Egora : Prêtre, médecin, auteur… Michel Mathias, qui êtes vous ?! Michel Mathias : Je suis un Breton de souche de 49 ans ! Blague à part, je suis médecin généraliste depuis plus de 15 ans, dans la région de Lorient, marié avec un homme. J’ai d’abord ouvert un cabinet dans la région de Rennes, où je suis resté une douzaine d’années. J’ai toujours été très engagé dans ma pratique, je me suis syndiqué, j’ai monté une maison de santé notamment. Mon rêve était d’habiter près de la mer, donc j’ai quitté Rennes pour un centre de santé à Lorient. Finalement, j’ai décidé de changer à la fin de l’année dernière pour devenir remplaçant. D’ici un an ou deux, j’aimerais me réinstaller dans un cabinet. Mais effectivement, j’ai eu une autre vie avant ! Venons-y… Vous avez débuté vos études de médecine en 1991 mais vous vous êtes arrêté en troisième année à l’époque. Pourquoi ? Oui, lors de mes premiers stages à l’hôpital, je ne me suis pas senti à la hauteur d’assurer du soin et du suivi à l’hôpital compte tenu de mon jeune âge. J’ai trouvé l’expérience très brutale pour un jeune de 22 ans, notamment quand il s’agissait de suivre des patients au dossier très lourd, en cancérologie par exemple. Je me souviens d’une discussion avec une maman, enceinte, atteinte d’un cancer du sein… J’étais tellement bouleversé que je ne savais pas quoi lui dire. J’ai réalisé que je n’étais pas prêt à être médecin, et pourtant c'était mon rêve. J’ai toujours voulu faire ça. A l’origine, mon projet était de faire de la pédiatrie en milieu humanitaire ou de la cardiopédiatrie. Et donc, j’ai décidé de faire une pause dans mes études.
Vous avez profité de cette “pause” pour faire plusieurs projets humanitaires à l’étranger… Oui, je suis parti au Congo avec la délégation catholique pour la coopération (DCC). A cette occasion, j’ai fait des rencontres avec des religieux qui m’ont beaucoup perturbé. J’ai été élevée dans la tradition catholique mais je n’étais pas spécialement croyant. A 18 ans, des amis de la faculté m’avaient emmené à un camp jeune catholique mais c’est en rencontrant ces religieux que je me suis posé la question fondamentale de la présence de Dieu. Je suis resté en contact avec eux. Au cours de cette année de césure, vous avez eu envie “de vivre une expérience en milieu religieux”. Vous vous cherchiez? Je me suis “réfugié” dans un monastère pendant ma troisième année, en 1994. Finalement, je suis resté cinq ans en communauté. J’ai fait une première étape de “regardant”, pendant un an, où je participais au quotidien et aux offices. S’en est suivie une phase de “postulat”, qui dure deux ans, où j’ai pris un peu d’engagement. Troisième et dernière étape : le noviciat, de trois ans, une sorte de "fiançailles" à l’issue de laquelle on choisit ou non de prendre la robe, ce que j’ai fait. Au cours de cette expérience, j’ai fait la rencontre d’un homme et j’ai découvert ma sexualité et mon affectivité, homosexuelle vous l’aurez compris. J’en parle en partie dans le livre. Je n’avais jamais eu aucune expérience de cet ordre-là, ça a été un bouleversement. J’en ai parlé à l’époque au Père spirituel qui me suivait. S’il ne m’a pas condamné, nous avons été séparés… Mais ça a laissé la question de mon orientation sexuelle en suspens. Finalement, après cinq ans dans les ordres, vous avez décidé de quitter votre communauté pour reprendre les études de médecine… Qu’est-ce qui vous a motivé ? Plusieurs choses. Quand j’étais en Afrique, je m’occupais d’enfants de la rue en travaillant à mi-temps dans une infirmerie avec une congrégation religieuse, présente sur place. Une religieuse italienne, quand elle a appris que j’étais étudiant en médecine, m’a dit qu’on manquait de médecins et qu’il fallait que je termine mes études. Cette anecdote est loin d’être la seule… Je pense aussi à une autre, avec un chirurgien. Dans le village où j’étais, il n’y en avait qu’un seul pour tous les patients. Il était là pour les grosses plaies, les traumatismes, etc. Un jour, il m’a demandé de l’assister au bloc pour un patient atteint d'appendicite mais il pensait que j’étais interne, pas étudiant de premier cycle. Il m’a donné le scalpel pour que je fasse l’intervention. J’ai refusé, il m’a montré… sauf que son scalpel était rouillé et qu’il ne fonctionnait pas. En plus, le patient s’est réveillé en pleine opération ! Là-bas, ils faisaient les anesthésies au Valium, souvent sous-dosées. J’ai ressenti un fort sentiment d’impuissance et je me suis dit que j’allais devenir médecin pour revenir sur le terrain. La dernière chose, c’est que j’avais mis un couvercle sur la découverte de ma sexualité et de mon homosexualité mais ce n’était pas compatible avec les ordres et ça m’est revenu en boomerang. Je me suis donc dit que je ne pourrais pas être entièrement heureux et qu’il fallait que j’aille expérimenter autre chose. C’est à ce moment que j’ai décidé de reprendre médecine. Vous avez repris médecine en troisième année 1999, sans aucune appréhension cette fois ? Bien sûr que si. La dernière année sous les ordres, à mon retour d’Afrique, j’avais entamé une formation pour devenir psychothérapeute. A cette occasion, j’ai beaucoup travaillé sur moi-même et ce que je venais de vivre… mais j’ai aussi réalisé que je voulais faire médecine et rien d’autre.
