rhumatismes inflammatoires

Rhumatismes inflammatoires : la douleur et la fatigue, des symptômes difficiles à cerner

Monnaie courante chez les patients, la douleur et la fatigue demeurent trop souvent négligées dans la prise en charge des rhumatismes inflammatoires. En cause, leur origine multifactorielle, mais aussi la difficulté à les quantifier.

31/07/2024 Par Romain Loury
Eular 2024 Rhumatologie
rhumatismes inflammatoires

Chez les patients atteints de rhumatismes inflammatoires, la fatigue et la douleur pèsent « bien plus que le fait d’avoir une articulation gonflée », estime la Pre Astrid van Tubergen, rhumatologue au Centre médico-universitaire de Maastricht (Pays-Bas). Lors d’une enquête néerlandaise menée auprès de 6 400 patients, 67% évoquaient la fatigue parmi les symptômes les plus handicapants de leur maladie, 41% la douleur. Selon la rhumatologue, la prise en charge des rhumatismes inflammatoires s’attache avant tout à en contrôler l’activité, moins souvent à en atténuer le ressenti par le patient.

Comment expliquer le peu de considération accordée à ces symptômes ? Selon Astrid van Tubergen, les raisons sont nombreuses : « il y a un manque de visibilité. En tant que rhumatologues, nous voyons des articulations gonflées, des déformations, mais nous percevons moins la fatigue et la douleur. Elles sont difficiles à diagnostiquer, mais aussi à quantifier. Par ailleurs, de nombreux patients ont tendance à ‘normaliser’ leur situation, par crainte de se plaindre, de ne pas être compris par leur médecin »

Face au manque de prise en compte de la fatigue, l’Eular a publié en 2023 ses premières recommandations sur le sujet (1). De teneur très générale, elles préconisent de mieux évaluer la fatigue du patient, de favoriser l’activité physique, d’apporter un soutien psychologique.

Des symptômes difficiles à définir

Au manque de reconnaissance s’ajoute, du moins pour la fatigue, l’absence de définition consensuelle. Chez un patient, la fatigue peut être physique - asthénie, fatigabilité et/ou faiblesse musculaire - ou psychologique, avec un sentiment de lassitude et/ou des difficultés cognitives. Ces différentes formes de fatigue peuvent survenir simultanément, ou de manière alternée, chez un même patient, explique Astrid van Tubergen. Quant à la douleur, on en distingue trois formes majeures (nociceptive, neuropathique, nociplastique), qui elles aussi peuvent coexister chez les patients.

Pour la fatigue comme pour la douleur, le lien avec l’activité inflammatoire de la maladie demeure assez ténu. Lors d’une étude américaine de 2014, 33% des patients polyarthritiques disaient ressentir d’importantes douleurs, malgré une inflammation bien contrôlée par traitement (2). De même pour la fatigue : « le contrôle de la maladie est important, mais les patients peuvent continuer à se sentir fatigués lorsqu’ils sont en rémission ou présentent une maladie de faible activité », observe la Pre Emma Dures, rhumatologue à l’University of the West of England (Bristol, Royaume-Uni).

Phénomènes aux racines physiques et psychologiques, la douleur et la fatigue pourraient aussi dépendre du contexte social. Selon une étude publiée en 2016, leurs niveaux déclarés par les patients sur une échelle visuelle analogique (EVA), lors de la première consultation, n’ont cessé de croître depuis les années 1990, bien que la maladie soit diagnostiquée de plus en plus tôt, à des stades moins sévères (3). Selon Astrid van Tubergen, « ces résultats, a priori paradoxaux, suggèrent l’existence d’une pression sociale exercée sur les individus, dont les attentes en matière de santé sont désormais plus fortes ».

Opioïdes : la vigilance s’impose

Face aux patients les plus sévèrement atteints, la tentation est grande de recourir aux antalgiques les plus puissants, dont les opioïdes. Or ceux-ci sont à l’origine d’une crise sanitaire majeure aux Etats-Unis, où le nombre de morts par overdose a quadruplé entre 2010 et 2022. Si la situation semble mieux maîtrisée en Europe, elle varie d’un pays à l’autre, avec un envol de la consommation au Royaume-Uni (4). En France, la consommation d’opioïdes de prescription a doublé entre 2004 et 2017, un effet encore plus marqué pour l’oxycodone (+1180%) (5).

Selon des données présentées par la Dre Meghna Jani, rhumatologue au Centre for Musculoskeletal Research à l’université de Manchester (Royaume-Uni), 74% des prescriptions britanniques d’opioïdes ont trait aux troubles musculosquelettiques, en premier lieu l’arthrose et le mal de dos, deux indications dans lesquelles leur intérêt est loin d’être avéré. Or un septième des patients recourant aux opioïdes - voire un cinquième parmi les personnes traitées pour des douleurs rhumatismales ou musculosquelettiques- deviennent des usagers à long terme, encourant une dépendance à risque mortel. Selon la chercheuse britannique, « certains patients peuvent avoir besoin d’un court traitement par opioïdes. Mais il est important que cette décision soit partagée par le patient et son médecin, que le traitement soit régulièrement évalué, et qu’une date d’arrêt soit clairement posée, sans dépasser trois mois ».


1) Dures E et al, Annals of the Rheumatic Diseases, 22 novembre 2023
2) Lee YC et al, Arthritis & Rheumatology, 1er août 2014
3) Nieuwenhuis WP et al, Annals of the Rheumatic Diseases, 24 août 2016
4) Pierce M et al, European Psychiatry, 21 juin 2021
5) Chenaf C et al, European Journal of Pain, 20 août 2018

 

Les autres articles de ce dossier :

- Vaccins et immunosuppresseurs : un difficile entrejeu
- Arthrose : les DMOADs se font toujours attendre
- Ostéoporose : les arrêts de traitement, facteur de risque fracturaire
- Lupus systémique : vers de nouveaux horizons thérapeutiques

Références :

Congrès annuel de l’European Alliance of Associations for Rheumatology (Eular, 12-15 juin 2024, Vienne, Autriche). D’après les présentations de la Pre Astrid van Tubergen (Maastricht, Pays-Bas), de la Dre Yvonne Lee  (Chicago), de la Dre Meghna Jani (Manchester) et de la Pre Emma Dures (Bristol, Royaume-Uni) lors des sessions « Fatigue, pain and opioids » et « EULAR recommendations 1 ».

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