
"J'ai été notaire puis kiné avant de me lancer en médecine" : internes à plus de 40 ans, ils se confient
Alors que la moyenne d’âge des internes en médecine générale tourne autour de 26 ans, certains futurs médecins ont déjà eu une vie professionnelle - parfois diamétralement opposée - avant de choisir cette voie. C’était le cas du Dr Bernard Pino qui s'est installé comme médecin généraliste à 68 ans, quelques jours après avoir passé sa thèse. Un travail qui a justement porté sur les internes de plus de 40 ans. Pour Egora, il dévoile les témoignages qu'il a recueillis.

"Est-ce raisonnable de commencer des études si longues" après 40 ans ? C'est la question que s'est posé le Dr Bernard Pino dans son travail de thèse. Un comble pour ce médecin généraliste qui a repris ses études de médecine en quatrième année à l'âge de 59 ans. Pour ses recherches, le médecin a interrogé sept internes, trois femmes et quatre homme. Tous étaient mariés avec des enfants. Le plus jeune était âgé de 42 ans en début d'internat. Les plus âgés avaient 52 ans, soit un âge médian de 47 ans.
Forme-t-on trop de médecins ?

Fabien Bray
Oui
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"Rêve de gamine"
Le Dr Pino s'est ainsi intéressé aux motivations qui ont poussé les carabins à se lancer en médecine après 40 ans. "J'ai toujours voulu être médecin, mes parents ne voulaient pas, ils voulaient que je reprenne le cabinet de géomètre familial, voilà et moi je voulais soigner des gens", confie l'un d'eux. Une autre parle "de rêve de gamine".
"Mon père est mort en 1974 de silicose, il était tout le temps malade ; et sur son lit de mort il me disait, 'tu vois, c’est un beau métier, j’aimerais bien qu’un jour tu sois médecin'. Sur son lit de mort, pareil en 2005, elle (ma mère) m’a dit 'n’oublie pas la promesse que tu as faite à ton père de faire médecine'", témoigne un autre interne.
D'autres, peu effrayés par les années d'études, n'hésitent pas à essayer plusieurs métiers. "J'étais notaire, j'ai fait 15 ans de notariat ; j'ai repris mes études de médecine une première fois à 35 ans pour devenir kiné. J'ai été kiné de 2005 à 2013. J'ai repris médecine pour faire médecine", rapporte une étudiante.
Plusieurs internes interrogés étaient déjà dans le domaine scientifique ou médical. Les autres étaient tous à bac +5. "J'ai eu mon bac à 16 ans, puis après j'ai fait une école d'ingénieur ESGT (école supérieure géomètre et topographe), ensuite j'ai travaillé un an, puis j'ai fait infirmière de bloc ", développe une future médecin. Un autre faisait de la recherche en neurosciences. "J'ai d'abord été chercheur à l’Inserm de Lyon en tant que maître de conférences à la fac de pharmacie. J’ai démissionné de ce poste pour aller dans le privé chez Sanofi. Pour ce travail, j’ai été amené à retourner à l'hôpital travailler avec les médecins. Puis mon poste de recherche a été supprimé. Du coup je me suis dit 'je me reconvertis'", témoigne un autre étudiant interrogé par le Dr Pino.
Pour se lancer en médecine, les étudiants ont bénéficié de plusieurs soutiens, qu'ils soient familiaux ou institutionnels. L'un d'eux a demandé un contrat d'engagement de service public (CESP). Un autre a souhaité avoir un tuteur. "C’était par mail les fois où j'avais juste besoin d'une phrase encouragement (…) Avoir quelqu'un qui pouvait me dire 'oui ça vaut le coup de continuer, t'as les capacités'. (…) A un moment, j'avais besoin de ça", confie un étudiant au Dr Pino.
D'autres ont poursuivi une vie professionnelle en parallèle de leurs études. "J'ai commencé en première année, mais j'ai dû arrêter par moments pour retravailler (…) (parce que je n'avais pas gagné au loto !)", rapporte un carabin. "J’étais ingénieur logistique dans une structure (Darty) et j’ai continué à travailler pendant toutes mes études jusqu’à l’internat", confie un autre. Plusieurs internes interrogés ont pu compter sur l'emploi de leur conjoint pour se lancer dans les études.
