Un an de crise : comment le Covid a bouleversé les pratiques des médecins
Téléconsultation : nécessité fait loi Alors que la téléconsultation peinait à se développer depuis septembre 2018, date de sa prise en charge par l’Assurance maladie, l’épidémie de Covid-19 et, en particulier, les deux confinements décrétés en mars puis en octobre 2020 ont bouleversé la pratique. Au printemps dernier, nombre de praticiens ont vu leur activité chuter, les patients désertant leur cabinet par peur d’être contaminés ou de déranger. Pour beaucoup de praticiens, la téléconsultation, qui pouvait parfois être perçue comme une médecine de moindre qualité, est apparue comme une solution de secours pour garder le lien avec leurs patients et limiter la baisse de l’activité. Résultat, 19 millions de téléconsultations ont été facturées au cours de l’année 2020 tous types de prescripteurs confondus, sur un total de 319 millions de consultations, dont 17,2 millions par des médecins libéraux, précise l’Assurance maladie. C’est lors des périodes de confinement que les médecins ont le plus utilisé la téléconsultation : du 6 au 12 avril, la téléconsultation a représenté un peu plus d’un quart des consultations, note l’Assurance maladie. Elle représentait 7,7% des consultations la semaine du 9 au 15 novembre. Avant la crise, la pratique n’en était encore qu’à ses balbutiements. De septembre 2018 à septembre 2019, seuls 60.000 actes ont été pris en charge partout en France. Ce boom de la pratique a notamment été permis par plusieurs assouplissements et mesures dérogatoires, comme la prise en charge à 100% des actes de téléconsultation pour suspicion de Covid, la facilitation du tiers-payant intégral, la levée de l’obligation de connaissance préalable du patient avant une téléconsultation ou les consultations par téléphone, dont le remboursement vient d’être prolongé jusqu’au 1er juin au vu de la situation épidémique..
Selon l’Assurance maladie, ce sont essentiellement les médecins généralistes qui se sont approprié la pratique : ils ont réalisé 79% de ces actes en 2020, soit environ 6% de leurs consultations. Les téléconsultations représentent 3,7% de l’ensemble consultations des médecins spécialistes “avec une forte variabilité selon les spécialités”, précise-t-on au sein de la Cnam. Ceux ayant le plus recours à la téléconsultation sont les psychiatres (10%), les endocrinologues (8,4%), les pneumologues (7,7%) et les pédiatres (2%). Malgré une reprise de l’activité presque normale dans les cabinets médicaux, la pratique semble perdurer, note la Drees dans une étude parue ce jeudi 11 mars. 7 médecins sur 10 ont réalisé des consultations à distance en novembre et décembre 2020, “autant que lors de la semaine du 11 mai 2020”. Une tendance également observée par l’Assurance maladie qui indique que la téléconsultation représente 5,4% du nombre total des consultations des médecins libéraux (1,4 million d’actes par mois), contre 0,1% avant la crise sanitaire. Selon les premières estimations de la Cnam, de début janvier jusqu’au 7 février, plus de 400.000 téléconsultations ont été réalisées chaque semaine. Reste à savoir si la pratique restera autant ancrée dans le quotidien des médecins et si le nombre d’actes atteindra toujours des sommets, comme cela a pu être le cas en avril, hors période épidémique. Cet été, entre les deux confinements, le nombre d’actes de téléconsultation remboursés par les caisses primaires avait en effet nettement baissé : 396.000 actes la dernière semaine de juin, contre environ 1 million par semaine en avril. Médicaments et IJ : la liberté de prescription en question La liberté de prescription a des limites et le Covid a largement contribué à les éprouver. Dès le 23 mars 2020, face à l'engouement pour ce qui apparaît alors comme un espoir de traitement et le risque de pénurie qu'il engendre, un décret encadre l'usage de l'hydroxychloroquine. Le texte instaure une dérogation de prescription hors AMM pour les patients Covid, mais uniquement à l'hôpital. En ville, la prescription et la dispensation du médicament sont réservés, dans le cadre de l'AMM, aux patients chroniques sur prescription d'une liste restreinte de médecins spécialistes. Au cours des mois suivants, les médecins de ville qui font état dans la presse des résultats de leur protocole de traitement du Covid (hydroxychloroquine, antibiotiques, vitamines…) s'attirent...
