"Interne à 66 ans, je suis en stage en cabinet de médecine générale et c'est le bonheur"

Mieux vaut tard que jamais. Ces quelques mots pourraient résumer le parcours de Bernard Pino. Carabin dans les années 1970, il avait dû arrêter ses études en sixième année pour des raisons financières. 40 ans plus tard, celui qui est désormais grand-père n'a rien perdu de sa vocation pour la médecine. Aujourd'hui interne en fin de cursus, Bernard Pino se délecte de faire des remplacements et à se projeter en tant que médecin. Son installation est déjà programmée…

01/06/2022 Par Sandy Bonin
Témoignage

"En 1974 j'étais étudiant en médecine à Lyon Sud. A l'époque, la fac était divisée en quatre et la mienne était en pleine campagne, au milieu des vaches. J'ai longtemps été président de l'Ameuso, l'association des étudiants de la fac. On organisait des fêtes tous les quinze jours ! Puis, en sixième année, des soucis financiers m'ont forcé à stopper mes études. J'avais besoin d'argent et le salaire d'étudiant en médecine était trop faible. J'ai tout arrêté pour créer des entreprises. La vie est passée, j'ai eu quatre enfants… 

Il y a sept ans, j'ai décidé de reprendre la médecine. J'avais 59 ans. J'ai contracté un prêt étudiant et je me suis lancé. Ma femme est médecin scolaire. Elle m'a soutenu dans ma démarche. Elle savait depuis toujours que j'avais prévu de reprendre un jour. Ça n'a pas été simple de retrouver mon dossier. Mais en tant qu'ancien président de l'Ameuso, je me souvenais où il était rangé ! Le doyen m'a proposé de reprendre en sixième année puis de repasser les ECNi mais j'ai refusé. Dans les années 70, il n'y avait pas de scanner, pas d'IRM ni d'échographie. La médecine a tellement évolué. On a donc décidé que je reprendrais en quatrième année. L'administration a tenté de me réclamer années après années mon bac en version papier. J'ai fait un scandale et cette obligation a été annulée !

Lors de ma reprise, mes camarades ont été très bienveillants. Les jeunes m'ont pris par l'épaule en me disant que j'étais leur égal, qu'il n'y avait pas d'exception. Mon âge ne comptait pas. Evidement je ne fréquentais pas les soirées étudiantes, j'aurais trouvé ça déplacé, mais j'étais invité. Je ne me suis jamais senti seul. Jusqu'en sixième année, mes études se sont très bien passées, tant au niveau des cours que des stages. Quand j'étais externe, les chefs de service étaient amusés. Je n'ai pas la même vivacité que les jeunes de 20 ans. Ils courent tout le temps. Dans les couloirs, j'ai plus le pas du chef de service que de celui de l'externe ! Les choses se sont corsées en septième année, pendant ma première année d'internat. J'ai commencé par les urgences. Mon physique de senior m'a compliqué la tâche. Moi, si je me trompais, ça choquait. Lorsqu'un interne se trompe, il est immédiatement corrigé, ça n'était pas mon cas. Il y avait une certaine retenue à me dire les choses. Résultat, au bout d'un mois, mes co-internes en savaient beaucoup plus que moi. Et plus le temps passait, plus ça devenait compliqué. Mon premier stage aux urgences n'a pas été validé...

 Je n'ai pas pu avoir de raison et il n'y avait pas de contestation possible. Pourtant j'ai ressorti tous les dossiers pour essayer de comprendre. Il n'y a plus de révolution chez les internes. Il n'y a pas de contre-pouvoir. Je n'étais pas le seul, pourtant à avoir des problèmes de validation de stages. L'internat, c'est le seul métier où il n'y a pas de contrat de formation. Après cela, des rumeurs ont circulé qui pesaient sur la validation des stages. Pour couper court, il a fallu l'intervention du DUMG et un stage de six mois en cabinet, afin que cette discrimination cesse. 

La suite a été alors plus facile. Si les stages à l'hôpital ont été compliqués, ça n'a jamais été le cas de ceux en cabinet. J'ai passé les six derniers mois en Saspas* et c'est le bonheur. Il ne me reste plus qu'un seul stage de six mois à valider en cabinet de médecine générale. Je dois aussi passer ma thèse. J'avais tellement hâte de sortir de l'hôpital et d'exercer mon nouveau métier que je me suis étourdi de remplacements ! Là je suis plus serein, je vais m'y remettre. Je travaille sur les vieux internes et les problèmes que cela engendre !  C'est certain qu'en terme de connaissances, les petits jeunes sont meilleurs que moi. Mais je pense être plus fort dans la relation avec les patients. Je n'ai jamais laissé passer de situation grave.

Dans six mois, j'aurai fini et j'ai prévu de m'installer. Au départ je ne voulais pas et je ne pensais faire que des remplacements. La médecin que je remplace sur l'île de Sein m'a appelé et m'a dit : "J'ai 62 ans, je commence à me faire vieille"! Là-bas, le médecin est de garde 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. On ne peut pas aller se baigner, faire du bateau ou boire de l'alcool. Elle m'a donc proposé d'alterner avec elle, un mois sur deux. Je commence en janvier 2023. Sur place les patients sont ravis, et moi aussi !"   *Stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

0 commentaire





 
Vignette
Vignette

La sélection de la rédaction

Histoire
Un médecin dans les entrailles de Paris : l'étude inédite de Philippe Charlier dans les Catacombes
12/07/2024
1
Enquête
Abandon des études de médecine : enquête sur un grand "gâchis"
05/09/2024
15
"Dans cette vallée, le médicobus ne remplace pas le médecin traitant" mais assure "la continuité des soins"
17/09/2024
2
La Revue du Praticien
Addictologie
Effets de l’alcool sur la santé : le vrai du faux !
20/06/2024
2
Podcast Vie de famille
Le "pas de côté" d'un éminent cardiologue pour comprendre le cheminement de son fils apprenti chamane
17/05/2024
0
Rémunération
"Les pouvoirs publics n'ont plus le choix" : les centres de santé inquiets de l'avenir de leur modèle...
07/05/2024
5