"Les médecins n'ont pas à justifier leurs prescriptions" : ce nouveau dispositif qui risque de "complexifier" votre exercice
Un décret paru le 31 octobre met en œuvre un "dispositif d'accompagnement à la prescription" pour renforcer la "pertinence" des traitements pris en charge par l'Assurance maladie. Les médecins devront désormais bientôt garantir, au moyen d'un document annexé à l'ordonnance, que leur prescription est conforme aux indications de remboursement. Le mécanisme, qui ne devrait concerner dans un premier temps que quelques médicaments, pourrait vite être étendu, au grand dam des syndicats de médecins libéraux, qui redoutent ces nouvelles formalités.
Bientôt, il ne suffira plus de présenter une ordonnance pour qu'un médicament soit remboursé par l’Assurance maladie. Pour certains traitements, les patients devront remettre en plus un "document" établi par le médecin, garantissant que sa prescription est conforme aux indications thérapeutiques remboursables (ITR) du médicament.
Ce dispositif d'"accompagnement à la prescription", décrié par une partie de la profession, a été mis en place par un décret publié au Journal officiel du 31 octobre dernier, en application de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Répondant à un double enjeu de réduction du déficit de la Sécu et d'amélioration de la qualité des soins, il vise à renforcer la pertinence des prescriptions et à lutter contre le mésusage de certains traitements. La mesure, portée à l'automne 2023 par le sénateur Renaissance Xavier Iacovelli, "vise les 15 % à 20 % de médicaments qui sont prescrits en dehors de leur indication thérapeutique", avait pointé à l'époque le ministre de la Santé Aurélien Rousseau, citant le cas emblématique des "anti-diabétiques utilisés comme coupe-faim".
Antidiabétiques et benzodiazépines
Un arrêté doit encore être publié pour définir la liste des molécules concernées, précise la Cnam à Egora, assurant qu'elle n'est pas "décisionnaire" en la matière. Mais dans son rapport charges et produits pour 2025, publié en juillet dernier, l'Assurance maladie indique que "les premiers médicaments concernés par ce dispositif sont la classe de médicaments antidiabétiques analogues du GLP-1 (AGLP-1 : Ozempic®, Trulicity®, Victoza®), puis les benzodiazépines (anxiolytiques et hypnotiques)". "Des réflexions sont menées en concertation avec les différents acteurs pour augmenter le panel des produits qui feront l’objet d’un accompagnement à la prescription ainsi que pour étendre ce dispositif à d’autres prestations", ajoute le rapport.
Sans attendre la mise en œuvre du dispositif, le Gouvernement a proposé, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 en cours d'examen à l'Assemblée nationale, de l'étendre à deux postes de dépenses en pleine explosion : les transports sanitaires et les actes de biologie. Avec 6.3 milliards d'euros remboursés en 2023, soit 9% de plus en un an, les transports sanitaires ont en effet "atteint leur plus haut niveau historique", pointe l'étude d'impact du PLFSS 2025. Alors qu'un transport en ambulance coûte en moyenne 115 euros, contre 61 euros en taxi et 35 euros en véhicule sanitaire léger (VSL), "la prescription du moyen de transport le plus adapté à l'état de santé du patient* constitue un enjeu de santé majeur", souligne l'étude d'impact. Un report de 10% des prescriptions de transport par les médecins libéraux "vers un mode de prise en charge moins onéreux" permettrait de dégager 114 millions d'euros. Quant aux actes de biologie, l'étude d'impact identifie plusieurs sources d'économies : 7.5 millions d'euros sur le dosage de la vitamine D, qui n'est plus préconisé que dans six indications, 10 millions d'euros sur le dosage du TSH et 30 millions d'euros sur les ECBU. Le dispositif pourrait ensuite être appliqué aux actes d'imagerie, espère déjà le Gouvernement.
Alors qu'"un généraliste prescrit en moyenne 750 000 euros de dépenses par an", le directeur de la Cnam appelle à trouver "collectivement" les "moyens pour faire en sorte que cette dépense soit toujours pertinente"
Auditionné devant le Sénat jeudi dernier, le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, a défendu ce mécanisme de "prescription renforcée". "Il ne s’agit pas d’ennuyer chaque prescripteur sur chaque molécule de base", a-t-il plaidé, mais il est "légitime de vérifier que lorsqu’un médecin prescrit un médicament contre le diabète, effectivement la personne soit en ALD, qu’elle ait bien l’âge requis, qu'elle est bien dans le champ du remboursement". "Je pense qu’on est tous préoccupés de voir des médicaments qui arrivent sur le marché qui ont des impacts très intéressants sur l’obésité, etc., mais si nous ne surveillons pas les conditions dans lesquelles ils sont prescrits, les centaines de millions d’euros de dépenses, on va les avoir extrêmement rapidement", a-t-il relevé. Alors qu'"un généraliste prescrit en moyenne 750 000 euros de dépenses par an", le directeur de la Cnam appelle à trouver "collectivement" les "moyens pour faire en sorte que cette dépense soit toujours pertinente". Et de rappeler que les syndicats de médecins libéraux se sont engagés, au travers de la nouvelle convention, sur quinze programmes de pertinence, des prescriptions d'indemnités journalières aux antibiotiques en passant par les IPP, les analgésiques ou encore les actes infirmiers. L'un de ces programmes vise d'ailleurs à "augmenter la part de prescriptions médicales dans les ITR et les durées de traitements recommandées par la HAS", avec un objectif de 80% de prescriptions "conformes"**.
