"Greffé des deux poumons après le Covid, j'ai survécu et repris mon exercice de médecin généraliste"
"La médecine générale a toujours été une évidence pour moi. Je voulais faire une sorte de DU de pédiatrie mais c'était hyper compliqué. Je vois quand même majoritairement des enfants en consultation. Je les vaccine, je les suis, j'aime les voir grandir. J'ai un parcours atypique. J'ai eu cinq enfants pendant mes études. Les avoir très tôt était un choix personnel. Au lieu de faire médecine en 8 ans j'ai mis 14 ans ! Mon père était médecin, c'est peut-être ce qui m'a donné envie de faire ce métier. J'ai rencontré ma femme pendant mes études. Elle aussi était inscrite, mais avec les enfants c'était trop dur, elle a arrêté en sixième année. "Les masques nous faisaient une journée" Dans le petit bassin du Pas-de-Calais, à côté d'Arras, à Aubigny-en-Artois, où j'ai mon cabinet, nous avons bien vécu la première vague de Covid. Nous étions même cool. En mars 2020, on voyait très peu de Covid. C'est surtout les grandes villes qui étaient impactées ou alors l'hôpital. Le confinement a été un peu dur. Nous avons eu une baisse de la fréquence des consultations. C'était très calme. On travaillait dans la débrouille. Les masques nous faisaient une journée ou deux et pas quatre heures, comme prévu. Les pharmaciens nous fabriquaient des solutions hydroalcooliques à la va-vite. Le tout et n'importe quoi a réellement débuté en septembre 2020, avec la rentrée scolaire. Les classes fermaient les unes après les autres, il n'y avait pas de test chez les enfants, il leur fallait des certificats médicaux pour dire s'ils avaient ou non le Covid, ou s'ils étaient ou non contagieux… Pourtant, c'était impossible à savoir. Pendant cette période, il y avait beaucoup plus de cas de Covid dans les cabinets qu'en mars.
Je suis d'un naturel optimiste, je prenais mes précautions mais je n'avais pas peur. Les règles sanitaires changeaient toutes les semaines. Je travaille sur rendez-vous, donc il n'y avait jamais dix personnes dans ma salle d'attente. Le maximum c'était deux. Être médecin, c'est examiner les gens. Il ne s'agit pas de voir les patients à distance. Beaucoup de médecins ont fait de la téléconsultation à outrance. Mais à force d'examiner des enfants à 10 centimètres pour voir leur gorge, même en portant un masque, il est arrivé ce qui devait arriver… Le virus est passé. "Je travaillais 12h par jour non-stop" A cette époque-là, je travaillais 12h par jour non-stop, sans m'arrêter ni manger. C'était de la folie furieuse. Je revenais de vacances et la rentrée avait été très brutale. J'étais déjà épuisé. Lorsque j'ai fêté mon anniversaire le 13 septembre, j'étais juste fatigué. Le 14, j'ai commencé à me sentir bizarre. J'ai pris ma température, je faisais un petit 38. J'ai simplement pris du Doliprane. Le 15 j'étais un peu moins bien. J'ai pris ma saturation, elle était à 89. Je me suis dit qu'il y avait un problème. J'ai arrêté mes consultations le 15 au soir. C'était un mardi. Le mercredi on devait m'installer la fibre au cabinet et j'avais eu tellement de difficultés à avoir ce rendez-vous que j'y suis resté, en prenant du Doliprane et en faisant attention. Ma saturation n'avait pas dégringolé et je faisais toujours un petit 38. Le mercredi soir je commençais à me sentir essoufflé mais je ne voulais pas aller à l'hôpital pour encombrer les urgences, j'ai donc préféré y aller le jeudi à 8 heures du matin. J'étais déjà certain d'avoir le Covid. A l'hôpital, ils m'ont tout de suite testé, et ont confirmé ma positivité. Puis ma saturation a commencé à dégringoler donc ils m'ont mis sous oxygène. L'après-midi, j'étais en réa. Rien n'explique...
pourquoi j'ai fait une forme grave. J'avais une bonne hygiène de vie, je faisais du badminton en compétition. J'avais simplement un peu de surpoids, je pesais 98 kilos. "Mes deux poumons ont éclaté" Au bout de quatre jours d'oxygène à fond, de saignements de nez, de toux ingérable, je n'en pouvais plus. J'ai demandé à être endormi. J'étais arrivé au bout de mes forces. Cinq jours après, j'étais intubé, puis mon état a empiré. Le fait d'avoir mis l'oxygène à fond a fait éclater mes deux poumons. J'avais un emphysème sous-cutané au niveau du cou, il y avait sûrement une petite brèche pulmonaire. Mais ils m'ont fait passer un scanner où il n'y avait rien. Ce qui est bizarre c'est que juste après m'avoir intubé, en forçant la ventilation, ils m'ont fait un pneumomédiastin et deux pneumothorax. Voyant qu'elle ne s'en sortait pas, l'équipe d'Arras m'a transféré sur Lille. J'ai alors été sous ECMO pendant un mois.
