Face au boom qui ne faiblit pas des téléconsultations, l’Assurance maladie n’a jamais caché son intention de vouloir remettre de l’ordre au « Far West ». Auparavant, elle a souhaité objectiver certaines de ses intuitions sur les supposées dérives de ces pratiques, surtout quand elles sortent des clous du parcours de soins.
Ainsi, une enquête réalisée en Ile-de-France, dont des résultats préliminaires ont été dévoilés début décembre, a pour objectif de comparer les caractéristiques des téléconsultations réalisées au cours du premier semestre de cette année, selon que le praticien soit un médecin généraliste libéral ou qu’il exerce via une plateforme commerciale dédiée à la télémédecine. Sur cette période, 1,433 million de téléconsultations ont été effectuées pour des assurés franciliens de plus de 16 ans relevant du régime général, dont un gros tiers (516 500) via une plateforme.
Réflexe pour les patients sans médecin traitant
Dans les deux cas, les femmes représentent les deux tiers des patients. Les habitants du Val-d’Oise et de la Seine-et-Marne recourent proportionnellement davantage à la téléconsultation que ceux qui vivent à Paris ou en Seine-Saint-Denis. Les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S) l’utilisent deux fois plus que les autres assurés (ils en représentent 20%), de même que les patients sans médecin, qui consultent en ligne 1,7 fois plus que les autres.
Les omnipraticiens libéraux de la région se sont massivement approprié l’usage : 4.046 sur 7.995 installés ont facturé au moins une téléconsultation au premier semestre, en moyenne une par jour. Les champions sont ceux des Hauts-de-Seine (les trois quarts téléconsultent) et les moins adeptes sont ceux du Val-d’Oise (un tiers téléconsultent).
La principale différence entre l’utilisation des plateformes et la consultation d’un généraliste à distance est générationnelle : les premières sont plébiscitées à 82% par les 16-39 ans, une tranche d’âge qui chute à 52% chez les libéraux. Des patients plus jeunes et aussi en meilleure santé : 90% n’ont aucune ALD sur les plateformes. Les généralistes de ville, eux, téléconsultent avec 27,8% de patients en ALD dont 21,3% pour la pathologie en question. Des écarts qui suggèrent aussi que les plateformes sont utilisées essentiellement pour des motifs aigus. Sans surprise, celles-ci sont aussi plus souvent un réflexe pour les patients sans médecin traitant (19% des téléconsultations vs 6,4%), mais aussi pour les bénéficiaires de la C2S (30% des téléconsultations vs 18,2%).
Ces caractéristiques peuvent d’ailleurs se cumuler : près des trois quarts des titulaires de la C2S n’ayant pas de médecin traitant passent par une plateforme. Enfin, presque un quart (23%) des téléconsultations des plateformes sont facturées avec une majoration nuit ou jour férié vs 9% pour les libéraux. « Cela peut laisser penser que les plateformes se substituent aux médecins généralistes libéraux quand ces derniers ne sont pas présents en cas de besoin », commente l’Assurance maladie, qui a néanmoins déjà sanctionné des abus massifs de majorations par les plateformes après un première vague de contrôles démarrée en Saint-Saint-Denis.
Source : Assurance maladie
Moins d'arrêts de travail… mais plus d'antibiotiques
Mais les résultats préliminaires de l’enquête tendent d’abord à démonter l’idée répandue que les plateformes soient devenues des guichets à délivrer des arrêts de travail, parfois abusées par le patient. Or, seulement 6,4% des téléconsultations sur plateforme donnent lieu à une prescription d’arrêt, soit même 4,3 points de moins que pour les généralistes libéraux. Il s’agit également d’arrêts plus courts : 2,7 jours en moyenne vs 6. Une différence que l’Assurance maladie...
