Prise de rendez-vous en ligne : enquête inédite sur ces plateformes qui attirent de plus en plus de médecins
En quelques années, les plateformes de prise de rendez-vous en ligne sont devenues incontournables pour les patients… mais aussi pour les médecins, qui sont de plus nombreux à leur confier leur agenda. En témoignent les statistiques inédites dévoilées aujourd'hui par Le Guide Santé, en partenariat avec Egora. Captation des coordonnées, détournement de patientèle, référencement payant, exploitation des données… Le boom des plateformes ne fait pas que des heureux. Plus de 115 000 praticiens inscrits. Soit 50% des médecins spécialistes en exercice et 25% des généralistes. C'est ce que revendique Doctolib, leader de la prise de rendez-vous médicaux. Mais qu'en est-il réellement ? Partenaire d'Egora, Le Guide santé livre des statistiques exclusives sur le nombre de professionnels de santé inscrits sur huit plateformes commerciales de prise de rendez-vous médicaux, pour chaque spécialité et chaque département. La carte interactive consultable ici est le fruit d'une fastidieuse collecte de données, menée du 1er mars au 30 avril. Premier constat de cette enquête inédite : avec un peu plus de 90% des inscrits, Doctolib écrase la concurrence. Les sept autres plateformes doivent se contenter des miettes laissées par la licorne française, désormais valorisée à plus d'un milliard d'euros : 2642 inscrits pour ClicRDV, 1909 pour Keldoc, 1640 pour Maiia, 562 seulement pour RDVmédicaux, pourtant pionnier des sites de rendez-vous lancé en 2007, 558 pour Doc Avenue*, 431 pour Prendre mon RDV et 357 pour Prendre un rendez-vous. Avec ses 73532 professionnels de santé inscrits, sur un total de 81631, Doctolib, lancée en 2013 et renforcée en 2018 par le rachat de son challenger MonDocteur, est donc loin devant… mais également loin des 115 000 praticiens inscrits revendiqués. Un décalage qui s'explique en grande partie par la méthodologie de l'enquête : le choix a été fait de ne retenir que les professions de santé au sens strict du code de santé publique. Exit, donc, les ostéopathes (non-médecin, non kiné), psychologues, diététiciennes et autres sophrologues, présents en masse sur les différentes plateformes (près de 21 000 sur l'ensemble des plateformes). Les établissements, de plus en plus nombreux sur Doctolib (1700), ont également été écartés. Dernier élément faisant baisser les chiffres : l'élimination des doublons. Nombre de médecins spécialistes exercent en effet sur plusieurs sites et disposent de plusieurs fiches sur la plateforme.
Sur le plan de la répartition géographique, Paris arrive logiquement en tête : les patients ont accès dans la capitale à 11506 professionnels via les plateformes, dont 1642 médecins généralistes. A l'opposé, le Lot et le Cantal ne comptent, respectivement, que 39 et 49 professionnels proposant la prise de rendez-vous en ligne. Autre constat de cette enquête : les médecins représentent près des deux tiers (64.2%, soit 52 439) des professionnels de santé inscrits. Ils sont suivis par les chirurgiens-dentistes (11335 inscrits, 13.8%) et les masseurs-kinésithérapeutes (6395, 7.8%). Quant aux infirmières libérales, elles semblent bouder la prise de rendez-vous en ligne : les plateformes ne comptent en effet que 1598 Idel sur les 114 000 inscrites au tableau de l'Ordre en 2020, soit 1.4% seulement des effectifs de la profession. 18760 généralistes Qu'en est-il des médecins ? Avec 18 760 inscrits, les généralistes arrivent en tête, devant les chirurgiens (6049), les gynécologues (4083), les cardiologues (2494) et les ophtalmologistes (2355). Les radiologues, les pédiatres, les dermatologues, les ORL, les psychiatres et les gastro-entérologues dépassent également les 1000 inscrits. "Ce sont surtout les médecins qui consultent sur rendez-vous, les spécialistes du second recours, qui y adhèrent", commente le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Les généralistes, quant à eux, semblent "plus réticents", remarque le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. "Peut-être craignent-ils que ces outils ne rigidifient la prise de rendez-vous avec leurs patients." Pour le syndicaliste, les plateformes pourraient néanmoins être un atout pour améliorer l'adressage des patients aux spécialistes. Avec 15966 clients généralistes, Doctolib a tout de même séduit...
