“C’est un succès. Indiscutablement”, lâche le Dr Claude Leicher, au sujet de la version 2021 des centres de vaccination, ceux qui ont été édifiés pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Rien à voir avec la version 2009 de ces structures, alors bâties pour venir à bout de l’épidémie de grippe H1N1. “C’est le jour et la nuit”, commente le généraliste drômois retraité, qui, à l’époque, venait d’être fraîchement élu à la tête de MG France. L’erreur commise en 2009 ? Ne pas avoir impliqué, dès le départ, les professionnels de santé de la ville, raconte-t-il. En 2021, si les autorités centrales ont, dans un premier temps, regardé les initiatives de terrain avec circonspection, elles se sont cette fois montrées plus pragmatiques et ont laissé faire… “Il y a eu les grands vaccinodromes gérés par l’Etat, mais la plupart des centres ont été créés par des libéraux”, souligne le Dr Sylvaine Le Liboux, secrétaire générale des Généralistes-CSMF et responsable du centre de vaccination de Valençay (Indre). Dans son département, “12 des 14 centres de vaccination ouverts ont été organisés par des médecins et infirmières libérales. Ça a été un succès car notre département est, en Centre-Val-de-Loire, celui qui a le plus vacciné”, note la généraliste.
Sur l’ensemble du territoire, c’est une armée de petites fourmis qui s’est ainsi mobilisée pour tenter de remporter “la guerre” contre le virus. Misant souvent sur la carte de la proximité : “Les personnes étaient vaccinées par des professionnels qu’ils connaissaient, en qui ils avaient confiance, retrace le Dr Le Liboux. On a appelé toutes les personnes âgées, on a fait des listes…” Cette implication de tous les instants se traduit dans les chiffres. Que ce soit à Valençay, 13.000 injections depuis janvier, pour une commune rurale de 2.100 habitants. Ou ailleurs, comme à Arès (Gironde). Dans ce centre tenu par un groupe de médecins ayant tous fait "le choix délibéré depuis le début d’être bénévoles”, ce sont 62 000 vaccins qui ont été délivrés depuis l’ouverture de la structure le 4 mars dernier, expose son directeur, le Dr Hervé Pillon. “C’est un véritable service civique que nous avons rendu à la population locale, et un peu plus que locale d’ailleurs, car nous avons drainé des gens d’un peu partout, notamment cet été, constate-t-il. Je pense que ça a été un succès, car l’indice de satisfaction du centre a été total.”
Ajuster l’offre à la demande
Dix mois après le lancement de la campagne, 50 millions de vaccinés plus tard, le rythme des injections s’est essoufflé, concordent les responsables de centres. “On a une nette diminution des demandes, témoigne ainsi le Dr Rosalie Nari-Casalta, à la tête de celui de Lupino (Haute-Corse). Nous sommes passés de plus de 1.000 injections par jour à environ 200.” Même constat du côté du Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF et coordonnateur des huit centres de vaccination de la Mayenne : “de 20.000 doses par semaine au plus fort de la vaccination, on est tombés à 5.000”, mais “si on vaccine beaucoup moins, on vaccine toujours !”, insiste le médecin mayennais. Cette baisse de la demande conduit à ajuster l’offre. Le ministère a ainsi demandé aux ARS de “fermer les centres qui ne sont plus nécessaires, de réduire le nombre de lignes de vaccination, d’adapter les horaires d’ouverture”. Mais si les orientations générales sont prises au niveau national, les mises en œuvre et applications sont, elles, discutées avec les acteurs de terrain, salue le Dr Leicher, aussi co-organisateur du centre de vaccination des Clévos à Valence (Drôme). “Dans le département, nous sommes en échange permanent avec la DT26 [la délégation départementale de l'ARS], la CPAM de la Drôme et, quand nécessaire, les élus ou la préfecture.”
Des fermetures de centres ont déjà été prononcées ces derniers mois, comme en attestent les chiffres du ministère de la Santé : “Le 20 septembre, on avait 1.280 centres de vaccination ouverts, 'actifs', soit qui réalisent plus de 100 injections par semaine. Le 30 août, on en avait 1.402. Et le 31 mai, pic de la campagne, 1.634.” Parmi les centres fermés : le mastodonte du Stade de France le 29 septembre (plus d’un demi-million de doses depuis le 6 avril) ou encore celui de Biganos dans le nord bassin d’Arcachon (Gironde), le 1er octobre (62 000 injections au compteur en 6 mois). Compte tenu de “l’offre de vaccination en ville et de la baisse de la demande, ça ne rimait plus à rien de...
garder un outil capable de réaliser 2.500 injections par semaine pour n’en faire que quelques centaines”, explique le Dr Frédéric Lecamus, coordinateur et responsable médical. Le baisser de rideau a eu lieu au grand dam du centre voisin d’Arès : “On a dit qu’on ne prendrait pas en charge la totalité des besoins de la population de ce secteur, fait savoir le Dr Pillon. Pour qui c'est "aux mairies et communautés de communes de se mettre d’accord pour subvenir aux besoins de la population. Nous, on donne suffisamment en bénévolat depuis huit mois.”
