"Je serai médecin à 57 ans" : l’étonnant parcours d’une prof qui reprend les études pour devenir généraliste dans un désert

A l'âge de 48 ans, Sophie Noguet, doublement agrégée en biologie et arts plastiques, s’est lancé le pari fou de reprendre les études de médecine. Cette Creusoise d’adoption entend se rendre utile pour son village, situé en plein désert médical. Actuellement en deuxième année, après avoir affronté la réforme de la Paces, elle prévoit de quitter définitivement l’Education nationale à la rentrée prochaine pour se consacrer à son nouveau projet professionnel, peu importent les sacrifices que cela lui demande. Récit. 

13/04/2022 Par Marion Jort
Témoignage

“J’ai un profil un peu spécial. Au bout d’une dizaine d’années, j’ai besoin de faire travailler mon cerveau”, annonce d’emblée Sophie Noguet. Âgée de 49 ans, cette enseignante originaire de la Côte d’Azur, titulaire de deux agrégations de sciences et vie de la terre (SVT) et d’arts plastiques, a fait le choix de retourner sur les bancs de la faculté pour devenir médecin. Actuellement en deuxième année, elle souhaite exercer en zone sous-dotée, dans la Creuse, où elle a élu domicile depuis plusieurs années.  

Cette boulimique de travail n’a jamais ménagé ses efforts. Admise en classe préparatoire aux grandes écoles de mathématiques à Henri IV, à Paris, juste après son baccalauréat, elle a ensuite intégré l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Lyon pour étudier les biomathématiques. “Une amie d’enfance voulait absolument retourner en région parisienne après la terminale. Elle m’a poussé à faire mon dossier pour Paris et il se trouve que j’ai été prise. Moi, je ne connaissais pas du tout Henri IV, mais j’ai postulé et j’ai été prise parce que c’est tombé l’année où l’établissement proposait des sortes de ‘quotas’ de provinciaux. Mon prof de maths de l’époque m’a dit : ‘tu es prise, tu y vas’”, se souvient-elle. Elle intègre initialement la section maths sup’ de la prépa. “C’était le choc culturel. Je n’avais pas le niveau par rapport aux Parisiens, du coup ils m’ont mise en maths sup’ bio l’année suivante.” 

A Normal Sup’, elle obtient un master de biologie moléculaire et de cancérologie. Elle décide alors de se tourner vers les laboratoires de recherche, “mais était nulle en manipulation". Alors, tentée depuis toujours pas l’enseignement, elle décide de passer l'agrégation de SVT.  “Tout ce qui est de l’ordre d’apprendre, c’est fort en moi, pareil pour la fonction publique”, assure-t-elle. Elle enseigne quelques années avant de se décider, en 2001, à reprendre ses études, suite à un souci de santé. “J’ai eu des nodules sur les cordes vocales. A l’époque, je me suis dit que ça allait être compliqué d’être prof si je ne pouvais plus parler”, raconte Sophie. 

En poste à Orléans (Loiret), elle se réinscrit à La Sorbonne et sollicite un temps partiel auprès de l’Éducation nationale. Au bout de quelques années, elle est affectée à Carcassonne (Aude). Une mutation qui l'oblige à faire des allers-retours entre la cité médiévale et Toulouse, à 100 kilomètres, où elle s'est inscrite à la faculté de sciences humaines pour poursuivre son master d'art. En 2011, elle obtient sa seconde agrégation. “J’ai même commencé une thèse”, plaisante l’enseignante.  L’idée de quitter le Sud de la France la taraude. “Il n’y avait pas grand-chose à faire à Carcassonne", appuie-t-elle. Beaucoup de ses amis se sont installés autour de Faux-la-Montagne, village de 400 habitants, où ils avaient tous pour habitude de partir en vacances l’été. “Cette qualité de vie m’attirait”, continue Sophie. Décision prise et déménagement engagé, elle rejoint donc la Creuse et le parc naturel régional de Millevaches. Enseignante d’arts plastiques pendant près de dix ans, c’est un autre problème de santé qui a précipité son retour aux études.    

 

1h30 de voiture pour une cystite  

Une nuit d’automne 2019, Sophie est prise de violentes douleurs à cause d’une cystite. “J’ai pris ce que j’ai trouvé, des antibios, pour calmer la douleur.” Le lendemain, elle tente de trouver un rendez-vous en urgence chez un généraliste. “J’ai fait 1h30 de route en partant du collège et sur place, j’ai dû attendre plus de deux heures car le médecin avait beaucoup de retard. Je me suis fait disputer pour les antibios et il n’a pas voulu me faire d’arrêt maladie”, raconte-t-elle encore en colère. “Sur le retour, je me suis dit qu’on était mal barrés car on ne pourrait pas bien se faire soigner autour de Faux-la-Montagne, surtout avec les départs à la retraite”, poursuit l’enseignante, estimant qu’il faut actuellement 15 jours à trois semaines de délai pour obtenir un rendez-vous non-urgent autour de chez elle. 

Alors, elle y songe : pourquoi pas devenir médecin ?  “Il y a un autre élément déclencheur”, estime-t-elle. “Cette réflexion, c’était à l’époque des manifestations contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Je me suis dit qu’en tant que professeur, je ne savais faire que ça, finalement. Moi, en cas de société plus chaotique, j’aimerais savoir faire des choses plus concrètes. Dans ma tête, je pensais à savoir faire un accouchement et savoir réduire une fracture dans la forêt, par exemple.” 

La voilà donc décidée. En 2020, elle fait une demande de passerelle auprès de la faculté de Limoges, pour intégrer directement la deuxième année de médecine. “Ça m’a été refusé car j’étais trop vieille”, soupire-t-elle. Alors comme tous les bacheliers… C’est par Parcoursup qu’elle fait sa demande d’admission en Pass. “Et c’est un parcours du combattant, les jeunes n’exagèrent pas!”, plaisante Sophie. Malgré sa bonne volonté, elle a d’ailleurs bien failli ne jamais pouvoir intégrer la première année… “Au moment où Parcoursup validait les dossiers, en avril 2020, nous étions confinés. J’ai reçu un courrier me demandant l’original de ma collante de baccalauréat, sans quoi je ne serai pas admise en Pass. J’ai cherché ce papier partout, il était introuvable. J’ai essayé de dire que j’avais deux agrégations et que j’ai donc sûrement dû avoir mon bac, mais ils n’ont rien voulu entendre”. Et puis miracle : “Par hasard, le même jour, mes parents m’appellent et me disent qu’ils ont rangé des documents dans le garage et ont retrouvé… ma collante de bac! Tout était bon”.    

 

“C’était chaud” 

“2020-2021, c’était chaud”, souffle Sophie. Comme pour l'agrégation d’arts plastiques, elle demande un temps partiel et enseigne 9 heures par semaine au collège. Un temps gagné précieux, pour celle qui doit également affronter l’année de mise en place de la réforme de la Paces. “Ma chance, ça a été le Covid finalement, car tout était en distanciel", pense Sophie, qui passe pendant un an des journées millimétrées. “Mon administration au collège a été super et m’a fait un emploi du temps où je travaillais le lundi et le mardi et j’avais le reste de la semaine pour la fac”, commence-t-elle. 

A partir de mercredi, changement d’ambiance, la professeur devient étudiante. “Je me levais à 7h45, les cours commençaient à 8h et se déroulaient le matin. Après, je continuais jusqu’à 1h ou 2h du matin. Il fallait aussi que je rattrape les 8h de cours manqués du lundi ou du mardi”, enchaîne Sophie, qui s’est débrouillée seule grâce à l’aide du tutorat de la faculté de Limoges. Bien sûr, impossible d’enfiler sa casquette d’étudiante sans oublier ses impératifs d’enseignante, comme les copies à corriger ou les conseils de classe. “J’ai pris quelques jours de pause en un an, mais vraiment très peu”, rit-elle.  Dans cette année surchargée, elle vit aussi l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, où le professeur d’histoire-géographie Samuel Paty a perdu la vie, évènement qui a rendu “les choses compliquées au collège.” 

Avec la crise sanitaire, le télé-enseignement, elle passe “un an à parler à son ordinateur”. Sophie n’est d’ailleurs pas satisfaite de ses résultats de premier semestre. “Je n’ai pas eu des résultats exceptionnels. En fait, j’ai raté la pré-rentrée car je n’avais pas messenger* donc je ne suivais pas le groupe de promo, alors que c’est là où tout se passe. Je n’ai jamais réussi à rattraper mes 15 jours de retard”, rouspète-t-elle.  Alors, elle se donne à fond au deuxième semestre. Tandis que les étudiants de Pass et de LAS dénoncent une réforme injuste”, "bâclée", dont la mise en application est "chaotique", Sophie a pour objectif d’être dans les 40 premiers des 511 Pass, “pour s’éviter d’aller aux oraux”. “Je n’ai pas réussi. J’étais 47ème/511, c’était un petit regret mais j’étais quand même contente de passer en deuxième année”, affirme l’enseignante. 

Comme la première promotion de la réforme de la Paces, Sophie connaît peu ou pas ses camarades et doit affronter les changements de maquette, la mise en place des oraux notamment, seule. La nouvelle Pass imposant de prendre une option mineure obligatoire en plus des cours de médecine, elle choisit de prendre SVT, “parce que c’était plus simple”. “J’ai trouvé que d’avoir une mineure en plus, c’était schizophrène, comme si on faisait deux études différentes. On ne sait pas ce que ça fout là. J’ai fait de la géologie au deuxième semestre, moi j’adore ça mais on se demande quel est le rapport”, tranche-t-elle sévèrement, regrettant que la sélection ne soit pas plutôt axée sur l’humain et le lien social. “En tout cas, si le but de la réforme était d’être moins sélectionnant, c’est raté.”  Si elle est passée en deuxième année sans réelles difficultés sur le plan universitaire, Sophie sent que le rythme accélère avec le début des stages. 

A partir de l’an prochain, elle devra donc cesser l’enseignement pour se consacrer intégralement aux études de médecine… Perdant, au passage, son salaire d’enseignante. “Je ne sais pas encore trop comment je vais m’organiser”, balaie-t-elle, assurant qu’elle s’est tout de même renseignée pour contracter un emprunt étudiant de 30.000 euros. “Cela va paraître hyper prétentieux, mais je ne fais pas attention aux sous. En Creuse, on peut bien vivre sans que cela ne nous coûte très cher”, assume-t-elle. La future médecin se renseigne aussi pour se lancer dans un contrat d'engagement de service public (CESP), qui lui permettrait de toucher 1.200 euros bruts mensuels. Face à la pénurie de praticiens dans le territoire, la mairie de Faux-la-Montagne a également proposé de lancer une cagnotte pour l’aider. “Cela ne me plait pas trop, car ce sont les locaux qui vont payer pour leurs services”, lâche-t-elle.  Avant de préciser son projet professionnel, Sophie se laisse le temps de découvrir toutes les spécialités à travers ses stages. Ce qui est sûr, c’est qu’elle veut “rester sur son territoire”. “Je veux faire de la médecine concrète : j’aime l’idée de la médecin de famille qui fait un peu tout dans son cabinet, pour les gens du territoire”, promet-elle, songeant naturellement à la médecine générale. “Je suis aussi attirée par les urgences. Peut-être que quelque chose comme SOS Médecins ce serait pas mal”, hésite-t-elle.  Quel que soit son choix, il lui reste a minima sept à huit ans d’études. 

Quand on lui demande si cela l’inquiète de terminer sa formation proche de l’âge de la retraite, elle répond simplement : “La retraite ? Mais non, je finirai mes études à 57 ans ! Je connais pas mal de médecins qui sont pas du tout partis à la retraite à 60 ans.” Une seule chose, au fond, la préoccupe, le fait de paraître âgée “sans avoir l'expérience qui va avec”. “J’espère aussi ne pas être malade moi-même !” Pour l’instant, en tout cas, Sophie ne manque pas d'énergie. Elle parle même de connaissances médecins qui ont fait des Formations spécialisées transversales (FST) d’un an en plus de leur diplôme d’études spécialisées (DES)... “Pourquoi pas en gynécologie”, plaisante-t-elle. Mais, elle l'assure, la médecine sera son dernier retour aux études. “Comme j’ai commencé en tant que biologiste et que j’ai travaillé sur de la cancérologie, j’ai le sentiment que la boucle est bouclée. C’est aussi une satisfaction de me dire que j’aurais transmis, puis j’aurai soigné et je me serai occupée des gens.”    *Messagerie instantanée du réseau social Facebook  
 

Faut-il mettre fin à la possibilité pour un médecin retraité de prescrire pour lui-même ou pour ses proches ?

Albert Dezetter

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