revanche, représentent des "patients qui étaient en déshérence suite au départ en retraite de leur médecin traitant". "Ce sont des patients complexes, pour lesquels il a fallu remettre en ordre le dossier", reconnaît Albert Lautman. Pour ce faire, la CPAM a pu solliciter l'appui des DAC [dispositif d'appui à la coordination, NDLR] "qui ont accepté ponctuellement de jouer ce rôle de facilitateur".
On a vraiment essayé de se concentrer sur ceux qui avaient le plus besoin
"Une des premières études qu'on a faite dans l'Essonne c'est de demander aux patients en ALD sans MT s'ils en avaient besoin et la réponse a été non dans à peu près la moitié des cas, très étonnement, a relevé le Dr Pascal Charbonnel, président de la CPTS Val d'Yvette. On a vraiment essayé de se concentrer sur ceux qui en avaient le plus besoin. Ce qui est plus compliqué c'est d'imaginer comment on peut prendre en charge un patient qui a une insuffisance cardiaque et une insuffisance respiratoire si on n'a pas de pneumologue ou de cardiologue dans la boucle. Il faut réussir à améliorer le cercle du soin du patient, c'est ça qui décide nos collègues de prendre ou pas un patient en plus. Qualifier la demande, c'est ce qui fait chez nous la différence", a insisté ce généraliste.
Alors qu'"il faut recommencer chaque année", Albert Lautman a insisté sur la nécessité de mieux anticiper les départs en retraite des médecins afin d'assurer la transition quand les praticiens sont encore en activité. "Quand il y a une rupture pendant 6 mois, un an, parfois plus, les analyses ne sont plus à jour, le tableau clinique se dégrade, le coût de prise en charge en temps pour le nouveau médecin est plus élevé", a-t-il souligné. Pour le représentant de l'Assurance maladie, c'est la "lourdeur" de cette patientèle en déshérence qui est le "frein principal". "La cotation IMT [initiation médecin traitant, 60 euros NLDR], ce n'est pas ce dont on me parle quand je discute avec les médecins, je n'ai pas le sentiment que ce soit ça, la clé", assure-t-il aux adhérents de la FMF.
Dans un second temps, la CPAM a également sondé les autres médecins spécialistes qui seraient volontaires pour se déclarer en tant que médecin traitant. Une poignée de psychiatres ou de néphrologues ont ainsi accepté de devenir le médecin traitant des patients qu'ils suivent régulièrement, à la "demande" de ces derniers, et pour des raisons essentiellement "administratives", souligne Albert Lautman. "Eux ne revendiquent pas ce rôle-là."
"On n'a pas de solutions magiques pour créer des bras, on fait comme on peut, a-t-il confié. Zéro patient en ALD sans MT c'est bien évidemment une cible, c'est l'objectif politique affiché par les pouvoirs publics. La réalité est qu'il reste encore beaucoup de patients sans MT."
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