Comment s’est passé le retour sur les bancs de la faculté à 27 ans ? C’était compliqué, il y avait un décalage avec les autres étudiants. Quand j’ai quitté les ordres, je me suis retrouvé seul sur le plan affectif, social, financier. J’ai atterri dans un petit logement au rez-de-chaussée sans lumière que je n’avais pas les moyens de payer. Je n’avais plus d’économies donc la communauté m’a aidé pendant un an, jusqu’au début de mon externat. Je me débrouillais avec des copains pour la nourriture et j’ai réussi à décrocher un statut d’étudiant boursier, qui me permettait de faire mes courses. Du coup, en parallèle de mes études, je faisais des gardes de nuit en tant qu’infirmier dans des maisons de retraite, par exemple.
Vous vouliez toujours devenir pédiatre ? Au départ oui… Mais finalement la pédiatrie en libéral m’intéressait moins et je voulais absolument exercer en ville. Je me suis donc orienté vers la médecine générale pour son côté pluridisciplinaire et aussi parce qu’il n’y avait pas de concours d’internat à l’époque et que j’étais déjà “vieux” (rires). Par ailleurs, je n’avais pas envie de prendre le risque de quitter la Bretagne avec un mauvais classement alors que je venais de refaire ma vie. J’ai finalement obtenu mon diplôme en 2006. Aujourd’hui, j’adore ce que je fais. En médecine générale, on touche à tout ! Passer de la rhumato, à la pédiatrie, à l’endocrino à la géronto… c’est passionnant. Comment parvenez-vous à gérer votre foi et votre pratique médicale ? En étant étudiant, ça me permettait de trouver un groupe. Mais au fil du temps, ma foi s’est estompée… Aujourd'hui, je ne suis plus en accord avec ce qu’il se passe dans l’Eglise. Il y a trop de contradictions et je ne suis pas en harmonie avec l'Église catholique et certaines de ses règles. Il n’empêche que je reste quelqu'un d’éveillé spirituellement.
Vous venez de publier votre premier roman. Que raconte-t-il ? C’est l’histoire de choix qui sont à faire quand on a 20 ans, les choix de la jeunesse. Je trouve qu’à 18 ans, on nous demande beaucoup et il nous manque plein de choses. Il faut passer le permis, avoir choisi son métier, savoir qui on est sexuellement, affectivement, il faut un statut social… Mais pourquoi choisir ? J’aime aussi l’idée de raconter une histoire qui permet d’apprendre. Je me suis dit que le sujet de l’homosexualité en milieu religieux n’avait jamais été traité. D’où est venue cette envie d’écrire ? Je pense que j’ai un message à faire passer, un réel désir de partager quelque chose aux autres. J’ai eu envie de raconter une histoire. Elle est inspirée de souvenirs, de mon parcours personnel, mais c’est romancé. Je me suis servi de mes carnets de voyage d’Afrique notamment. Vous avez choisi de l’intituler “La robe ou le pantalon”, en référence à votre histoire singulière. Vous avez choisi, aujourd’hui ? Oui ! Mais c’est un titre à tiroirs ! La robe ou le pantalon signifie la vie laïque ou la vie religieuse et renvoie aussi à la masculinité ou la féminité. Pour finir sur un troisième et dernier niveau d’interprétation, le titre fait écho aux “métiers de la Robe”. Dans l’Ancien Régime, avant la Révolution, les métiers de la robe étaient des métiers dits “intellectuels”, qu’on opposait aux métiers de l’armée. Personnellement, ça me fait penser à l’exercice en cabinet pour le premier et à l’exercice de la médecine en milieu humanitaire pour le second.
Michel Mathias, “La robe ou le pantalon”, Editions du Lys Bleu,
20,80 euros. Lire disponible sur commande en librairie ou en ligne. Michel Mathias sera présent au salon du livre de la Rochelle du 4 au 6 novembre.
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