les foudres de l'Ordre. Aux côtés de l'Ordre des pharmaciens, le Cnom rappelle en septembre, dans une fiche mémo, que les prescriptions hors AMM sont soumises à des conditions strictes et que le médecin ne peut proposer au patient des "thérapeutiques insuffisamment éprouvées". Des règles pas toujours bien respectées, si l'on croit les résultats de l'étude de pharmaco-vigilance menée par le groupement EPI-phare. Lors du premier confinement, l'hydroxychloroquine et l'azythromicine arrivent en tête des médicaments qui ont connu les plus fortes hausses de consommation en 2020 (+103,6% et 49% par rapport à 2019) ; l'antibiotique était encore premier de ce classement lors du second confinement en novembre, avec une hausse de 30% par rapport à l'année précédente. D'autres classes médicamenteuses accusent en revanche des baisses considérables, témoignant des effets délétères du confinement, des déprogrammations et du non recours aux soins sur le suivi des pathologies chroniques, sur les dépistages des cancers, sur la vaccination pédiatrique ou encore sur la santé mentale : -46,4% des préparations pour coloscopie en mars 2020, -70 000 doses sur l'année pour les vaccins penta/hexavalents pour nourrissons, +7.6% pour les anxiolytiques en novembre… Des tendances qui impactent négativement les indicateurs de la Rosp 2020, justifiant la mise en place de mesures correctrices par la Cnam. La prescription d'arrêt maladie a également été impactée par la crise sanitaire. Les remboursements d'indemnités journalières pour maladie ont augmenté de 25% en 2020 (avec un doublement en avril et en mai). Les règles sont peu à peu assouplies : en décembre, une ordonnance autorise les médecins du travail à prescrire ou renouveler les arrêts de travail des patients Covid. Et depuis le 10 janvier 2021, les personnes positives, les personnes symptomatiques en attente de test ou les cas contacts ne pouvant télétravailler ont la possibilité d'obtenir un arrêt de travail "dérogatoire" sans passer par la case médecin et sans délai de carence : en trois semaines, 65 689 demandes avaient été recensées par l'Assurance maladie. Un dispositif décrié par les médecins libéraux qui, tout en soulevant le risque d'abus, avaient manifesté sur Egora leur sentiment d'être mis à l'écart.
CPTS : l’épreuve du feu La crise du Covid a permis une plus grande adhésion des médecins au principe des CPTS. Cela a permis un "boost conceptuel", note le Dr Claude Leicher, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé, qui constate une hausse des médecins actifs par rapport à l'an dernier. "Communication, coordination… Les CPTS ont montré leur efficacité en faisant une démonstration par la pratique et non pas par la théorie. Nous avons montré que nous étions capables d'organiser des services au bénéfice des patients et donc forcément aux bénéfices de tous les professionnels qui s'en occupent, au premier rang desquels les médecins", se réjouit le médecin généraliste drômois. Vénissieux a été la première CPTS qui a signé l'accord conventionnel interprofessionnel (ACI) en octobre 2019. Depuis, au 22 février 2021, 102 contrats CPTS ont été signés par les caisses. Au terme de l’année 2020, 94 contrats cumulés ont été signés, soit 86 nouveaux contrats au cours de l’année 2020. Par ailleurs, une trentaine de contrats sont en cours de signature. "Le Covid a à la fois beaucoup ralenti un certain nombre de projets et en même temps ça a boosté dans la tête de tout le monde le principe des CPTS, à savoir de s'organiser entre médecins, infirmiers, pharmaciens pour la vaccination par exemple", analyse le Dr Leicher. "Le fait de travailler en pluriprofessionnel et avec...
les institutions s'est révélé efficace, notamment pour la prise en charge des patients puis le dépistage et maintenant la vaccination", ajoute-t-il. "Le travail d'une CPTS n'est pas de faire du soin mais de faciliter l'exercice de son métier de chacun des professionnels qui y participe", résume le Dr Leicher qui prend en exemple le couac sur la livraison de vaccins entre généralistes et pharmaciens. "Ce trou d'air sur les livraisons a été amorti au sein de notre CPTS. Nous regroupons les vaccins et nous faisons déjà 12 doses au lieu de 10. Nous avons ainsi réussi à prendre quelques flacons d'avance. Un tiers des pharmaciens de la CPTS nous ont proposé de nous passer quelques flacons. Ça ne les dérange pas de commencer à vacciner un peu plus tard. Nous allons donc passer ce trou de livraison sans annuler de rendez-vous", se félicite Claude Leicher. "Tout le monde s'est retrouvé dans cette idée d'avoir une structuration de l'ambulatoire avec des interlocuteurs qui pouvaient mobiliser un certain nombre de professionnels de santé. Cela a eu un intérêt majeur dans une situation de crise comme nous l'avons vécu", conclut le président de la Fédération nationale des CPTS.
