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Faute médicale : vers un renversement de la charge de la preuve ?

Si, pour être indemnisé, un patient doit apporter la preuve d’une faute médicale en lien avec son préjudice, le médecin doit aussi démontrer que les soins prodigués étaient appropriés.

12/01/2025 Par Nicolas Loubry
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Sauf exceptions, la responsabilité d’un médecin ne peut être retenue que si trois conditions cumulatives sont réunies : une faute de sa part, un préjudice pour son patient et un lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice. C’est ce qui est notamment rappelé par l’article L.1142-1 du Code de la santé publique, qui précise que les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute et que la preuve d’une faute comme celle d’un lien causal avec le dommage invoqué incombe au demandeur, donc au patient.

Toutefois, un médecin a l’obligation de délivrer des soins appropriés, consciencieux et attentifs, conformes aux données acquises ou actualisées de la science. Il a ainsi l’obligation d’informer son patient pour permettre à ce dernier de donner son consentement éclairé à un acte, une prescription, une intervention chirurgicale. Un devoir d’information qui concerne tous les risques fréquents ou graves, même exceptionnels, normalement prévisibles d’un traitement ou d’une intervention, avec leurs conséquences et éventuelles complications mais aussi leurs bénéfices attendus. Par risques graves, il faut comprendre les risques de décès ou d’invalidité voire même de risque esthétique important. La preuve de ce devoir d’information peut être apportée par tous moyens, c’est-à-dire par présomptions, témoignages ou écrits, même si un écrit ne vaut jamais décharge de responsabilité quant au risque qui s’est finalement réalisé. Ces moyens de preuve sont essentiels car ils vont permettre  au médecin de pouvoir se justifier en cas de mise en cause alors même que son dossier médical devra être complet, et donc bien tenu, pour conforter sa défense.

Présomption de responsabilité

Une défense mise à mal par un récent arrêt de la Cour de Cassation, du 16 octobre 2024, qui a reproché à un chirurgien orthopédiste de ne pas avoir apporté la preuve que ses soins avaient été appropriés en ne mentionnant pas, dans son compte-rendu opératoire, qu’il avait suivi les recommandations de la Société française d’arthroscopie (SFA),  alors qu’il avait indiqué, notamment au cours des opérations d’expertise, qu’il s’y conformait systématiquement. 

Revenons-en aux faits : le 16 mai 2012, un chirurgien orthopédiste réalise, sur un patient, une arthroscopie de hanche. Au cours de l’intervention, survient une rupture d’une broche guide métallique. En raison de la persistance de douleurs importantes, une arthroplastie est pratiquée par ce chirurgien sur son patient, le 13 février 2014. En février 2018, ce dernier décide d’assigner ce praticien en responsabilité et indemnisation. Après plusieurs années de procédure, la Cour de Cassation a donné raison à ce patient et reproché à son chirurgien de ne pas avoir inscrit, dans son compte-rendu opératoire, la mise en œuvre d’une recommandation relative à l’intervention effectuée. Après avoir rappelé qu’un professionnel de santé n’est responsable qu’en cas de faute devant être démontrée par son patient, la Cour de Cassation a toutefois tenu à préciser que « dans le cas d’une absence ou d’une insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l’impossibilité de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d’en rapporter la preuve ». 

Dans l’affaire jugée par la Cour de Cassation, la Société française d’arthroscopie recommandait, lors d’une arthroscopie de hanche, de commencer l’intervention par une introduction d’air puis de sérum physiologique dans l’articulation afin de faciliter la distraction articulaire et la mise en place des dilatateurs articulaires. Or, cette introduction n’était pas retranscrite dans le compte-rendu opératoire de ce chirurgien mis en cause, lequel avait indiqué, à l’expertise, y recourir systématiquement. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 29 septembre 2022, à l’origine de la cassation, avait ainsi retenu que « l’état séquellaire de Mr E.., en lien direct avec la rupture de la broche, pouvait avoir deux origines distinctes, soit sa constitution anatomique, étant de surcroît atteint d’arthrose, soit un manquement du chirurgien qui n’aurait pas suivi la recommandation de la SFA, ce qui ne constituait qu’une hypothèse, non avérée, de sorte que le patient n’établissait pas l’existence d’une faute du chirurgien ». La Cour de cassation a ainsi cassé et annulé cet arrêt en considérant « qu’en l’absence d’éléments permettant d’établir que la recommandation précitée avait été suivie, il appartenait au médecin d’apporter la preuve que les soins avaient été appropriés ». 

Des informations insuffisantes sur le déroulement d’une opération, des recommandations médicales non consignées dans un compte-rendu opératoire lacunaire….. , obligent ainsi un chirurgien, dont une faute peut être présumée, à démontrer que ses soins étaient appropriés et donc adaptés à son patient. Cette jurisprudence soulève à nouveau la question de l’information du malade qui se doit d’être suffisamment exhaustive, avant, pendant et après une intervention, notamment chirurgicale.

 
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