18.5% des quelques 86 000 praticiens en activité régulière (tous modes d'exercice confondus) recensés par l'Ordre en 2019, et 29% si l'on compte les seuls MG en exercice libéral ou en exercice mixte. En revendiquant 25% des généralistes de France inscrits, Doctolib n'est donc pas loin de la réalité. Quid des médecins spécialistes ? Sur les quelques 111 000 spécialistes en activité régulière (tous modes d'exercice confondus) inscrits au tableau de l'Ordre, 31322 utilisent Doctolib, soit 28.2% seulement. "Nous atteignons 50% de représentativité dans le monde libéral, assure Arthur Thirion, directeur France de Doctolib. Cela varie de 30 à 60% selon les spécialités. Beaucoup moins pour les salariés. "Vérification faite, la plateforme compte en effet 50% des quelques 4000 ophtalmologues libéraux. S'il a entrainé une ruée vers le service de téléconsultation, proposé gratuitement durant la crise du Covid, le confinement n'a pas généré un surcroît d'inscriptions sur Doctolib. "Nous sommes restés dans la continuité, avec environ 3500 nouveaux inscrits par mois, dont 1500 à 2000 médecins, précise Arthur Thirion. En revanche, on est passé de 3500 professionnels proposant la téléconsultation à 35 000 : un tiers de médecins généralistes, un tiers de spécialistes et un tiers d'autres professionnels de santé." De 15 à 129 euros par mois "Les médecins qui adhèrent à ces plateformes sont de plus en plus nombreux. Comme la plupart sont payantes, cela signifie certainement qu’ils y trouvent leur compte", constate Jean-Paul Ortiz. "L’une des principales utilités est la modification du comportement de certains patients : l’envoi de SMS pour un rappel du rendez-vous fait qu’ils sont davantage honorés et réduit les retards", apprécie le président de la CSMF. En témoignent les résultats de l'enquête de satisfaction du Guide Santé menée par téléphone auprès de 753 clients** des plateformes de rendez-vous. L'envoi d'un SMS ou d'un mail de rappel est apprécié par 82.5% des professionnels interrogés, qui s'en déclarent satisfaits ou très satisfaits. Autres fonctionnalités plébiscitées : la capacité à remplir l'agenda (88.7% de satisfaits et très satisfaits), la possibilité de paramétrer l'agenda (82%), ou encore la fonction "liste d'attente", permettant de proposer un rendez-vous à un patient quand un créneau se libère (62.8%). Sept professionnels sur dix se réjouissent par ailleurs d'avoir pu alléger la charge de la personne qui répond au téléphone pour la prise de rendez-vous.