Les dilemmes éthiques des soignants En plus d’un an d’épidémie de Covid-19 sur notre sol, le tabou de l’obligation vaccinale des soignants a été levé. Vite évacué par Emmanuel Macron en novembre, le sujet est remis sur la table par Jean Castex lors d’un point épidémiologique en date du 4 mars, alors que la France fait de nouveau face à une flambée des cas. “Seul 1 soignant sur 3 est vacciné, ça n'est pas normal”, déplorait ainsi le Premier ministre. Trois mois après le début de la campagne de vaccination, seuls 40% des personnels des Ehpad et 30% des soignants, en ville et à l'hôpital, étaient vaccinés. Des chiffres d’autant plus décevants quand on sait que 44.000 cas de Covid nosocomiaux ont été recensés en 2020. En parallèle, Emmanuel Macron s’est décidé à pousser les feux sur la vaccination. Au cours d’un conseil de Défense, le chef de l’Etat aurait en effet exigé que la vaccination soit plus généralisée chez les professionnels de santé et Olivier Véran a prévenu, de son côté, qu’il pourrait saisir le Conseil national consultatif d'éthique pour une éventuelle obligation. Enfin, dans un entretien accordé au Parisien, le porte-parole du Gouvernement, Gabriel Attal, estimait début mars qu'il "y aurait une irresponsabilité à refuser de se faire vacciner quand on est soignant" et que la vaccination pourrait être rendue obligatoire. Un dernier avertissement lancé aux professionnels de santé. Très vite, les syndicats et institutions représentatives des professionnels de santé, jusque-là silencieux, se sont, eux aussi, emparés de la question, en se positionnant ouvertement. Pour l’Académie de médecine, qui regrette des taux de couverture vaccinale "notoirement insuffisants", il faut rendre la vaccination obligatoire. Aux yeux de l’Ordre des médecins, "la protection des patients est un devoir professionnel fondamental des médecins comme de tous les soignants”. L'institution estime donc que la vaccination des soignants est un “devoir éthique" mais dans un entretien accordé à Egora, son président, le Dr Patrick Bouet, avouait que même s’il ne comprenait pas “les médecins qui la refusent”, la possibilité d'une obligation vaccinale évoquée par l'exécutif est selon lui un signe de l'échec de la politique gouvernementale. “Je n’aime pas les obligations”, a de son côté indiqué le président de la CSMF, Dr Jean-Paul Ortiz. Enfin, pour la Fédération nationale des infirmiers, pas d'obstacle : son président estime qu’il ne serait pas “anormal d’inscrire le Covid à la liste des vaccins obligatoires” au moins pendant la durée de l’épidémie.
Au-delà de la question vaccinale, la place des médecins et des professionnels de santé dans les médias a été largement discutée depuis le mois de mars 2020. Omniprésents dans les studios de radio et sur les plateaux de télévisions, certains praticiens – Pr Raoult, Pr Delfraissy, Dr Hamon, Pr Axel Kahn en tête en 2020 - se sont vus interviewés sur tous les aspects de l’épidémie. Des questions purement...
médicales à la gestion politique de la crise sanitaire, l’intérêt des confinements, les rebonds épidémiques, la possibilité offerte d’éradiquer le virus avec tel ou tel traitement, la fiabilité des vaccins… Les médecins, masqués, ont défilé en allant chacun de leurson avis dans ce qui a été qualifié par les sociologues de “course à l’audimat”. Résultat, les “disputes scientifiques” et le manque de consensus ont engendré un clivage entre les professionnels de santé alors qualifiés de “rassuristes” ou “d’alarmistes”. Et les Français, vite lassés de leur surmédiatisation, ont pour certains alimentés les théories conspirationnistes, quand d’autres, inquiets des divergences de points de vue, ont déclaré qu’ils ne se feraient pas vacciner ou se sont détournés des programmes d’information. Une mise au point a d’ailleurs été faite par le ministère de la Santé dans le code de la santé publique le 24 décembre dernier par un décret publié au Journal officiel. Ce dernier informait les médecins qu’ils étaient autorisés à communiquer au public ou à d’autres professionnels de santé “à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique”. Mais le décret précise également que dans ces cas précis, ils doivent faire preuve de prudence, ne pas en tirer de bénéfice, s’inquiéter des répercussions possibles après leurs propos et ne pas promouvoir une cause qui ne serait pas d'intérêt général.