Pendant toute cette période, j'étais endormi dans un monde imaginaire ! C'est surtout pour ma famille que la période a été très difficile. Tout ce qui s'est passé en réa, c'est mes enfants qui me l'ont dit. J'ai fait des hémorragies, des infections, j'ai eu la totale en complication de réa. Ils n'avaient plus d'espoir. Pour eux c'était la fin. J'avais un corps en bonne santé, mais plus de poumons. J'ai vu le scanner quelque temps après et c'est vrai qu'il n'y avait plus rien. C'était blanc de partout, une fibrose totale, c'était affreux. "La décision de tenter la greffe a été prise" Le CHR de Lille était en communication avec l'hôpital Foch de Suresnes. Ils ont alors proposé mon cas qui était intéressant ! Mais Foch n'avait jamais greffé de patient Covid, ils ont donc hésité à me proposer la greffe. Ils ne savaient s'ils devaient se lancer dans une expérience qu'ils ne maîtrisaient pas. Ils ne savaient rien du post-Covid ou de la charge virale. J'ai d'ailleurs gardé la charge virale pendant longtemps. Cela semble fou. J'ai soigné des grippes pendant 20 ans sans être vacciné et je n'ai jamais attrapé le virus. C'est compliqué de comprendre pourquoi le Covid a tué toutes mes défenses immunitaires. Fin octobre, la décision de tenter la greffe a été prise. J'ai été transporté de Lille à l'hôpital Foch de Suresnes en ambulance. Il fallait faire vite. L'ECMO a une durée maximum d'un mois et une semaine. Après il y a trop de complications. L'appareil permet de réoxygéner mais il broie les globules, donc à force ça devient toxique. J'ai donc été mis sur la liste d'urgence des greffes. C'était ça ou je mourrais. J'ai pu être greffé le 1er novembre par l'équipe du Pr Sage. Après l'intervention j'ai été doucement dé-sédaté. Il m'a fallu trois semaines pour revenir à la réalité. Pendant toute cette période de coma, j'entendais des bribes de conversation. Je savais que j'étais à Paris dans un hôpital, mais mon cerveau intégrait chaque information dans un contexte onirique. Même le bruit des sonnettes, pour moi c'était de la musique. Chaque stimulus me faisait rêver de quelque chose. Je me souviens encore de mes rêves. Quand je me suis réveillé, j'avais l'impression qu'il s'était écoulé un an et demi. Dans mon esprit, j'avais fêté les 8 ans de ma petite fille alors qu'elle n'en a que 6 ! Tous mes rêves avaient un point commun : c'était l'immobilité et le fait d'être prisonnier et de ne pas pouvoir me sortir d'une situation. J'étais enfermé dans un jeu par exemple. J'étais désespéré. "Tétraplégique" A mon réveil, je ne voyais plus rien parce que j'avais une double kératite et j'étais tétraplégique. Je bougeais tout juste ma main. C'était le résultat de deux mois et demi de coma de réa. Une fois conscient, j'ai pu quitter la réanimation pour aller en soins intensifs. C'était le 28 novembre. C'est dans ce service que j'ai commencé ma rééducation. Essayer de bouger, s'asseoir au bord du lit, se mettre debout, faire le premier pas… C'est vrai que c'était très violent. Je voyais mon épouse, mes enfants mais je n'avais pas le droit de voir mes petites filles. Je savais que si je voulais sortir de là, il fallait que je me bouge. Je voulais les voir. A Noël, je remarchais… Très vite, je suis devenu autonome, je me lavais ou je mangeais seul. J'avais quand même un déficit musculaire important et une paralysie des deux releveurs du pied. Mais au fil des jours, ça allait mieux. Je suis passé du déambulateur à la canne anglaise, puis à la canne de marche puis sans attelle. J'étais volontaire et je voulais m'en sortir. On me demandait de faire trois pas et j'en faisais quatre, un demi-tour de service, je faisais le tour complet ! Je voulais voir mes petites-filles. Tout cela a duré cinq semaines et je suis sorti des soins intensifs le 3 janvier. "Je n'étais plus médecin" Des soins intensifs, je suis allé en pneumologie. Il fallait faire le bilan de post-greffe et il y avait toute une éducation thérapeutique à faire. Puis j'ai passé trois semaines en centre de réadaptation hospitalisé. J'avais trouvé un parcours de 400 mètres dans les couloirs, je le faisais 20 à 30 fois. Je n'avais le droit qu'à quatre... fois 30 minutes de kiné dans la journée, ça n'était pas assez pour avancer rapidement ! Pendant cette période je me suis abandonné dans mon rôle de patient, je n'étais plus médecin. Le 5 février, j'ai enfin pu sortir de l'hôpital. J'étais libéré. On a fait la fête à la maison et enfin j'ai pu voir mes petites-filles. J'avais raté deux de leurs anniversaires. A cette époque, j'allais cinq fois par semaine en hôpital de jour jusqu'au mois de juin, puis j'ai