Une majorité (56.57%) des clients interrogés se déclarent également satisfaits des tarifs pratiqués, qui varient fortement d'une plateforme à l'autre : avec un abonnement mensuel de 129 euros, Doctolib est de loin la plateforme la plus onéreuse. PrendreMonRDV, Maiia, DocAvenue et RDVmédicaux sont à 69 euros par mois ; ClicRDV à 49 euros, plus 10 centimes par SMS de rappel ; Keldoc à 40 euros. PrendreUnRendezVous est la moins chère, avec un abonnement à 15 euros. Des voix se sont néanmoins élevées sur les réseaux sociaux pour dénoncer le maintien des abonnements en plein confinement, période durant laquelle de nombreux professionnels, tels les kinés, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes, ont dû fermer leur cabinet. "Nous avons discuté avec leurs représentants et proposé un décalage de facturation de deux mois pour les professionnels qui ne pouvaient plus exercer et qui avaient des problèmes de trésorerie, répond le directeur France de Doctolib. Mais aucun praticien ne s'est désabonné. Doctolib leur a permis de communiquer avec leurs patients, notamment sur la réouverture du cabinet." Source d'inquiétude grandissante au sein de la société, la politique de protection des données personnelles sur les plateformes satisfait 82% des professionnels de santé utilisateurs interrogés. Les usagers, représentés par France Asso Santé, restent néanmoins vigilants sur la "collecte et l'utilisation des données". "Les plateformes se doivent de respecter des règles précises et claires, et de répondre au cahier des charges de la réglementation sur le numérique en santé. Le contrôle doit être placé sous la tutelle de l’Etat et les sanctions doivent être strictes pour celles qui ne respectent pas les règles", estime Gérard Raymond, président de la fédération des associations de patients. Pour le Dr Jacques Battistoni, le danger réside en effet dans l'exploitation des données "à des fins commerciales". Face à ces inquiétudes, Doctolib a diffusé...
en février deux chartes (l'une à destination des patients, l'autre des professionnels) s'engageant notamment à ne pas commercialiser les données de santé recueillies. Une autre pratique préoccupe les professionnels de santé : bien qu'ils ne soient pas clients, nombre d'entre eux voient contre leur gré leur profil s'afficher sur ces plateformes, au risque de voir leur patientèle être "captée" par les confrères qui y sont inscrits. "Il y a quatre ans, alors que le trafic augmentait, l'Ordre nous a demandé d'inscrire tous les médecins en mode fiche annuaire, dans un souci d'équité, justifie Arthur Thirion, de Doctolib. En aucun cas on ne renvoie le patient vers les professionnels inscrits." Les professionnels qui ne souhaitent pas être référencés ont la possibilité de demander leur retrait, précise le Dr François Simon, président de la section Exercice professionnel du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), renvoyant les médecins au guide Préserver sa réputation numérique. Pour répondre à ces demandes ponctuelles, Doctolib a mis en place une procédure pour se déréférencer "en un clic". "Les demandes se comptent chaque mois sur les doigts de la main, indique Arthur Thirion. Très peu de médecins ne souhaitent pas être référencés. C'est un service gratuit et ils ont la main sur les informations les concernant." La hiérarchisation des résultats de recherche est un sujet plus sensible encore. Grâce au référencement payant, certains praticiens abonnés à ces plateformes se hissent en tête des résultats de recherche sur Google. En témoigne la liste des mots clés payants (adwords) renvoyant sur Doctolib que s'est procuré Le Guide santé : au milieu des ostéopathes, sophrologues et psychologues, non soumis aux règles déontologiques, figurent quelques professionnels de santé, tels des kinés, des dentistes, voire des médecins. "Si le référencement hiérarchisé des médecins est le résultat d’une contribution financière, il est évident qu’il s’agit de publicité, ce qui est interdit", rappelle le Dr Simon, du Cnom.
Interrogé sur ces pratiques, Doctolib nie toute implication. "Certains praticiens achètent des adwords sur leur nom, alors qu'ils n'en ont pas le droit. C'est quelque chose que nous surveillons. Qu'ils soient professionnels de santé ou non, nous les appelons pour qu'ils cessent. Nous ne voulons pas être associés à ça." Quant au référencement hiérarchisé au sein de la plateforme, il n'obéit à aucune règle, assure Doctolib. "Si vous recherchez un kiné sur Montpellier maintenant, puis dans quelques heures, vous n'aurez pas les mêmes résultats. L'ordre est aléatoire", insiste Arthur Thirion. Le Cnom reste néanmoins vigilant et appelle les médecins à signaler toute pratique contraire à la loi. *Maiia, RDVmédicaux et DocAvenue appartiennent au groupe Cegedim
**Echantillon représentatif
Prenant le contrepied des plateformes commerciales de prise de rendez-vous, Vitodoc permet aux patients d'accéder à des consultations de soins non programmés auprès de 16.000 médecins, pour qui le service est gratuit. Questions à son fondateur, Bertrand Legrand, généraliste à Tourcoing.
