Une centaine de médecins libéraux se sont réunis ce mardi 17 octobre après-midi devant le ministère de l’Economie et des Finances pour réclamer "plus de moyens pour soigner" les Français. Car si l’avenue de Ségur fixe la politique de santé, c’est bien Bercy qui tient les cordons de la bourse, rappelle Médecins pour demain, à l’initiative de cette action organisée dans le cadre du mouvement de grève illimitée. Egora était sur place. "Ma fille a loupé médecine, je suis ravie." Ces mots, ce sont ceux de la Dre Marie-France Michel. Généraliste à Lille (Nord), elle reconnaît la dureté de ses propos – elle qui a pourtant donné sa vie pour son métier. Après 35 ans de "bons et loyaux services", la praticienne de 62 ans s’apprête à prendre sa retraite. Dans trois semaines exactement, répète-t-elle. Aujourd’hui, elle a tenu à faire le déplacement jusqu’à Paris pour soutenir ses jeunes confrères. "Avant je pensais les jeunes médecins fainéants, j’ai compris bien plus tard que c’était nous, les plus âgés, qui étions timbrés", confie la nordiste, dont la file active avoisine les 2500 patients. "Je me suis réveillée il n’y a pas longtemps." Il y a un an, la Dre Michel s’est syndiquée à l’UFML et, par la suite, a adhéré à Médecins pour demain. Ce mardi 17 octobre, sous un soleil automnal, elle crie son désarroi à travers un mégaphone.
Comme elle, une centaine de médecins libéraux se sont postés devant le ministre de l’Economie et des Finances, ce mardi de 14h à 16h, à l’appel de Médecins pour demain. Des grévistes en blouses blanches, inquiets pour l’avenir de la médecine libérale, et plus globalement du système de santé. Tournés vers Bercy, ils demandent à Bruno Le Maire de leur "donner le nécessaire" pour soigner leurs patients, défendant un C à 50 euros. Cédric*, 37 ans, et son confrère le Dr Ronan Garrido, 41 ans, tous deux généralistes sur le territoire d’Epernay, ont fait le déplacement. Pour eux, un tarif de la consultation à 26,50 euros "ou même 30 euros" n’est pas acceptable. C’est pourquoi ils se sont inscrits dans le mouvement de fronde tarifaire depuis le mois de juin. Cédric applique un dépassement exceptionnel (DE) systématique de 10 euros, le Dr Ronan Garrido demande lui 15 euros de plus. Un mode de protestation compris par leurs patients, assurent-ils. "Ils sont tout à faire d’accord pour dire que la consultation à 25 euros est illusoire." "La mort du secteur 1" Ce qu’ils craignent avant tout, c’est "la mort du système de santé", en particulier celle "du secteur 1", cher à leurs yeux. Pour tenter de faire plier le Gouvernement, tous deux ont déposé leur promesse de déconventionnement sur le site dédié de l’UFML-S et menacent de la mettre à exécution si la nouvelle convention médicale qui découlera des négociations conventionnelles ne les satisfait pas. "On a de moins en moins d’espoir mais on pourra dire qu’on s’est battus", indique le Dr Garrido, quelques heures après qu’Aurélien Rousseau a envoyé sa lettre de cadrage au DG de la Cnam Thomas Fatôme, actant la réouverture officielle du dialogue entre les partenaires conventionnels. "Si je suis ici c’est pour montrer qu’on veut et qu’on peut faire autrement", ajoute le Dr Cédric, qui se montre pessimiste quant aux négociations mais refuse d’être "dans la désillusion".
Si la lettre de cadrage suggère de réduire les charges administratives qui pèsent sur les médecins libéraux, le Dr Brice Gabory, généraliste à Paris, se montre sceptique. Celui-ci se dit au contraire "inquiet", évoquant une nouvelle forme de "coercition" : "la coercition numérique". Selon le praticien, en grève depuis le 13 octobre également, le numérique alourdit ses journées, et fait fuir ses jeunes confrères qui, apeurés, s’écartent du monde libéral. "Moi je suis au maximum de ce que je peux faire", confie-t-il. Le médecin craint par ailleurs que se dessine demain "une politique d’abattage". C’est parce qu’il est encore attaché à la médecine libérale – évoquant "un sacerdoce" – que le Dr Gabory a adhéré à Médecins pour demain. Lui ne défend pas le C à 50 euros mais plutôt "entre 30 et 40 euros". "On reste favorisés [par rapport au reste des Français, NDLR] mais à quel prix ?", alerte celui qui a dû se séparer de ses secrétaires à cause de l’explosion de ses charges. "Nous ne lâcherons rien" "Nous demandons l’augmentation du budget de la santé", martèle la Dre Soline Guillaumin, porte-parole de Médecins pour demain, alors que l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 par la commission des Affaires sociales de l'Assemblée doit démarrer. Alors que les plus jeunes se détournent de la médecine libérale, l’urgence est de redonner de l’attractivité au métier et au secteur, estime-t-elle. Or la lettre de cadrage d’Aurélien Rousseau est "creuse", déplore la généraliste de Rozérieulles, près de Metz. "C’est un copié collé édulcoré" de la précédente proposition de convention médicale de la Cnam, refusée par l’ensemble des syndicats représentatifs en février dernier. La généraliste craint une "augmentation des forfaits" ou encore l’instauration de "pseudo-contrats, du style ‘engagez-vous dans les CPTS…" Elle est donc venue à Paris porter les revendications de l’association.
"Nous ne lâcherons rien, nous ne nous laisserons pas faire", crient plusieurs membres actifs de Médecins pour demain, debout sur des bancs. "Bruno Le Maire donne nous le nécessaire !", scande l’assemblée, tournée vers Bercy. Pour marquer le coup, Médecins pour demain a simulé des obsèques de la médecine libérale. Quatre jeunes femmes généralistes ont porté un cercueil noir, déambulant entre leurs dizaines de confrères, allongés au sol. Elles ont déposé ce cercueil face au ministère, sur la place du Bataillon du Pacifique. Les praticiens y ont déposé des roses, des chrysanthèmes… L’ambiance festive et musicale du début d’après-midi a laissé place à un silence assourdissant, signe de la souffrance de toute une profession.
*il n’a pas souhaité communiquer son nom de famille
La présidente de Médecins pour demain, la Dre Mélanie Rica-Henry, et les deux vice-présidents, les Drs Pierre-Louis Helias et Benoit Coulon, ont été reçus par le cabinet de Thomas Cazenave, ministre des Comptes publics, en marge du rassemblement. "Nous souhaitons lui faire comprendre que la santé nécessite un investissement sur le long terme", a indiqué à Egora la présidente de MPD, avant le rendez-vous. "L'idée, c'est aussi de dire en quoi cet investissement sera source d'économies dans les années à venir", a ajouté le Dr Coulon, pour qui les économies prévues dans le PLFSS 2024 sur les arrêts de travail et les médicaments, par exemple, sont "inutiles et contreproductives". A leur sortie, les trois généralistes se sont montrés "satisfaits". "On a dit ce qu'on avait à dire", a déclaré Mélanie Rica-Henry. "Notre rencontre ne va rien changer dans les semaines à venir, mais c'est un travail de fond." Le Dr Coulon a souligné que "c'était la première fois qu'on expose réellement ce qu'on porte à quelqu'un d'un certain niveau". "On est perçus comme des ultra libéraux qui veulent doubler leurs honoraires, ce n'est pas du tout le cas. On veut sauvegarder la médecine à la française", a-t-il rappelé.
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