"Je n'ai pas la force de redoubler" : les étudiants en médecine désemparés face aux rattrapages des EDN
À partir d'aujourd'hui et jusqu'à demain, 1 021 étudiants en sixième année de médecine sont attendus aux rattrapages des Épreuves dématérialisées nationales (EDN), dont la première session s'est déroulée mi-octobre. Créées par la réforme du deuxième cycle des études de médecine, ces épreuves évaluent les connaissances théoriques des externes. Les carabins n'ayant pas obtenu, à l'automne, une note suffisante pour poursuivre le concours de l'internat doivent se présenter à cette seconde session. Il y a quelques jours, trois d'entre eux nous ont fait part de leur désarroi à l'approche de ces nouvelles épreuves.
"Je ne peux pas travailler plus que ce que je suis déjà en train de faire." À l'autre bout du téléphone, Manon* soupire : "Avec ces révisions, je n'ai pas eu de Noël ni de nouvel an. Je n'ai même pas pu voir ma famille…" Depuis deux mois, l'externe de 24 ans s'est replongée dans ses bouquins. Chaque jour, de 8h30 à 22h, elle enchaîne les révisions. Comme 1 020 autres étudiants en sixième année de médecine, elle doit se présenter ces mardi 16 et mercredi 17 janvier aux rattrapages des Épreuves dématérialisées nationales (EDN), dont la première session s'est déroulée mi-octobre.
Créées par la réforme du deuxième cycle des études de médecine (R2C), ces EDN – basées sur l'évaluation de différentes connaissances théoriques - remplacent désormais les Épreuves classantes nationales informatisées (ECNi). D'après les chiffres fournis par le Centre national de gestion (CNG), en charge d'organiser ces épreuves, à Egora, 12,46% des étudiants sur 8 192 inscrits n'ont pas obtenu la note nécessaire de 14/20 aux connaissances de rang A - jugées indispensables à tout médecin quelle que soit sa spécialité - pour être admissible à l'internat.
Manon, dont la promotion inaugure ces nouveaux examens, est l'une d'entre eux. "Je savais que je n'avais pas brillé, mais je ne m'attendais pas à rater", confie l'étudiante, qui a trouvé ces premières épreuves "très difficiles". Avec 11,60/20, la jeune femme tombe de haut lors de la publication des résultats début novembre. "Ça a été la descente aux enfers. Pendant trois jours, je suis restée au fond de mon lit. Je ne faisais que pleurer, je me disais que je n'en pouvais plus. Je voulais que ça s'arrête. La ligne rouge n'était plus très loin", rembobine-t-elle. Un "choc et un ras-le-bol" aussi ressentis par Emilie*, 23 ans, après avoir découvert sa note de 13/20 : "Je pleurais, j'étais déprimée. J'ai eu du mal à me remettre à réviser. Mon corps avait besoin de récupérer après avoir passé un été à travailler" en prévision des EDN. Ces examens représentent 60% de la note classant les étudiants pour le choix de leur spécialité et de leur subdivision.
Aujourd'hui encore, lorsqu'elle se met à son bureau, l'étudiante de l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yveline assure enchaîner "pleurs" et "maux de ventre" dus au stress. "Ces rattrapages sont un peu ma dernière chance, lâche la jeune femme. Je sais que je n'ai pas la force de redoubler." Pour éviter une telle situation, et participer aux Examens cliniques objectifs structurés (Ecos) fin mai, la jeune femme qui vise médecine générale doit obtenir la fameuse note de 14/20 lors de la seconde session des EDN.
"Ces études ont l'art de nous faire nous sentir nuls"
Cette note seuil, censée attester d'un niveau suffisant de connaissances des futurs internes, est jugée trop élevée par de nombreux étudiants. "Je trouve cette note inadmissible. On est beaucoup à ne pas comprendre d'où elle sort", confirme Manon, entre deux révisions : "On nous dit qu'il faut que l'on ait un minimum de connaissances [pour devenir médecin, NDLR] et qu'une note de 10/20 ne serait pas suffisante. Mais dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi le niveau a été fixé à 14/20."