réduit à trois fois. Ma mobilité était encore compliquée à cause des releveurs. J'avais des petits problèmes d'équilibre. "Rejets" Après la greffe, j'ai fait plein de petits rejets. Les traitements étaient costauds, je prenais de la cortisone à forte dose, des médicaments anti-rejet… En mai et juin notamment j'ai eu des traitements lourds. J'étais tellement épuisé que j'ai décidé de prendre un mois de vacances. En juillet, j'ai prévenu l'hôpital Foch et je suis descendu dans le sud, voir ma fille et ma petite fille. En cas de problème, je savais qu'il y avait le centre de greffe de Toulouse. Ça m'a fait un bien fou. Je suis revenu resourcé. En aout j'ai refait un bilan et tout allait bien. Il n'y avait plus de rejet. En septembre, un an après mon infection, je me suis réinscrit au badminton pour essayer. Ça a été dur au début mais la technique est revenue tout doucement. Cela m'a fait beaucoup de bien dans ma progression de déplacement. J'avais plus de rapidité et de confiance, je ne suis jamais tombé. "La médecine c'est une passion" Début novembre, mes résultats de fibro et de biopsie étaient bons, j'ai alors envisagé de reprendre mon exercice au cabinet. Pendant toute mon absence, j'ai eu des super remplaçants qui m'ont vraiment aidé. Ils se sont décarcassés pour essayer de garder un peu de patientèle dans le cabinet. Ils ne savaient pas si j'allais revenir ou pas. D'ailleurs je leur avais dit que si le bilan de novembre était mauvais, j'arrêtais. Ça n'aurait servi à rien de se projeter dans un avenir incertain en gardant un cabinet vide. A la rigueur, j'aurais continué à faire des remplacements, mais je n'envisageais pas la retraite. J'aurai pu faire un dossier MDPH ou une invalidité de sécu mais non, ça n'était pas pour moi. Je ne suis pas comme ça. J'en vois trop autour de moi ! D'autant que lorsque l'on passe plus d'un an en rééducation avec des cas plus durs que le sien, on se dit qu'on n'a pas le droit de se plaindre. La médecine c'est une passion. J'étais heureux de reprendre mon métier. Je n'ai clairement plus le même rythme qu'avant et c'est parfait. Je commence à 9h, je m'arrête entre midi et 14 ou 15h. Le soir je termine tranquillement à 19h. J'ai gardé une fatigue chronique, mais désormais j'écoute mon corps. Quand je suis fatigué, je me repose et je ne fais rien. Reprendre le travail était un besoin pour mon moral. D'autant qu'en tant que greffé pulmonaire on ne peut plus faire grand-chose. Je n'ai pas le droit de faire de la peinture, je dois faire attention à la poussière, au froid, au vent… Les activités sont limitées. Je pratique quand même le badminton trois fois par semaine, mais je le fais pour m'amuser et plus en compétition. "Aucune aide de l'Ordre" Financièrement, la période n'a pas été simple, surtout pour mon épouse. Elle a essayé de contacter le Conseil de l'Ordre qui n'a été d'aucune aide. En gros ils lui ont dit "Bon courage" et n'ont jamais pris de mes nouvelles. Le premier qui m'a aidé, c'est mon comptable. Ma femme s'est retrouvée dans un magma de paperasse, elle n'y connaissait rien. Les prélèvements continuaient à arriver et ça n'était pas des petites sommes. J'ai tout de même été reconnu en maladie professionnelle, mais la décision a mis quatre mois à arriver. La Sécu m'a finalement rétroversé toutes les indemnités de retard. La Carmf m'également versé une indemnité journalière, tout comme ma complémentaire, la MASCF. Je n'avais donc pas à me plaindre. J'avais en plus un petit revenu des rétrocessions qui me permettait de payer les charges du cabinet. Aujourd'hui je me sens bien, j'ai plein de dessins dans mon cabinet, mes patients reviennent avec un grand sourire, malgré leurs problèmes. Ils sont ma deuxième famille. Certains me disent même qu'ils ne doivent plus se plaindre, mais c'est faux ils ont le droit. Mon vécu n'enlève rien à leur mal. Être médecin généraliste c'est cela, s'investir à fond et avoir beaucoup de soutien. Pendant mon coma, ma femme a reçu énormément d'appels, de lettres, de dessins… C'était super. Je pense que la volonté de s'en sortir vient aussi du soutien que l'on reçoit des autres. La solitude c'est le pire. "Carpe diem" La solidarité de ma famille a également été exceptionnelle. Mon fils venait de Belfort tous les week-ends. Mes cinq enfants étaient soudés et unis. La suite de l'histoire dépendra de la greffe, et plus vraiment de moi. Je sais que je n'aurai pas de deuxième chance alors je profite au maximum. Carpe Diem."
La sélection de la rédaction
Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?
François Pl
Non
Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus