Il plaque sa carrière de prof et de guide de montagne pour devenir généraliste dans un désert : "La médecine devrait être un service public"

11/08/2022 Par Marion Jort
Témoignage
Il y a six ans, à l’âge de 40 ans, Christophe, enseignant et guide de haute montagne, a décidé de tout quitter pour se lancer dans les études de médecine. Il a un objectif : devenir généraliste dans une zone sous-dotée, près de chez lui, dans les Vosges. Profondément animé par l’engagement de service public, il aimerait que son parcours inspire d’autres volontaires, qui, comme lui, sont prêts à être médecin sur le tard, dans des territoires en besoin. Lecteur d’Egora, il revient aujourd’hui sur son étonnant et riche parcours personnel et professionnel, qui l’a mené jusqu’aux bancs de l’université de Nancy en 2016. Témoignage. 

  A 46 ans, Christophe est un hyperactif. Initialement professeur des écoles, il est devenu guide de haute montagne, professeur d’escalade… et est désormais futur médecin généraliste. Le Lorrain, qui habite près de Saint-Dié-des-Vosges, s’est lancé le pari fou de reprendre les études de médecine en 2016, alors qu’il était déjà à la tête d’une entreprise, lancée après plusieurs années d’enseignement, et père de deux enfants. S’il avait déjà pensé à faire médecine après son baccalauréat, il ne s’était jamais lancé, “trop flemmard même si bon élève”, à l’époque, préférant les études de mathématiques.  C’est un double concours de circonstances qui a poussé Christophe à retourner sur les bancs de l’université, à commencer par le fait d’être touché de plein fouet par le phénomène de désertification médicale près de son domicile. “La commune avait pourtant construit une maison médicale et elle avait réussi à regrouper une infirmière, une sage-femme, un kiné mais pas de médecin”, précise-t-il. Le second, c’est d’avoir frôlé la mort en 2014, lors d’une expédition dans la montagne. “J’ai vraiment failli avoir un très gros accident et j’ai décidé de tout arrêter. Un bloc de pierre de la taille d’un frigo est passé à 30 centimètres de moi. Ça a été un moment très difficile et j’ai décidé de ne plus remettre les pieds dans des terrains montagneux aussi difficiles”, se souvient-il. 

  “Vous feriez mieux de faire kiné” Avant de redevenir un étudiant, Christophe a eu plusieurs vies. En 1999, il devient professeur des écoles et commence l’enseignement à la rentrée 2000. Après à peine trois mois de cours, il est appelé pour faire son service militaire. “Mais mon cas est particulier, car j'ai fait ce qu’on appelle une objection de conscience, c’est-à-dire que je ne voulais pas porter d’armes. À l'époque, le service militaire était de dix mois et c’était le double pour les objecteurs de conscience.” Déjà très sportif, il est affecté au Club alpin. “J’ai encadré des gens à l’escalade, en spéléologie, en alpinisme. J’en ai profité pour passer des diplômes d’État”. A son retour du service militaire, il enseigne une petite dizaine d’années mais rêve de devenir guide haute montagne à part entière. En 2009, il prend donc une disponibilité de l’éducation nationale et part travailler partout dans le monde, en France bien sûr mais aussi en Slovénie, en Iran, en Suisse… En parallèle, il a passé plusieurs autres diplômes, pour encadrer du VTT et du tir à l’arc notamment. Il travaille aussi dans la formation. “J’avais une entreprise qui tournait bien avec l’encadrement de la clientèle en haute montagne. Je faisais aussi de la formation professionnelle dans la pathologie du sport et de l’altitude et également de l'ingénierie de la formation, je travaillais notamment avec les ministères”, explique Christophe.  Après l’incident survenu en haute montagne en 2014, il vit une grande période de remise en question. “J’allais avoir 40 ans et j’avais encore la pêche. Je ne voulais plus bosser dans la montagne difficile mais mon entreprise marchait très bien.” Sa femme à l’époque, lui suggère de retourner à son projet initial : médecine. Il prend un an et demi de réflexion et se lance, à la rentrée 2016.  Son inscription n’a pas été un long fleuve tranquille. Pour justifier de sa réelle envie de devenir médecin, il doit remplir un gros dossier, fournir des lettres de recommandations, de motivation. “J’ai fini par décrocher un entretien où on m’a demandé pourquoi je voulais faire médecine. On m’a aussi prévenu que ça allait être difficile, que ce serait peut-être mieux de devenir kiné… ils apprécieront ! Moi, j’avais envie de raisonnement clinique.” Son projet est même très précis : il veut être généraliste, dans une zone sous-dotée, en exercice libéral. Ses efforts paient, l’ancien enseignant est inscrit et le voilà prêt à retourner étudier ! “Terminer mes études tard ne m’a pas fait peur. J’ai toujours aimé apprendre”, assure aujourd’hui l’interne. 

