“Je ne sais pas si on accepte un jour d’être malade, mais je n’ai plus cette honte que je pouvais avoir, cette peur que l’on me juge.” Aurore Franceschini a 18 mois quand le diagnostic tombe. Mucoviscidose. A cet âge, elle ne se rend pas compte qu’à partir de maintenant, sa vie va être bouleversée, rythmée par la prise d’une vingtaine de médicaments par jour, les soins quotidiens et les séjours trimestriels à l’hôpital… sans parler des périodes de surinfection. Après des années lycée difficiles, pendant lesquelles elle se sent souvent à l’écart, différente de ses amis qui ne souffrent pas de cette maladie chronique, Aurore parvient à trouver sa place et à vivre presque normalement. “Aujourd’hui, les soins, les médicaments, ma kiné, c’est dans mon quotidien, comme se laver les dents. J’ai toujours réussi à vivre avec”, explique la jeune femme, aujourd’hui âgée de 22 ans, qui se dit “chanceuse” de ne pas avoir eu à subir de nombreuses hospitalisations. Remise en question Actuellement en cinquième année de médecine à la faculté de Marseille, Aurore ne fait pas de sa maladie un obstacle. “Quand on ne fait pas de la maladie un problème, les gens n’en font pas un problème non plus”, assure-t-elle. Elle se rend en stage, comme les autres externes. La faculté lui a permis de choisir son stage en priorité, dans des services où le risque infectieux n’est pas trop important pour elle. “Tout le monde est très compréhensif”, indique la jeune femme, reconnaissante. “On m’a même accordé que mes gardes ne fassent que 12h et pas 24h.”
Mais cette bienveillance n’a pas toujours été de mise. Lors de son tout premier stage en médecine, l’étudiante a dû essuyer plusieurs remarques qui ont failli lui faire tout arrêter. “Un jour, une infirmière-cadre m’a dit : ‘Qu’est-ce que tu fais là? Tu ne peux pas faire médecine en ayant la mucoviscidose !” raconte Aurore. "Ça a été hyper dur. Je me suis vraiment remise en question.” Ou encore : “Une agent de service a aussi dit devant des patients dans le couloir “Ah c’est toi qui a la muco ? M’approche pas, je ne veux pas que tu me refiles ta maladie’.”
Si Aurore est restée sidérée à l’époque, elle l’assure aujourd’hui : “Si ça recommençait, je ne me laisserais plus faire. J’ai pris du recul. Ça m’a renforcée.” Ce recul, l'étudiante de 22 ans l’a aussi acquis à l’issue de sa lobectomie effectuée lorsqu’elle était en troisième année. “Je suis tellement stressée pour d’autres choses que les études passent après, même si, bien sûr, je dois être un bon médecin, explique-t-elle. Je prends mes traitements, je fais le sport qu’il faut que je fasse, et, seulement après, je travaille”. “Et puis, je me rends compte que moins on est stressés, mieux on réussit. Bizarrement, je n’ai jamais eu d’aussi bonnes notes que cette année-là”, s’amuse Aurore.
“Je voulais retrouver ma vie” Cette opération, c’est elle qui l’a voulu, malgré les réticences de certains médecins. “Quand j’étais en sixième, j’ai eu ma première grosse infection qui a nécessité une cure d’antibiotiques par voie veineuse. A la suite de ça, mon médecin m’a dit que j’avais un de mes lobes à droite qui était très abîmé. Il m’a déjà parlé de lobectomie...
A l’époque j’avais 10 ans, il n’y avait pas les traitements qu’il y a aujourd’hui, je n’avais pas fini ma croissance. Toutes ces choses ont fait que les chirurgiens ont refusé de m’opérer. La vie a continué. J’ai bien grandi. Mais je savais au fond de moi que cette opération me pendait au nez.” Après avoir réussi le concours de la Paces sans encombre, -“Je ne sais pas si c’est mon corps qui s’est mis en pause, c’est un peu l’impression que j’ai, ou si j’ai simplement eu de la chance”-, Aurore fait face à de multiples infections et est de plus en plus encombrée. “Je suis retournée voir un médecin, j’ai demandé à ce qu’on m’enlève les lobes supérieur droit et moyen droit. Je ne me voyais pas continuer à vivre dix ans de cette façon”, confie la jeune femme qui prend depuis 2016 le médicament Orkambi. “On a fait des tests qui ont montré que ces deux lobes ne servaient à rien, mis à part être infectés. Quand le chirurgien a vu mon dossier, il m’a donné son accord en 5 minutes.” Quinze jours après, elle revenait sur les bancs de la faculté. “Ça a été extrêmement rapide. Je ne me suis pas laissée le temps de prendre le temps d’aller mieux. Je voulais absolument retrouver ma vie”, se souvient la jeune femme, déterminée à continuer son cursus. “J’ai toujours fait en sorte que ça ne m’empêche pas de faire les choses." En période de surinfection, Aurore a même trouvé des façons de dissimuler ses perfusions sous ses vêtements. “Ça passe incognito”, plaisante-t-elle, ajoutant : “Ça ne me limite pas dans mes mouvements. J’ai même fait un gala de danse sous picc line!”