Autre solution : la réduction de la voilure. “On a opté pour une ouverture du lundi au vendredi, mais en s’adaptant à la demande, détaille le Dr Nari-Casalta, c'est-à-dire qu’on a la possibilité d’ouvrir 7 boxs, mais aujourd’hui, on en a ouvert beaucoup moins. En fin de semaine, ça fonctionne moins bien, alors on ferme sur certaines plages horaires s’il le faut.” Pour la généraliste bastiaise, “on se voit mal fermer. Les réfractaires peuvent se décider, la 3e dose arrive…On veut être présents.” Le centre d’Arès se redimensionne également : “On supprime des lignes, et même des jours, explique le Dr Pillon. En octobre, on ne sera ouvert que trois demi-journées par semaine, contre 6 jours sur 7 et toute la journée auparavant”, fait-il savoir. Il ajoute : “Le centre projettera de fermer à un moment ou à un autre, il n’a pas vocation à durer éternellement, d’autant que nous sommes bénévoles. Mais pour l’instant, il n’y a pas de date retenue. Cela va dépendre des besoins de la population locale, mais aussi de la façon dont le transfert peut se faire - il devra forcément se faire un jour -, vers la médecine de ville.”
"On ne recommencera pas tout ce cirque"
Beaucoup se montrent prudents avant d’acter la fermeture totale d’un centre de vaccination. Car les inconnues sont légion : quid d’une éventuelle cinquième vague ? Quid d'une généralisation de la 3e dose ? Mercredi 6 octobre, dans la foulée de l'agence européenne du médicament, la HAS s'est prononcée sur la question. Elle n'a pas opté pour la généralisation d’une 3e dose, mais à élargi la dose de rappel à l'ensemble des professionnels qui prennent en charge ou accompagnent les personnes vulnérables (soignants, transports sanitaires et professionnels du secteur médico-social). Elle préconise également de proposer le rappel à l'entourage des personnes immunodéprimées Si, fin septembre, le ministère de la Santé faisait savoir que ces fermetures n’étaient “pas suspendues à la décision de l’EMA sur un éventuel rappel en population générale”, il admettait néanmoins que c’était “évidemment un élément important”. “Si la HAS dit que la 3e dose est pour toute la population [ce qui n'est donc pas le cas pour l'instant, NDLR], on ne va probablement pas fermer, avançait le Dr Leicher, dont le centre doit - théoriquement - fermer en décembre. Imaginons qu’il faille faire une dose supplémentaire aux 50 millions déjà vaccinés… Quelque part, on revient au redémarrage de la campagne. Et dans ce cas, il est évident que les centres de vaccination ont le débit nécessaire pour aller au bout de cette 3e dose.” Pour mieux gérer l’incertitude, le ministère a donc demandé aux ARS de veiller à “la réversibilité”, à ce que les centres qui ferment soient en capacité de réarmer.
Le réarmement ne se fait pas d’un coup de baguette magique, prévient le Dr Duquesnel. “Je me dis que si on arrête, on ne reprendra pas, c’est une organisation de malade. C’est un risque important à prendre pour les préfets et les ARS car, contrairement à ce qui s’est passé avec la grippe H1N1, là, on a clairement vu que les vaccinations étaient faites par les professionnels de santé libéraux sur le terrain. Ils se sont investis, organisés, se sont montrés agiles et réactifs afin de toucher le plus de gens. Tout ça a été très bien fait mais ça a aussi été épuisant. Et puis on a embauché des ressources humaines, noué un partenariat avec les collectivités qui ont mis à disposition et aménagé des locaux. Si on démonte tout, on ne remontera pas. On ne recommencera pas tout ce cirque”, assure le coordonnateur des centres de Mayenne qui souligne aussi qu’il “n’y a aujourd’hui pas de modèle économique...
en dehors des centres pour la vaccination”. Le Dr Leicher voit aussi un “vrai risque organisationnel” et soulève une autre problématique : les centres sont “des lieux désormais connus de la population, où les gens sont venus faire leurs deux premières injections et s’attendent à faire leur troisième.” D’où la necessité, pour lui, “de rester prudents”. Cela explique pourquoi son centre devrait, théoriquement, ne fermer qu’en décembre. Et pourquoi, sur l’agglomération, le choix a été fait de ne fermer, en novembre, qu’un seul des trois centres : celui du centre-ville.