  Une Paces réussie haut la main Christophe entame sa Paces à 40 ans, en habitant à 1h30 en voiture de la faculté de Nancy. Il bénéficie de cours en visio. "Ça m'a fait gagner trois heures de route par jour.” Son emploi du temps est très cadré : “Je me réveillais à 6h30, je révisais de 7h30 à 8h30, j’enchaînais avec une pause à midi avec une petite sieste. L’après-midi, je révisais jusqu'à 19h, je faisais deux heures de pause pour m’occuper des enfants et je m’y remettais quand ils dormaient.” La recette est gagnante : il valide son année du premier coup en se classant 88ème.  A ses yeux, ce n’est pas le rythme des révisions qui a été le plus difficile à tenir, mais le bouleversement sur le plan social. “J’étais bénévole dans des associations, je faisais beaucoup de sport, j’avais des groupes de musique… J’ai tout arrêté sauf la musique.” Alors qu’il a divorcé cette année, sa femme, à l’époque, a tout géré. “Elle s’est occupée de toute la logistique. Sans elle ça aurait été compliqué, vu l’ampleur des engagements, jamais je ne lui aurais proposé de reprendre sans son accord !”  Même si c’est généralement l’inverse, pour lui, la deuxième et la troisième année sont plus difficiles à gérer que la Paces. “A partir de la deuxième année, il n’y avait plus de vidéo-transmission et je devais aller à Nancy tous les jours. Ça a été destructeur. Je me levais tous les matins à 5h et je rentrais le soir à 21h30. Ensuite, il fallait que je me mette à bosser… Ma femme, elle, pensait qu’on serait plus tranquilles après les Paces et qu’on pourrait retrouver un cadre familial. Avec du recul, je me dis que j’aurais mieux fait de prendre un studio à côté de la fac.” Un emploi du temps d’autant plus chargé qu’il gère encore son entreprise, notamment l’aspect administratif, qui lui assure un revenu.    “Je n’avais pas envie d’être un bon étudiant mais un bon médecin” Au fur et à mesure des années, ses résultats baissent d’un point ou d’un demi-point. “J’ai toujours eu la moyenne, mais je tournais autour de 11.” Ça lui est égal. “J’ai réalisé que je n’avais pas forcément envie d’être un bon étudiant. Je préfère être un bon médecin. Bien sûr, ça ne s’oppose pas ! Mais connaître le nom d’une protéine de surface d’une cellule qui va intervenir dans telle pathologie… ça sert à être premier aux ECN, moi ça m’est égal. Ça ne me servira pas dans ma pratique”. 

