
Patients "victimes" et soignants "alcoolisés" : des révélations de Mediapart jettent le trouble sur l'agression aux urgences d'Annemasse
Des éléments de l'enquête de police révélés par Médiapart, notamment des images de vidéosurveillance et des témoignages, remettent en cause la version des soignants des urgences de l'hôpital privé Pays de Savoie sur les événements survenus le 8 janvier dernier.

Alors que dix-huit mois de prison, dont six mois ferme, ont été requis mardi 17 février à l'encontre de deux frères, ces révélations de Médiapart jettent le trouble sur la violente altercation survenue aux urgences d'Annemasse le 8 janvier dernier, qui avait suscité l'indignation générale. D'après le site d'investigations, en effet, plusieurs éléments soulevés par l'enquête de police font apparaître les deux prévenus comme les victimes plutôt que comme les agresseurs.
Ce soir-là, Hassim C., un cheminot de 33 ans, se présente aux urgences, le visage en sang et le bras droit douloureux (il se révélera fracturé) suite à un accident du travail. Il est accompagné de son frère, Nasser C., 25 ans. Mais le patient n'a pas sa carte Vitale, ce qui risque de compliquer sa prise en charge, aurait avancé l'aide-soignante qui l'installe. Nasser C. aurait alors rappelé les pompiers, qui lui assurent que les urgences se doivent de prendre en charge son frère. D'après l'enregistrement écouté par Médiapart, il glisse à son interlocuteur que l'aide-soignante semble "bourrée". Selon ses dires, ce serait également le cas de l'infirmière venue en renfort de sa collègue le prier de quitter la zone de soins. Un repas de Noël était organisé ce soir-là et des membres du personnel, de repos, sont également présents, apprend-t-on.
Forme-t-on trop de médecins ?

Fabien Bray
Oui
Je vais me faire l'avocat du diable. On en a formés trop peu, trop longtemps. On le paye tous : Les patients galèrent à se soigne... Lire plus
Alors que Nasser refuse de sortir, le responsable des urgences -infirmier- intervient, vite rejoint par d'autres membres de l'équipe. Que s'est-il passé ensuite ? Deux versions s'opposent. D'après les soignants, les deux frères les auraient agressés, blessant huit d'entre eux. Les deux mis en cause soutiennent au contraire que ce sont les soignants, alcoolisés, qui les auraient agressés. Le lendemain, ils se sont d'ailleurs présentés au commissariat pour porter plainte… avant d'être eux-mêmes placés en garde à vue et mis en examen.
Mais plusieurs témoignages relevés par Médiapart viennent corroborer leur version. Présent aux urgences ce soir-là, un homme, "voyant les informations à la télé", se présente à la police pour rapporter "la réalité des faits" : il assure n'avoir "jamais vu [Nasser] porter des coups de poing ou de pied" et rapporte même avoir dû intervenir auprès d'un médecin qui "tenait par le col le blessé", allongé "au sol", et "avait le poing armé au-dessus de sa tête". Une aide-soignante, interrogée par la police, reconnaît quant à elle qu'elle n'a assisté à "aucun coup". Une infirmière indique que les deux frères avaient l'air "stressés" et que le patient semblait "souffrir".
Le site d'investigations diffuse par ailleurs deux extraits de vidéosurveillance qui remettent également en cause la version des soignants. Dans l'un deux, on voit le responsable des urgences, qui aurait été blessé au poignet durant l'altercation, assener un coup de poing violent dans une porte, 10 minutes après le départ des frères. Dans l'autre, on voit les deux frères raccompagnés calmement par des membres du personnel vers la sortie : Nasser C. soutient son frère, qui sera ensuite pris en charge dans la nuit aux Hôpitaux universitaires de Genève. D'après plusieurs infirmières, pourtant, les deux frères "se seraient enfuis avec leur voiture".
L'altercation elle-même n'a pu être filmée : la caméra de surveillance serait tombée en panne ce jour-là. Aucun test d'alcoolémie n'a par ailleurs été réalisé.
Contacté par Mediapart, le groupe Ramsay auquel appartient l'hôpital privé Pays de Savoie n'a pas souhaité répondre.
[avec Mediapart]
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