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A quels risques s’expose un médecin à ne plus se former ?

S’il ne possède plus les connaissances théoriques et pratiques nécessaires au bon exercice de sa spécialité, un médecin peut voir sa responsabilité engagée par un patient et être suspendu par l’Ordre pour insuffisance professionnelle.

06/01/2025 Par Nicolas Loubry
Déontologie DPC
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Un médecin doit mettre à jour ses connaissances, en acquérir de nouvelles et en améliorer la mise en œuvre, pour garantir sa qualité d’exercice. La certification périodique des médecins est non seulement obligatoire mais surtout indispensable, car un médecin a le devoir de s’informer des progrès de la médecine et de sa pratique, afin de délivrer des soins conformes aux données acquises ou actualisées de la science. Comme le rappelle le Conseil national de l’Ordre, « le médecin doit toujours avoir présent à l’esprit qu’il est responsable et il doit être conscient des lacunes de son savoir, lacunes qui peuvent avoir des conséquences vitales pour ses patients. La compétence est donc fragile, périmée quand les connaissances sont trop anciennes, ou que la pratique est insuffisante dans un domaine donné. La compétence nécessite une évaluation régulière ». Une procédure pour insuffisance professionnelle, s’appuyant sur l’article R.4124-3-5 du Code de la santé publique, permet à l’Ordre de suspendre un médecin temporairement, totalement ou partiellement, si ce praticien n’a plus les connaissances suffisantes pour pratiquer correctement son activité. Une procédure qui peut être déclenchée au cours de la vie professionnelle du médecin (le plus souvent à la suite de signalements…) ou à la suite d’une procédure disciplinaire ou encore au moment d’une demande d’inscription au Tableau.

Expertise obligatoire

En effet, un président de Conseil départemental peut refuser d’inscrire à son Tableau un médecin qui ne remplirait pas les conditions nécessaires de compétence, sur la base d’un rapport d’expertise établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné, comme le prévoit l’article R.4124-3-5. Un médecin « incompétent » peut aussi voir sa responsabilité engagée par un patient au plan civil et pénal, et en cas de danger imminent, le directeur de l’ARS peut le suspendre immédiatement. Dans ces procédures d’insuffisance professionnelle, les experts ont un rôle essentiel visant à éclairer l’institution ordinale sur la dangerosité avérée de l’un de leurs confrères. Parmi les décisions significatives concernant des médecins généralistes, on retiendra une décision du Conseil national de l’Ordre du 28 avril 2023 ayant suspendu un médecin alors que l’expertise avait conclu qu’il ne remettait pas à niveau ses connaissances depuis des années, qu’il n’avait aucune réflexivité sur sa pratique, qu’il délivrait des prescriptions inadaptées et que, après avoir été soumis à cinq vignettes cliniques, il proposait des réponses montrant « une pratique par automatisme sans tenir compte des données de la science ». Dans une autre affaire, jugée le 17 mai 2022 par le Conseil national de l’Ordre, un médecin généraliste avait été suspendu pour une durée d’un an après que les experts ont constaté chez leur confrère une formation médicale ancienne sans remise à niveau théorique ou pratique récente et de nombreuses lacunes dans ses connaissances médicales. Autre exemple ayant donné lieu à un arrêt du Conseil d’Etat du 23 juin 2021 qui a donné raison au Conseil national de l’Ordre pour avoir prononcé à l’encontre d’un médecin spécialiste qualifié en médecine générale une mesure de suspension partielle de son activité pour une durée d’un an assortie de l’obligation de suivre une formation adaptée. Ce praticien avait, depuis plusieurs années, limité sa pratique de la médecine générale au domaine de la nutrition et  il ne possédait plus les connaissances théoriques et pratiques nécessaires à l’exercice de la médecine générale dans l’ensemble des dimensions de cette spécialité. D’autres médecins généralistes, comme d’autres spécialistes, ont aussi été suspendus pour insuffisance professionnelle, pour avoir adopté des stratégies thérapeutiques non conformes aux recommandations de bonnes pratiques, pour la pratique répétée de prescriptions médicamenteuses potentiellement dangereuses, pour des erreurs grossières de prescription, pour une addiction sévère à l’alcool ou aux stupéfiants, pour une insuffisance de maîtrise de la langue française… Au-delà de la sanction prononcée, l’Ordre subordonne la reprise de l’activité au suivi d’une formation adaptée, à la fois théorique et pratique, qui peut être une formation de remise à niveau dans le cadre d’un diplôme interuniversitaire, se traduisant soit par l’obtention du diplôme, soit par une évaluation sous forme d’une attestation établie par le responsable du diplôme constatant l’assiduité à l’enseignement et procédant à une évaluation théorique des acquis. Et comme le rappelle un auteur (1), « dans un contexte de forte pression judiciaire sur le corps des professions de santé, l’on ne peut que rappeler, notamment aux médecins, l’importance de leur devoir de DPC, qui, au-delà de leur obligation légale et déontologique, leur permet (en cas de litige) de s’aménager la preuve qu’ils ont dispensé à leurs patients des soins conformes aux données actuelles de la science ».

  1. Benjamin DERRAR, docteur en Droit, enseignant-chercheur : Le médecin et l’insuffisance professionnelle rendant dangereux l’exercice de la profession. / Revue Droit et Santé N°122 - Novembre 2024  
 
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