Lui préfère se concentrer sur ses patients, sa source de motivation depuis le début de ce projet fou. “J’ai axé  ma manière de travailler comme ça depuis le début et ça m'a permis d’atteindre mon objectif, qui était d’avoir un classement autour de 8.500 aux ECN, car ça me permettait de faire ce que je voulais, MG à Nancy”. “J’étais donc très serein aux ECN, j’avais l’impression de m’amuser, poursuit-il. Cette année, même s’il y avait le concours, je ne me suis pas mis de pression. J’ai eu besoin d’être présent pour ma famille, et c’était bien plus important que médecine”. Outre son divorce, l’une de ses filles a été hospitalisée au cours de sa sixième année. “L’essentiel pour moi, c’était que ma famille aille bien. Ce n’était pas un manque d’ambition, mais le classement que je visais me satisfaisait. L’essentiel était ailleurs.”    “La médecine devrait être un service public”  Aujourd’hui, son projet professionnel a évolué. De médecin généraliste en libéral, il réfléchit désormais au salariat ou à l’exercice mixte. “Si j’avais eu 15 ans de moins, j'aurais cherché à faire de la médecine de montagne”, plaisante Christophe. Donc là j’envisage un exercice mixte avec une journée aux urgences pour garder un lien avec l’hôpital et le plateau technique.” Il a une certitude : il ne veut pas d’exercice isolé, même si la gestion d’un cabinet ne lui fait pas peur après avoir géré une entreprise. “J’ai envie de bosser avec d’autres médecins, avec des paramédicaux et des IPA si c’est possible. En tout cas, c’est comme ça que j’envisage mon exercice.”  Ce qui le guide depuis le début, c’est la notion d’engagement dans tous les sens du terme : auprès de ses patients, dans le système de santé, dans la médecine. “Médecine, ce n’était pas un rêve, c’était plus une envie personnelle de rendre service. La médecine, pour moi, devrait être un service public”, considère le futur généraliste, qui confesse être parfois dépassé par les débats autour de l’exercice libéral, de la rémunération ou des dépassements d’honoraires. “Mon point de vue personnel sur ce sujet, c’est que l’accès aux soins devrait être gratuit. Nous, praticiens, devons aller là où il y a des besoins. Je suis nuancé sur la question de la coercition… mais le modèle de l’enseignement, que je connais bien, me semble cohérent. On fait des vœux et on a des affectations selon un ensemble de paramètres. Si une personne n’est pas d’accord avec ce fonctionnement, elle peut aussi décider d’exercer dans le privé et dans ce cas elle choisit où elle travaille.”  Il trouve toutefois les propositions des politiques “déconnectées de la réalité”.  “Forcer les médecins à s’installer, dans le système actuel, dans des zones sous-dotées sans qu’ils n’en aient l’envie, pendant un an ou deux avant qu’ils s’en aillent… c’est vain. Il faut mener la réflexion à l’échelle du territoire”, estime-t-il, tout en restant encore prudent sur ces problématiques qu’il découvre.  Même si le chemin est long et difficile, Christophe ne regrette en rien tous les sacrifices que lui demandent ses études. “Quand je me suis lancé, j’avais l’impression d’avoir une maturité qui me permettait de mesurer les engagements mais je crois qu'on ne mesure jamais tout à fait ce que c’est que de faire médecine.” “Mais oui, ça en vaut la peine !”, assure-t-il vivement. “J’aimerais que mon parcours inspire tous ceux qui, comme moi, ont envie de devenir médecin et qui ont parfois peur de ce que cela implique.”  Financièrement, il s’en sort grâce à un contrat d’engagement de service public (CESP), qu’il a signé dès sa deuxième année. “J’ai aussi revendu mon entreprise et tout mon matériel, de vélo ou d’escalade par exemple, en 2019.” Au CESP s’ajoute désormais son salaire d’interne. “L’argent n’est pas du tout une motivation pour moi. Avec ces revenus, dans les Vosges, je m’en sors très bien.” 

Une fois son internat de médecine générale terminé, l'infatigable Christophe songe à s’installer comme médecin du sport et envisage donc de faire une formation spécialisée transversale d’un an supplémentaire. “Je me suis aussi inscrit à un diplôme universitaire (DU) de médecine du sport à la rentrée de ma septième année pour faire le lien avec ma pratique actuelle. Et puis, j’aimerais faire un DU d'ostéopathie. Au total, ça me fera au moins neuf ans d’exercice en zone déficitaire obligatoires pour rembourser mon CESP.” Mais qu’importe : il ne se voit pas ailleurs qu’en désert médical. “Tout ce que je veux, c’est être un bon médecin et efficace pour mes futurs patients.”     

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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