Egora.fr : En quoi Vitodoc diffère des plateformes commerciales de prise de rendez-vous ?
Dr Bertrand Legrand : Vitodoc a été créée il y a trois ans, à l'époque où les logiciels de prise de rendez-vous ont commencé à prendre une place proéminente, laissant peu de place à la consultation sans rendez-vous. Or, plus on est sur rendez-vous, moins on est accessible. Vitodoc a pour philosophie de mettre en avant les soins non programmés. Aujourd'hui, plus de 16 000 médecins proposent des consultations sans rendez-vous, soit parce qu'ils sont en consultation libre soit parce qu'ils ont une offre de soins non programmés dans la journée. Nous avons créé la consultation sur créneau. C'est un hybride entre le sans rendez-vous et le rendez-vous : les patients viennent sur un créneau d'une demi-heure mais ne sont pas seuls dessus. L'avantage pour le médecin, c'est qu'il n'a plus de problème de retards ou de lapins.
Les plateformes ne gèrent que la prise de rendez-vous, pas la consultation libre. Ils ne la mettent surtout pas en avant, car ça leur ferait de l'ombre ! Ces opérateurs n'ont rien apporté aux cabinets, à part la dématérialisation de la prise en rendez-vous. Nous, on est complet : prise de rendez-vous classique, sans rendez-vous et créneau. À tous moments, votre agenda reste ouvert à vos patients, dans la journée ou dans les 48 heures. On reste sur de la réponse immédiate.
Combien de patients ont-ils eu recours à Vitodoc ?
C'est une excellente question à laquelle je n'ai pas de réponse. Car contrairement aux plateformes commerciales, aucune donnée de santé n'est hébergée chez moi. J'ai inversé la base de données : elle n'a pas centrée sur le patient -ce qui aurait permis de reconstituer son historique. Moi je n'ai aucune trace du patient. Je ne peux donc pas vous dire combien de patients l'utilisent, mais la fréquentation monte fortement. Et personne ne pourra jamais le savoir. A partir du moment où il y a un stockage de données, vous êtes exposé à un changement de politique. La meilleure des protections contre l'exploitation des données, même encryptées, c'est de ne pas en pas en stocker. Je rappelle que le secret médical commence dès la prise de rendez-vous. La secrétaire au sein du cabinet est soumise au secret, pourquoi appliquer une politique différente pour les plateformes ? Les données d'un hébergeur américain comme Amazon sont soumises au Cloud act ; à tout moment, elles peuvent être requêtées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Qui sont les médecins utilisateurs ?
Ce sont essentiellement des généralistes car j'imagine que les spécialistes consultent essentiellement sur rendez-vous. Mais les spécialistes peuvent réserver des rendez-vous aux patients adressés par les généralistes de leur territoire, donc nous avons quelques petites communautés. Ça marche bien, notamment dans le cadre des CPTS. Au Mans, par exemple, on a pu réduire fortement le délai de rendez-vous pour un renouvellement de lunettes grâce à ça.
Vitodoc est gratuit pour les patients comme pour les médecins. Quel est le modèle économique de la plateforme ?
Les coûts fixes me reviennent à 3500 euros par mois. Je les finance seul, sans subvention, ni aide. Maintenir une plateforme comme ça, ça ne coûte rien : c'est une honte absolue de faire payer une prise de rendez-vous automatique. Chez les plateformes "concurrentes", ce qui coûte cher en fait, c'est le démarchage commercial et la publicité. Je suis médecin, je me sers de cet outils comme 16 000 médecins, je ne veux pas faire de l'argent avec. Nous avons deux options payantes : une option d'adressage et une aide aux médecins qui ont des soucis d'identité numérique, notamment quand ils se font voler leur identité sur des plateformes dans le but de capter leur patientèle. Encore une fois, ce ne sont pas des services commerciaux, mais des services pour autoéquilibrer les coûts.
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