Chez les enfants, un déséquilibre alimentaire sociétal
Cibles d’un marketing alimentaire très agressif, les enfants consomment plus de produits ultratransformés que les adultes, au risque de carences et d’excès délétères à tout point de vue. Lors du congrès de la SFP, des experts de la nutrition infantile ont appelé à rendre le Nutri-score obligatoire et à interdire la publicité sur les produits de moindre qualité nutritionnelle.
« Les aliments transformés sont un marqueur de l’alimentation de l’enfance », constate Sophie Nicklaus, directrice de recherche au Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement [Inrae], Dijon). Selon l’étude INCA3, publiée en 2017 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), 70% de la masse moyenne du régime alimentaire des enfants et adolescents consiste en aliments transformés, contre 50% chez les adultes. A l’inverse, 22% de leur régime est fait maison, alors que cette part s’élève à 48% chez les 65-79 ans.
Au-delà des additifs et des matériaux d’emballage, dont le profil de sécurité suscite bien des interrogations, les produits ultratransformés (ceux de niveau 4 sur l’échelle Nova) sont le plus souvent d’une moindre qualité nutritionnelle. Et leur surconsommation par les enfants, qui tend à s’accroître au fil des ans, n’est pas sans incidence sur la santé. Moins nombreux que chez l’adulte, quelques travaux ont ainsi révélé un effet néfaste de la consommation de produits ultratransformés sur le statut pondéral de l’enfant, mais aussi sur les caries, l’asthme, les troubles du sommeil, et le trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
En France, aucune étude ne s’est pour l’instant penchée sur l’impact sanitaire pour l’enfant d’un régime riche en produits ultratransformés. A la différence de l’adulte, dont des études menées sur la cohorte NutriNet-Santé ont révélé un risque accru de cancer (+12%) et de maladie cardiovasculaire (+12%) pour toute hausse de 10% de la consommation de produits Nova 4 (1) (2).
L’alimentation, révélateur des inégalités sociales
Phénomène relevé par la quasi-totalité des enquêtes, c’est dans les milieux défavorisés que les enfants consomment le plus de produits ultratransformés, en lien avec une alimentation moins équilibrée. Ce qui constitue l’une des raisons pour lesquelles ces classes sociales sont aussi celles où le surpoids et l’obésité infantiles sont les plus fréquents. Selon l’étude INCA3, le taux de surpoids chez les 0-17 ans atteint 14,7% lorsque le représentant a un niveau scolaire lycée/bac, contre 6,5% lorsqu’il dépasse le niveau bac + 4.
Au-delà du statut pondéral, cette insécurité alimentaire fragilise le développement de l’enfant. Lors d’une étude québécoise, ceux qui y étaient le plus exposés avaient 2,65 fois plus de risques de souffrir d’un TDAH, peut-être du fait de carences en nutriments cruciaux pour le cerveau (3). Selon Sophie Nicklaus, « dans les familles financièrement contraintes, l’alimentation demeure souvent ce qu’on peut encore se payer. On est prêt à s’offrir des marques alimentaires, alors qu’on ne le pourrait pas pour d’autres types de produits. De plus, la marque est extrêmement valorisée dans l’environnement alimentaire des enfants, notamment via la publicité. S’acheter une marque, c’est faire plaisir aux enfants quand on ne peut pas le faire autrement ».
Face au fardeau du surpoids et de l’obésité, le Dr Jean-Pierre Chouraqui, ancien chef du service de gastro-entérologie et hépatologie pédiatriques du CHU Grenoble Alpes, appelle à ce que le Nutri-Score « soit rendu obligatoire, malgré les réticences des lobbies industriels, ce qui entraînerait une baisse de consommation des produits classés D et E », les plus mauvais d’un point de vue nutritionnel. Nécessaire, mais probablement pas suffisant en ce qui concerne les aliments destinés aux enfants : « à la télévision, les enfants sont bombardés de publicités sur des produits alimentaires, pour la plupart classés C, D ou E », constate Sophie Nicklaus. « Le seul moyen de lutter à armes égales, c’est d’interdire ces publicités ».
Le Nutri-Score, pas vraiment adapté au jeune enfant
Construit selon les besoins alimentaires de l’adulte, le Nutri-score est-il réellement adapté à ceux de l’enfant ? La question n’est pas que rhétorique : à l’âge de deux-trois ans, 95% des enfants consomment le même repas que leurs parents, rappelle Jean-Pierre Chouraqui. Or si ce logo présente de nombreux atouts, ses lacunes sont peut-être encore plus marquées chez l’enfant.
Notamment quant aux graisses, classées négativement dans le Nutri-Score, et ce alors que les jeunes enfants en ont des besoins plus élevés que les adultes. Selon les recommandations, les lipides devraient constituer entre 35% et 40% de l’apport énergétique total d’un enfant de 1 à 3 ans. Or, selon l’étude française Nutri-Bébé 2013, 90% des enfants de cette classe d’âge sont en-deçà de cette fourchette, avec une moyenne autour de 30% (4). Autre angle mort, le Nutri-Score n’intègre pas le calcium, le fer et les vitamines, nutriments cruciaux pour le développement.
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Références :
Congrès annuel de la Société française de pédiatrie (SFP, Nantes,15 -17 mai). D’après les présentations de Sophie Nicklaus (Inrae, Dijon), du Dr Jean-Pierre Chouraqui (CHU Grenoble Alpes) et de la Dre Haude Clouzeau (CHU de Bordeaux), lors des tables rondes « Evaluation de la qualité des aliments » et « Précarité alimentaire : facteurs de risque, carences à recherche, mesures à prendre ».
- Selon Etude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCA 3), Anses, juin 2017.
(1) Fiolet T et al., British Medical Journal, 14 février 2018
(2) Srour B et al., British Medical Journal, 29 mai 2019
(3) Melchior M, PLoS ONE, 26 décembre 2012
(4) Chouraqui JP et al., European Journal of Nutrition, 16 janvier 2019
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