D’autres responsables de centre, à l’inverse, ne voient pas dans le réarmement un problème. “On verra bien !”, s’exclame le Dr Le Liboux, dont le centre, installé en milieu rural, ferme en novembre. On a bien assuré la campagne de vaccination. S’il y a un problème, on s’adaptera ! Les libéraux se sont toujours adaptés” Quid du personnel embauché, du local occupé ? Pas un problème : le local - la salle des fêtes - sera facile à récupérer ; les professionnels de santé faisant tourner le centre sont libéraux ; et l’accueil est assuré par des bénévoles de la Croix-Rouge. “Je pense que toutes les forces mobilisées peuvent l’être à nouveau, abonde le Dr Lecamus. Que, si demain, le besoin s’en faisait sentir, il y aurait moyen que la ville de Biganos recrée quelque chose. On a toujours réagi au coup par coup.” Pour le Dr Pillon, réarmer est “tout à fait possible. On en a la capacité. Est-ce qu’on en aura la volonté ? C’est une autre affaire, parce qu’à un moment donné, les pouvoirs publics doivent prendre les choses en main. Nous, nous sommes bénévoles, donc on a bien dit qu’à un moment ce serait non.” Le directeur du centre d’Arès a finalement obtenu de la communauté d’agglomération qu’elle pallie, d’une façon ou d’une autre, la fermeture de Biganos, mais aussi celle de Lacanau, prévue fin octobre, “pour venir nous épauler si besoin. Nous avons un certain nombre de créneaux ouverts, ce sont des fenêtres qui correspondent à notre capacité. Mais on ne fera pas plus si personne ne vient nous aider sur le secteur.”
Le défi de la troisième dose
Pour “maintenir la meilleure accessibilité à la vaccination, sur tout le territoire”, l’avenue de Ségur mise sur “la mobilisation de la ville”. Selon un document consulté par l’AFP, les centres de vaccination pourraient ainsi fermer cet automne, ou au plus tard en février 2022… en fonction de la capacité des libéraux à prendre le relais au cabinet. Deux scénarios sont sur la table : selon que les libéraux parviennent à effectuer 750.000 ou 300.000 injections par semaine, cela impliquerait une fermeture des centres en octobre ou en février. “Tout est déjà en place pour permettre la vaccination en ville, assure l’avenue de Ségur, valorisant la disponibilité des vaccins. La France a été un des premiers pays au monde à mettre à disposition des professionnels de la ville des vaccins anti-Covid au début de la campagne, fin février. Ensuite, la France a été un des premiers pays au monde à mettre à leur disposition les vaccins à ARN messager, au printemps. Et là maintenant [avec l’arrivée du Pfizer le 1er octobre, NDLR], on met à la disposition des effecteurs de la ville tous les vaccins à ARN messager. C’est une première mondiale. Cela se fait au prix de défis logistiques vraiment considérables.” Reste que les précédents avec l’AstraZeneca, le Janssen et le Moderna ont, quelque peu, éprouvé les troupes.
Dans l’éventualité d’une généralisation de la troisième dose, le Dr Duquesnel a demandé à l’ARS et au préfet, avant de décider de fermer des centres, de “s’assurer que les professionnels de ces territoires sont d’accord pour répondre à de tels besoins de vaccination au cabinet”, ce qui, selon lui, n’est “pas du tout certain”. Pour beaucoup de médecins du Pôle de santé du Pays de Mayenne, “l’avantage d’aller en centre de vaccination est qu’ils s’affranchissent de toute contrainte administrative, des commandes et tout le reste. Ils disent : ‘Si le centre ferme, on ne vaccine plus’”, rapporte-t-il. Même échos du côté du Dr Nari-Casalta : “Tant qu’on a le Pfizer et le Moderna en multidoses, ça risque d’être un peu compliqué… Même si tout est faisable ! [...] Mais sur Bastia, les médecins avec lesquels je discute n’ont pas eu une bonne expérience avec l’AstraZeneca et préféreraient, pour la majorité, continuer à donner un coup de main au centre plutôt que de vacciner au cabinet.” “Transférer la vaccination de masse en médecine de ville, pour moi, c’est une gageure, juge le Dr Pillon. C’est un discours politique,...
pas plus.” Pour lui, “plus on généralisera la troisième dose - et on y viendra forcément -, plus la notion de vaccination de masse sera d’actualité, et moins la médecine de ville pourra répondre à cette demande. Même si elle fait ce qu’elle peut !”“Autant il y a une appétence à offrir le service à ses patients en proximité, autant il y a l’angoisse d’une déstabilisation de l’exercice soignant”, résume le Dr Claude Leicher, aussi président de la Fédération nationale des CPTS, qui réfléchit notamment aux moyens de faire intervenir l’exercice coordonné pour fiabiliser la vaccination en cabinet.