"En Belgique, la moitié des prescriptions sont sous accord préalable"
Aux sénateurs inquiets face à la perspective de "nouveaux formulaires à remplir pour les médecins", réduisant encore le temps médical, Thomas Fatôme s'est montré rassurant : le téléservice qui sera déployé par l'Assurance maladie permettra "en quelques clics" au prescripteur de confirmer qu'il est dans les clous, ou dans le cas contraire, de modifier son ordonnance. S'il choisit de la maintenir malgré l'absence d'ITR, il devra aviser le patient qu'il ne sera pas remboursé. "Il faut que les professionnels acceptent qu’il y ait quelques démarches à faire, très simples … beaucoup d’autres pays sont beaucoup plus contraignants que nous sur les conditions dans lesquelles les médecins peuvent prescrire différents types de traitement", a argumenté Thomas Fatôme. "En Belgique, la moitié des prescriptions de médicaments sont sous accord préalable."
Dans un communiqué diffusé dimanche 3 novembre, l'UFML a appelé les médecins à la "désobéissance" face à un décret qu'il juge "méprisant et déconnecté de la réalité du terrain". Les médecins "n'ont pas à justifier de leurs prescriptions", "il est révoltant et antidéontologique de réduire les besoins de soins de nos patients à de simples recommandations d’experts HAS, alors même que certaines sont en désaccord avec les sociétés savantes", considère le syndicat. "Eux ils vont vous dire que c'est pour la qualité du soin. Mais nous, on voit bien que c'est pour l'économie", lance le Dr Jérôme Marty, joint par Egora. Pour le président de l'UFML, cette mesure, "c'est du temps volé au patient", qui risque en plus d'être "moins remboursé". "Fatôme nous dit que ça prend qu'une minute… mais tout porte à croire qu'ils vont étendre le champ d'application. Donc les quelques coups de clics, ça sera plusieurs fois par jour et à la fin de la journée, ça fera 30, 40 minutes de perdues", alerte le syndicaliste. Et quid du secret médical, quand "sur l'ordonnance ou le document afférent il y a écrit que l'antibiotique est prescrit dans le cadre d'une syphilis"? lance Jérôme Marty.
Patient "pris en otage"
Dans un communiqué envoyé le 4 novembre, la CSMF partage son opposition à cette mesure, "qui complexifie très fortement l'exercice quotidien des médecins libéraux déjà extrêmement chronophage en terme administratif". Après avoir demandé, en vain, une modification du décret, le syndicat indique qu'il a proposé un amendement au PLFSS 2025 afin d'exiger "que seule une case soit à cocher par le prescripteur, identifiant si oui ou non, la prescription respecte les indications ouvrant droit au remboursement ou les recommandations de la HAS".
Conscients de la "lourdeur administrative" et considérant que le patient serait "injustement pris en otage", selon les mots du rapporteur général Yannick Neuder, les députés ont finalement voté contre l'extension du dispositif aux prescriptions d'actes de biologie et de transports sanitaires. Mais pour Jérôme Marty, la vigilance reste de mise car la mesure pourrait être réintroduite par l'exécutif, par le biais du 49.3. Plutôt que de "repenser le financement de l'Assurance maladie", "on en est encore à faire des économies de bout de chandelle" et à "taper sur ces pauvres couillons de médecins ou d'infirmières", regrette le président de l'UFML. Et de mettre en garde : "La profession est extrêmement fragilisée. A force de taper dessus, ils vont la briser."
*Les pouvoirs publics souhaitent réserver les ambulances aux patients devant être transportés en position allongée ou semi-assise, brancardés, portés ou surveillés par une personne qualifiée, sous oxygène, ou transportés dans des conditions d'asepsie particulière. Si le patient ne présente aucune déficience ou incapacité, un VSL ou un taxi ne se justifie même pas. "Le médecin peut prescrire un recours au véhicule personnel ou à un transport en commun qui pourra faire l'objet d'un remboursement par l'Assurance maladie".
**Dans l'ITR ou signalée comme non remboursée (NR).
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