Enfin, face à l’affluence des patients Covid dans les services de réanimation à l’hôpital, la question du “tri” des patients s’est posée aux professionnels de santé. Qui soigner ? Comment ? La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) s’est notamment mobilisée pour apporter des repères éthiques et méthodologiques aux soignants et pour proposer un cadre face à cette situation exceptionnelle, dans la prise en charge médicamenteuse, l’aide à la décision ou les arrêts de traitements. Pharmaciens-médecins : tensions ravivées L’accalmie a laissé place soudainement à la tempête. Si les relations entre pharmaciens et médecins étaient déjà tendues depuis quelques années, notamment depuis la loi HPST de 2009 permettant aux pharmaciens d’officine de devenir des professionnels de santé à part entière et d’obtenir de nouvelles missions de service public (contribution aux soins de premier recours, éducation thérapeutique, suivi des patients chroniques...), l’épidémie de Covid-19 n’a fait qu’exarcerber les tensions entre les deux professions. Alors que les transferts de compétences se multiplient depuis plusieurs années permettant entre autres de compenser la baisse des prix des médicaments sur les revenus des pharmaciens, la crise sanitaire démarrée en mars 2020 a accéléré cette délégation de tâches. En novembre, les pharmaciens, -qui peuvent réaliser depuis 2016 des Trod angine, Trod grippe,etc.- sont notamment habilités à pratiquer des tests antigéniques, à l’instar des infirmières et des médecins généralistes. Pharmaciens et infirmières peuvent également juger de...
leur pertinence “dans le cadre d'un diagnostic”, notamment pour les patients asymptomatiques. Le franchissement d’une ligne pour le SML qui alerte face à “un précédent dangereux pour la santé publique”.
Dans le cadre de cette nouvelle compétence, certains professionnels de santé font alors état de soupçons de rétention de ces tests antigéniques par les pharmaciens qui les réceptionnent. “Le pharmacien de mon village (le moins gentil) préfère garder ses boîtes pour tester ses patients asymptomatiques”, témoignait par exemple une généraliste dans une lettre adressée à Olivier Véran. Des accusations réfutées par les pharmaciens et leurs représentants, mais qui participent à assombrir les relations entre les professions, pourtant obligées de se coordonner pour faire face à la crise. Plus récemment, c’est l’autorisation de prescrire et d'injecter le vaccin contre le Covid accordée aux pharmaciens, déjà autorisé à prescrire et vacciner contre la grippe, qui a suscité la colère de nombre de praticiens. Certains ont en effet jugé que les pharmaciens ne sont pas formés pour réaliser une primo-vaccination ou gérer un choc anaphylactique. Dans le même temps, les médecins libéraux, autorisés à injecter le vaccin à leurs patients depuis moins d’une semaine, essuyaient de nombreuses critiques selon lesquelles ils s’étaient démobilisés. Le Dr Battistoni, président du syndicat MG France, dénonçait alors le “MG bashing” opéré par les syndicats de pharmaciens voulant “récupérer, à des fins électorales, la vaccination dans les pharmacies” alors que “ces tensions ne se voient pas forcément sur le terrain”.
La tension est montée à son paroxysme la semaine dernière -les Ordres et syndicats médicaux n’hésitant pas à monter au créneau-, lorsque le Gouvernement, par le biais d’un DGS-Urgent, a annoncé la suspension des commandes de vaccins pour les médecins libéraux cette semaine afin de les réserver aux pharmaciens. Une décision vécue comme une “insulte” par la profession qui témoignait de son côté d’un manque cruel de doses et de retards de livraisons, les contraignant parfois à annuler des rendez-vous. Etudes de médecine : génération Covid Après quasiment deux années universitaires bousculées par le Covid, les étudiants en santé s’inquiètent à l’idée de manquer des bases nécessaires à l'exercice de leur future pratique. Au printemps 2020, 65,3% d’entre eux étaient mobilisés dans le cadre de la première vague. Internes réquisitionnés, cours et travaux pratiques supprimés ou décalés, programmes tronqués, glissements de tâches généralisés à l’hôpital… Les carabins avaient confié à Egora leur désarroi en novembre dernier de devenir une “génération de soignants Covid”. Si une majorité reconnaît néanmoins avoir appris de la gestion de crise, les étudiants en médecine rappellent aussi qu’à l’avenir, ils devront être capables de prendre en charge les autres pathologies. De plus, les grosses réformes structurelles des études de santé, comme celles du premier et du deuxième cycle, ont été finalisées voire mises en place au plus fort de la crise sanitaire. Ainsi, la réforme de la Paces, au fonctionnement complexifié, voulant instaurer plus de transversalité entre les différentes UFR de l’université, pas toutes mises au courant, provoque la détresse des candidats. Nombre d’entre eux se considèrent comme une promo “crash test” et face à l’impossibilité désormais de redoubler, songent à abandonner, se demandant “si ça vaut le coup de faire ce métier”. Dans ce contexte, les syndicats et associations représentatives ont fait part de leur crainte “d’une fuite des effectifs” alors même que sur la plateforme d’orientation Parcoursup, les études de santé étaient celles qui attiraient le plus les bacheliers à la rentrée 2020.
La sélection de la rédaction
Les complémentaires santé doivent-elles arrêter de rembourser l'ostéopathie ?
Stéphanie Beaujouan
Non
Je vois beaucoup d'agressivité et de contre vérités dans les réponses pour une pratique qui existe depuis 1,5 siècle . La formatio... Lire plus