“J’ai fini par accepter de ne pas être utile” L’épidémie de Covid qui sévit sur notre sol depuis plus d’un an a cependant eu raison de l'enthousiasme d’Aurore. Contrainte de se confiner deux semaines avant tous les Français, en mars 2020, la jeune femme a dû stopper net son stage...
et couper tout contact avec ses amis, ainsi que son petit-ami, médecin urgentiste, qu’elle n’a pas vu pendant trois mois. “Au tout début de l’épidémie, ça m’énervait d’être chez moi et de ne rien pouvoir faire pour aider. Et puis je me suis rendue compte qu’aller aider, choper le Covid et finir en réanimation, ça n’aiderait personne. J’ai fini par accepter de ne pas être utile.” Ce n’est qu’en septembre qu’Aurore retrouve les couloirs de l’hôpital en tant qu’externe. Un passage abrégé à cause de la deuxième vague. Vaccinée depuis janvier avec le vaccin Pfizer, Aurore relâche petit à petit la pression, mais n'en reste pas moins vigilante. “Je m’accorde le droit de voir deux ou trois amis en extérieur, mais très rarement”, explique l’étudiante qui a repris depuis 8 semaines un nouveau stage en radiologie, où les risques infectieux sont faibles.
Mettre de la distance A un an des ECN, l’étudiante en médecine sait d’ores et déjà que ce n’est pas en radiologie qu’elle veut aller, ni dans des services “trop difficiles”. “Je veux vraiment m’éloigner de la mucoviscidose et de tout ce qui peut se rapprocher de ce que je vis moi. Je ressens beaucoup ce que ressentent les patients, parce que...
je pense que je peux m’identifier à eux. Je ne vais pas réussir à mettre assez de distance pour que ça se passe bien”, admet Aurore qui confie avoir en partie voulu devenir médecin pour “rendre la pareille” aux soignants qui la suivent depuis son plus jeune âge. “On admire toujours un peu ses médecins quand on est enfant, j’avais envie d’être comme eux.” Cette dernière hésite entre endocrinologie ou santé publique. “L’endocrinologie, c’est la spécialité qui me plaît le plus et les risques infectieux sont vraiment faibles. Même sans la mucoviscidose, c’est ce que j’aurais voulu faire, explique Aurore. Ce qui me plaît dans la santé publique, c’est de communiquer sur la santé, de faire de la prévention. Je le fais déjà à mon échelle sur les réseaux sociaux. En plus de ça, on sort complètement de l’hôpital et de tous les risques que je peux y prendre.”
“Un lieu où parler” Depuis plus de six ans, la jeune femme partage en effet son quotidien sur les réseaux sociaux, entre sa maladie et ses études. “J’ai commencé en seconde sur Facebook. C’était un moment de ma vie pendant lequel j’avais l’impression d’être la seule ‘muco’ sur Terre. J’avais besoin d’échanger avec d’autres personnes qui avaient la mucoviscidose, révèle Aurore. En parallèle, je me suis dit qu’il serait bien de parler de ma maladie sur les réseaux sociaux. Mais je voulais le faire de façon anonyme au départ. J’avais juste besoin d’avoir un lieu où en parler.” C’est depuis le confinement que les choses ont pris de l’ampleur. Aujourd’hui, sur son compte Instagram @pouruneviesansmuco, Aurore totalise plus de 4.300 abonnés. “Je voulais toucher les parents d’enfants qui ont la muco ou les personnes directement atteintes, parce que moi ça m’aurait plu à l'époque d’avoir une image d’une personne malade qui vivait bien, qui faisait des études, et qui réalisait ses rêves.
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