"Un long moment de vie"
Au-delà de l'aspect financier, le "soutien affectif" a été mis en avant par les futurs praticiens. "Ils pensaient que j’y arriverais alors que ce n’était pas gagné d’avance. Je pense que j’ai toujours eu la sécurité de me dire qu’ils y croyaient aussi donc ça a été important", témoigne un étudiant. Les enfants des carabins ont souvent été un soutien important. "Elle avait 12 ans quand j’ai repris ; alors ça fait un long moment de vie parce que j’ai terminé jusqu’à ce qu’elle arrive en études supérieures, donc on a avancé une partie ensemble (…) c’était un super soutien", rapporte un autre interne.
L'intégration parmi les étudiants et dans les services a été analysée par le Dr Pino. Globalement, les étudiants interrogés n'ont pas relevé de difficultés majeures. Seul l'un d'eux relève quelques soucis d'intégration "avec ses camarades, alors qu'il était quadragénaire au milieu 'de jeunes de 18 ans'".
"J'ai l’expérience de la vie, je sais ce que c’est de respecter la hiérarchie même si l’interne est plus jeune que moi, le chef de service aussi… J’apprenais à le respecter et il me le rendait bien ; ça se passait bien, je n’ai jamais eu de problème", témoigne un étudiant. "Mes quelques mèches grises faisaient que je n'étais pas toujours considéré comme un esclave, mais chez nous, l'externe fait beaucoup les choses ingrates", s'amuse un autre étudiant interrogé. Certains racontent également avoir été pris pour les médecins alors qu'ils n'étaient qu'externes et que l'interne était beaucoup plus jeune !
"Vieillir moins vite"
"Je me suis fait plein d’amis, des petits jeunes de 18 ans ; j’ai appris à travailler avec eux, ils n’ont pas été surpris de voir un vieux bonhomme étudier avec eux, au contraire ils ont été super gentils et super cools", témoigne un carabin. Tous ont pris du plaisir lors de leur études, bien que certains aient d'abord ressenti une appréhension. "Au début, il y avait cette peur, je suis peut-être en train de rentrer dans un mur et puis au fur et à mesure que tu as avancé, tu te renforces, tu te grandis, tu te valorises, le regard des gens change", rapporte l'un d'eux. La plupart ont suscité l'admiration de leurs camarades. Un autre rapporte même avoir "eu l’impression de vieillir moins vite pendant un moment". "On se retrouve au milieu des jeunes, on vit au milieu d’eux ; ils nous font oublier notre âge ; on a cette sensation étrange de décalage avec la génération dont on fait partie ; on se retrouve avec les préoccupations d’étudiants avec les études, les concours, les évaluations", étaie-t-il.
Les problématiques relevées par la plupart des "vieux internes", n'étaient pas tant liées aux études de médecine qu'à la charge mentale qui les accompagnait. "Les difficultés par rapport aux études, ce n'était pas la mémorisation mais d’avoir énormément de choses à gérer à côté", relève l'un des étudiants. "Après la première année où je ne me suis consacré qu’à ça", la difficulté a "été de cumuler les études avec mon boulot de kiné puisque j’ai repris à partir de la 2ème année", rapporte l'ancienne notaire qui a gardé un mi-temps de kiné de la 2ème à la 5ème année.
"J’ai bossé comme un taré jour et nuit"
La première année a toutefois été citée par plusieurs comme un obstacle marquant. "La première année, oula ça secoue (…) J’avais toujours un train de retard (…). Il me fallait un ou deux mois de plus pour apprendre par rapport aux autres", reconnait un étudiant interrogé. "La première année, ça été costaud pour moi (…) il a fallu que je décrasse tout ça ; et j’ai bossé comme un taré jour et nuit ; je dormais 4 heures par nuit ; la grosse difficulté ça a été la première année", confie un autre carabin.
"Pour tous, la partie théorique a été difficile ; mémoire moins efficiente pour certains, ou difficulté d’apprendre sans tout comprendre pour d’autres. Mais tous ont noté que la mémoire s’améliorait avec les années quoi qu’ils soient toujours en état d’infériorité par rapport aux 'jeunes' plus véloces", a constaté le Dr Pino.
Les difficultés financières ont également été largement citées par les carabins interrogés. "Je travaillais mais j’avais aussi beaucoup de dépenses supplémentaires (trajet, logement)", cite l'un d'eux.
"Globalement, le résultat est positif pour eux tant au niveau personnel que familial. La famille profite aussi bien du confort financier que du bien-être psychologique de ces nouveaux jeunes/vieux médecins. Toutes et tous rapportent une nouvelle jeunesse aussi bien physique que mentale", conclut le Dr Pino, qui note que si pour certains le chemin a été "éprouvant", "aucun n’a été abîmé pendant ce long parcours".
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