Une incompréhension partagée par Antoine*, 24 ans. "La note aurait pu être baissée", estime l'étudiant lillois. Avec un 13,96/20 obtenu aux connaissances de rang A, le jeune homme peine à masquer son désarroi. "Je trouve cela abusé de devoir repasser un concours pour même pas 0,05 point de différence, lâche-t-il. Cette situation a beaucoup joué sur mon mental et mon ego." En stage lors de la publication des résultats, Antoine perd rapidement confiance en lui. "Quand je suis revenu à l'hôpital, j'ai commencé à me remettre en question. Je n'étais plus sûr de mes connaissances", souffle l'externe. Dépité, il a fini par prendre un mois de congé sans solde pour se reposer et se replonger petit à petit dans les révisions.
Redoublement stratégique
"Ces études ont l'art de nous faire nous sentir nuls. On est toujours défini par un classement", abonde Emilie. Alors que 75% des carabins souffrent d'anxiété, selon une étude publiée en 2021 par les principales organisations syndicales des étudiants en médecine, la jeune femme voit dans la R2C – et les rattrapages qu'elle instaure - une nouvelle atteinte à la santé mentale des étudiants.
De son côté, malgré un "épuisement mental", Antoine multiplie les QCM depuis début décembre. "Mais c'est impossible de revoir tous les items demandés, estime-t-il. Par exemple, je n'ai pas le temps de reprendre les collèges." Contrairement à la première session des EDN, répartie sur trois jours, la seconde s'organise en deux demi-journées d'examens de trois heures et ne comporte pas d'épreuve de lecture critique d'articles scientifiques (LCA).
Ce programme quelque peu allégé n'empêche pas certains étudiants d'envisager un redoublement stratégique pour espérer obtenir une note plus élevée l'année prochaine. Car, même s'ils atteignent la note de 14/20 au rang A aux rattrapages, seuls les résultats obtenus lors de la première session seront comptabilisés dans le classement final pour accéder à l'internat. Le nombre de carabins songeant à un tel redoublement est encore inconnu. Pour l'instant, "on n'a pas tellement d'informations là-dessus. Mais c'est l'une des craintes que l'on peut avoir", confirme Jérémy Darenne, président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).
Un trou de 2000 internes?
L'an dernier déjà, l'entrée en vigueur de la R2C à la rentrée 2023 a poussé des étudiants en cinquième année de médecine à redoubler par anticipation. Ils craignaient d'être lésés par la réforme et ont préféré attendre un an supplémentaire avant de passer les EDN. "Habituellement, on compte 2,5% de redoublement en cinquième année, mais l'année dernière ce taux est monté à 8%. Les étudiants n'étaient pourtant pas plus mauvais", avance Jérémy Darenne. Près de 8 200 carabins ont ainsi passé le concours de l'internat en octobre, là où ils étaient en moyenne 9 500 les promotions précédentes, d'après le représentant de l'Anemf. Cette baisse des effectifs interroge certains étudiants, dont Manon : "On sait déjà que l'on sera moins d'internes la prochaine rentrée." Avec ces nouvelles épreuves, "on prend encore le risque de nous faire redoubler et qu'il y ait un trou de 2 000 internes. Je trouve ça affolant alors qu'on entend tous les jours que l'on manque de médecins…"
Pour ceux qui n'envisagent pas de repiquer leur sixième année afin d'améliorer leur classement, le maintien de la note obtenue en première session à l'issue des rattrapages est perçu comme "injuste et maltraitant". "C'est une double peine", appuie Manon. "On doit à la fois aller aux rattrapages en janvier sans être certain de valider", ce qui est source d'une forte charge de travail et d'un stress important, et en même temps "on risque d'être mal classés" à la fin de l'année.
Comme un grand nombre de ses camarades, l'étudiante bretonne considère sa promotion comme une année "crash-test". "On n'a pas eu de chance. On se prend la réforme en pleine face et je trouve que l'on prend cher", souligne-t-elle. "On a l'impression que l'on nous laisse faire et que l'on verra par la suite [ce qui doit être modifié]", poursuit Antoine. Après des semaines à bachoter, l'étudiant lillois n'a qu'une hâte : en finir avec ces rattrapages. Lui, et les 1 020 autres étudiants devant plancher ces mardi et mercredi, connaîtront leurs résultats le 31 janvier, d'après le CNG.
*Le prénom a été modifié.
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