Depuis plusieurs années, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) se positionne sur les sujets de sécurité des soignants. Depuis 2003, en collaboration avec Ipsos, il publie l’Observatoire sur la sécurité des médecins, qui permet de recueillir le nombre de signalements d’agressions envers les médecins et d’étudier leurs caractéristiques. Sur les vingt dernières années, jamais le nombre de déclarations recensé n’avait été aussi élevé. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2022, le Cnom a totalisé 1 244 signalements de violence. Même si ce chiffre est bien en deçà de la réalité selon le Cnom, “ça nous donne une image pertinente du type de violences que nous pouvons rencontrer”, indique le Dr Jean-Jacques Avrane, délégué en charge de l’Observatoire sur la sécurité des médecins. “Nous devons tous continuer à réfléchir sur les moyens de faire de la prévention dans un contexte difficile pour les médecins et pour l’ensemble de la population”, poursuit-il.
Le Cnom encourage les soignants concernés à signaler tout acte de violence au Conseil départemental de l’Ordre des médecins (Cdom). “Le Cdom a un référent qui peut prendre en charge la victime, qui peut mettre un avocat à sa disposition, qui peut aussi lui proposer de se domicilier au sein du Conseil départemental de l’Ordre des médecins afin de ne pas divulguer son adresse”, explique le Dr Jean-Jacques Avrane. “Toutes ces actions se passent au niveau départemental en premier lieu”, rappelle-t-il. Un dispositif d’écoute est également proposé avec le service d’entraide. Voici les informations essentielles qui en ressortent : 7 médecins sur 10 qui ont signalé des violences sont généralistes Parmi les spécialités les plus touchées, les généralistes sont en première position à 71%, alors qu’ils représentent 43% de l’ensemble des médecins. A l’inverse, les autres spécialistes sont 29% à avoir effectué un signalement, mais représentent 57% de l’ensemble de la population de médecins. Parmi eux, 46 psychiatres ont déclaré avoir subi un ou plusieurs actes de violences, suivi des cardiologues (37) et des gynécologues/obstétriciens (26). Le sexe du soignant ne semble pas influencer les violences puisque 56% des médecins concernés sont des femmes contre 44% d’hommes. Enfin, les agresseurs s’en prennent aussi aux étudiants. 2% des médecins qui ont déclaré avoir subi des violences sont internes, cela représente 21 soignants.
Les agresseurs sont à 58% des patients. Dans 1% des cas, ces derniers sont armés : cela représente 14 individus sur 2022. Ils étaient en possession d’une canne (5), d’un couteau ou d’un cutter (3), d’un revolver ou d’une arme automatique (1), d’une bombe lacrymogène (1), d’un outil contondant (1), d’outils (1), de balles d’arme à feu (1), ou encore de bouteille de gaz (1).
906 agressions verbales ou menaces ont été recensées en 2022 Parmi les incidents les plus courants, 906 agressions verbales et menaces (73%) ont été signalées en 2022. C’est 196 de plus qu’en 2021. 7% concernent les agressions physiques. Autre type d’incident fréquent chez les médecins, les vols ou les tentatives de vols (10%) et le vandalisme (7%). L’objet le plus souvent volé est l’ordonnance ou l’ordonnancier (31), le sac à main, le portefeuille (23), la carte professionnelle (19) et les tampons professionnels (16). Ces incivilités peuvent être graves : même si la majorité des agressions n’ont pas occasionné d’incapacité totale de travail (90%), 74 médecins indiquent avoir eu besoin d'un arrêt de travail. Pour 22 d’entre eux, l’incident a nécessité un arrêt supérieur à 3 jours.
33% des agressions concernent une prise en charge Pour quels motifs, des individus décident-ils d’agresser des médecins ? La principale raison concerne un reproche sur la prise en charge d’un patient (33%), suivi d’un refus de prescription de la part du médecin (20%), une falsification de documents (11%), d’un temps d’attente jugé excessif (10%), d’un vol (9%). Également, 28 médecins rapportent avoir été agressés pour avoir refusé de donner un rendez-vous à un patient, 23 en raison des lapins posés par les patients ou encore 11 pour avoir refusé d’être médecin traitant.
61% des médecins ne déposent ni plainte ni main courante après avoir signalé un incident à l’Ordre Même si les incidents peuvent s’avérer graves, la plupart des médecins ne poursuivent pas leurs agresseurs. “Beaucoup d’agresseurs sont des patients et nous [les médecins, NDLR] ne sommes pas là pour punir les patients mais pour les soigner. De nombreux soignants hésitent en pensant que la parole [plutôt que la justice] fera avancer les choses”, avance le Dr Jean-Jacques Avrane. Lors des vols, les médecins semblent se tourner davantage...
vers la justice. En effet, 76% portent plainte et 6% déposent une main courante. Pourtant, le Dr Jean-Jacques Avrane rappelle que “Le Cnom n’encourage pas à déposer une main courante, nous trouvons que ça ne donne pas de suite”. En revanche, il encourage à déposer plainte.
Les centres-villes : le lieu le plus touché par les incivilités envers les médecins Comme les années précédentes, les médecins exerçant dans les centres-villes (56%) sont les plus nombreux à signaler des violences, contre 21% en milieu rural et 19% dans les banlieues. Depuis 2019, les médecins des banlieues déclarent moins d'accidents que les médecins des zones rurales (sauf en 2020). Pour Jean-Jacques Avrane, cela s’explique probablement par la présence plus faible de médecins dans les banlieues, entraînant alors moins de signalements.
Le Cher, le département le plus touché par les violences sur médecins Si les centre-villes sont les plus touchés par les incivilités sur les médecins, l’observatoire a également étudié les départements où les signalements ont été recensés. Le premier département est le Nord avec 191 signalements, suivis des Bouches-du-Rhône avec 98 signalements. Mais, le Cnom a cherché à étudier le taux de “victimation”, c’est-à-dire le nombre de signalements par rapport au nombre de médecins présents sur le département. En prenant ce paramètre en compte, c’est le département du Cher qui est le plus touché par les violences sur les médecins (3,8%), puis la Loire (2,7%) et enfin le Nord (2,3%).
Avec cet observatoire, le Cnom entend rappeler que son rôle est aussi d’interpeller les pouvoirs publics sur le sujet de la sécurité des médecins. “Le ministère a pris en compte la problématique puisque Madame Agnès Firmin Le Bodo a préparé une mission sur la sécurité des soignants, elle a demandé à la Conférence nationale de santé (CSM) de nous auditionner aussi”, indique Jean-Jacques Avrane. Ce dernier a également mis en place une affiche sur laquelle est inscrit “Nous prenons soin de vous, merci de prendre soin de nous”. Elle sera déployée dans les cabinets et établissements de santé afin de sensibiliser les patients à la violence.
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