Il y a aussi les partants, à l’image du Dr Lecamus et du Dr Le Liboux, qui se focalisent sur le positif. À savoir la disponibilité actuelle des vaccins : le Moderna et surtout le Pfizer, ayant longtemps manqué à l’appel. Le mieux, en matière de délai de conservation : l’EMA ayant étendu la durée de conservation au réfrigérateur des flacons non ouverts de vaccins Pfizer à 31 jours contre 5 par le passé. La préparation, qui n’est pas forcément un obstacle : “Pour les personnes qui sont en MSP, des infirmières le feront. Pour ma part, je suis en cabinet, mais je me suis formée, et j’ai aussi une assistante médicale qui pourra gérer, fait savoir le Dr Le Liboux. Quant aux infirmières libérales, elles ont travaillé en centres de vaccination, elles savent donc très bien faire la manipulation.” Ils pointent aussi le nombre d’effecteurs : “Le réseau de ville est très développé, très compétent, c’est un réseau de proximité qui permet quand même de pratiquer facilement cette troisième dose telle que l’indication est définie”, juge le Dr Lecamus. “On va tous s’y mettre, il n’y aura pas que les médecins… Un peu comme la grippe !”, confirme le Dr Le Liboux, qui note que de toute façon, les troisièmes doses seront étalées. "On va assurer", affirme la généraliste. Pour le moment, “le réseau de ville est loin d’être débordé, estime Frédéric Lecamus. Je pense qu’il devrait répondre sans problème.” Pour lui, “le vrai souci aujourd’hui, c’est l’épuisement des patients”, qui en ont marre d’entendre parler de vaccins. Quel que soit le vaccin.
La fatigue, elle, saisit aussi évidemment les professionnels de santé libéraux, après un an et demi d’épidémie, dix mois de campagne de vaccination, une absence de vacances, des week-ends empiétés et des horaires de folie. Mais “quand il s’agit d’une crise sanitaire, on est à fond. La fatigue, on y pensera plus tard, livre le Dr Rosalie Nari-Casalta. Si on peut sortir de cette crise, ce sera notre victoire et notre récompense. Je pense que la vaccination ne fait pas tout, mais elle y contribue”. Alors il s’agit de continuer, que ce soit en centre de vaccination...ou au cabinet.
“La ville est prête, la ville a tous les outils, et on en rajoute d’autres”, avait déclaré le ministère de la Santé le 28 septembre dernier, lors d’un point presse. Le nouvel outil alors annoncé : la compétence donnée aux pharmaciens qui le souhaitent, de préparer des seringues pré-remplies des vaccins à ARN messager (Pfizer et Moderna). Avec pour objectif de permettre aux autres effecteurs de la ville de s’affranchir des contraintes liées aux flacons multidoses.
C’est désormais officiel : le texte, modifiant un arrêté du 1er juin 2021, a été publié le 4 octobre. Afin de “faciliter l’écoulement des lots de vaccins”, “le pharmacien exerçant dans une pharmacie d’officine ou dans un centre de vaccination peut également reconstituer les vaccins mentionnés [...] et les délivrer sous forme de seringues individuelles pré-remplies aux professionnels et étudiants autorisés [...] à prescrire et administrer ces vaccins. A cet effet, le pharmacien appose sur chaque seringue une étiquette indiquant le nom du vaccin, son numéro de lot, la date et l’heure de reconstitution, ainsi que la date et l’heure limite d’utilisation. Il veille à ce que les seringues soient transportées dans un conditionnement étiqueté et adapté permettant d’en assurer le transport, la conservation et la traçabilité”.
Une solution intermédiaire, qui semble ne pas convaincre les praticiens interrogés, toujours pour des raisons logistiques. Tous appellent de leurs vœux la mise à disposition de doses unitaires, qui permettraient de vacciner au fil de l’eau et d’éviter le gaspillage. Or selon le ministère, si “les laboratoires réfléchissent à des conditionnements plus adaptés, on n’aura pas d’unidoses avant la deuxième moitié de 2022”.
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