explique par le fait que 95% des arrêts prescrits en plateforme sont des arrêts initiaux. Dans un communiqué, Medadom a indiqué avoir encadré la prescription des arrêts de travail, avant que la loi ne l’y oblige, en les limitant à trois jours non renouvelables. « Les médecins qui travaillent avec nous connaissent les limites de la téléconsultation, affirme la Dre Julie Salomon, directrice médicale de la plateforme Qare. Mais ils savent, par leur formation et leur culture, repérer les éventuelles discordances dans les discours des patients. »
Source : Assurance maladie
S’agissant des prescriptions de médicaments, les médecins des plateformes ont de fait la main plus légère : 3,8 boîtes en moyenne, soit 2,3 de moins que les libéraux. Dans les deux cas, la classe la plus prescrite est celle des analgésiques - paracétamol en tête - les médecins des plateformes en prescrivant significativement davantage (+5 points sur l’ensemble de la classe, + 18,8 points sur le paracétamol). Ils prescrivent, en revanche, moins que les libéraux du paracétamol associé à d’autres molécules et également moins d’autres analgésiques, type tramadol ou nefopam. La différence la plus spectaculaire est qu’ils donnent 2,5 fois plus d’antibiotiques (14,7% des consultations vs 5,8%), essentiellement de l’amoxicilline. Pour les autres classes thérapeutiques, les libéraux prescrivent davantage de psychotropes et des médicaments pour les troubles de l’acidité, tandis que les plateformes donnent davantage de médicaments pour les désordres fonctionnels gastro-intestinaux ainsi que pour le rhume et la toux.
Autant d’éléments qui dessinent, encore une fois, les motifs de recours aux plateformes, en grande partie des affections bénignes aiguës. « Je ne dis pas que les médecins qui travaillent pour les plateformes sont incompétents, mais ils exercent dans un cadre qui ne leur permet pas d’examiner les patients, rappelle cependant la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. Or, on voit, par exemple, qu’ils prescrivent beaucoup d'antibiotiques, sans doute pour se protéger. Mais, pour une MST par exemple, ce n’est pas possible de prescrire sans examiner. » Enfin, il est à noter que les reconsultations sont plus fréquentes après le recours à une plateforme qu’à un libéral et c’est alors la consultation présentielle qui est privilégiée.
Des recos HAS en préparation
La grande limite de cette enquête demeure que les motifs de consultations, même si on les devine, ne sont pas spécifiés, ce qui rend les conclusions générales difficiles. « Les résultats ne nous ont pas beaucoup surpris car nous avons l’habitude d’analyser nos pratiques, commente la pédiatre Julie Salomon. Ils sont surtout assez cohérents avec les différences de structures de patientèle. Les médecins traitants suivent des patients de tous les âges, dont des personnes âgées et/ou polypathologiques qui peuvent alterner présentiel et téléconsultations. Pour les plateformes, c’est une population plus jeune souvent éloignée du soin, à laquelle nous pouvons faire d’ailleurs passer des messages de prévention. Chez Qare, nous sommes très attentifs à maintenir la notion de complémentarité avec la médecine de ville pour garder les patients dans le parcours de soins. Nous nous positionnons en recours pour les motifs qui s’y prêtent ».
MG France a demandé que l’étude de l’Assurance maladie soit étendue et reproduite dans toutes les régions. En Ile-de-France, c’est l’URPS qui avait sonné l’alerte. « Nous nous sommes inquiétés des dérives des plateformes, par exemple, quand nous avons parfois vu arriver des demandes d’examens complémentaires, notamment d’imagerie, complètement hors sol », raconte le Dr Laurent de Bastard, élu CSMF et co-coordonnateur de la commission e-santé de l’union.
Actuellement, la Haute Autorité de santé (HAS) est en train de mettre la dernière main, à la demande de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), à des recommandations de bonnes pratiques sur « le lieu de réalisation d’une téléconsultation ou d’un télésoin ». La publication est attendue au plus tôt fin janvier, à l’issue d’une consultation publique, et devrait permettre de proposer de nouvelles règles du jeu au législateur. « Nous avons participé à ces travaux, indique le Dr de Bastard, qui pratique lui-même la téléconsultation depuis son cabinet de Versailles. Nous aimerions qu’il y ait davantage de régulation, éventuellement par le biais d’évaluations et de certifications des plateformes, un peu comme les établissements de soins ».
De son côté, l’Assurance maladie publiera les résultats complets de son enquête à la fin du premier trimestre 2024, sans autre commentaire pour l’instant.
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