"On nous traite d'ingrats, mais ce sont nos études qui sont ingrates" : portrait d'une interne engagée
Octobre dernier. Face caméra, une jeune femme s'insurge contre les conséquences de l'interdiction des avantages offerts par les industriels aux carabins. Son intervention suscite une avalanche de réactions : à quelques semaines de la mobilisation hospitalière du 14 novembre, la colère gronde chez les étudiants en médecine, "bouche-trous" d'un système de santé à bout de souffle. The French radiologist (son pseudo) est devenue l'une de leur porte-voix sur les réseaux sociaux.
En un peu plus d'un an, cette interne de radiologie en 3e année a conquis plus de 26 000 abonnés sur Instagram, faisant son entrée dans le cercle, jusqu'ici très masculin, des carabins influenceurs. Elle y partage son quotidien "en noir, blanc et gris", entre gardes, revues de presse et coups de gueule sur les études de médecine. "A la base, mon compte avait une visée plus pédagogique. Je partageais des imageries, des cas cliniques", nous raconte-t-elle. Jusqu'à ce que la question du secret médical soit soulevée. "Je changeais l'âge, le sexe… mais on m'a dit que si un patient se reconnaissait, je pouvais être mise en cause."
La médecine, TFR* est tombée dedans... quand elle était petite. "Trois de mes grands-parents étaient médecins, confie-t-elle. Petite, j'ai passé beaucoup de temps avec mon grand-père paternel, qui était anapath. Il avait un microscope chez lui : j'étais fascinée par ce que je voyais sur les lames. J'étais passionnée par la science, j'avais plein d'imageries chez moi. J'ai toujours voulu travailler dans la santé : je voulais comprendre le corps humain." Après avoir brièvement hésité avec les Beaux-arts, son autre passion, la bachelière diplômée du lycée Henri IV entre à la faculté de médecine Paris-Descartes. Elle s'investit à 100% dans la Paces : "J'étais à fond dans le concours. Je ne sortais pas, je n'ai pas fêté Noël, ni le jour de l'an. Je sous-collais avec des doublants, se souvient-elle. Je me disais que si je ne l'avais pas du premier coup, c'est que je n'étais pas faite pour ça." Pari réussi : elle finit primante.
Au cours des 2ème et 3ème années, l'étudiante prend enfin le temps de souffler, "de voyager, de sociabiliser"… avant de se prendre "une claque" en première année d'externat : "J'avais les deux tiers de la D2 en rattrapage. A l'époque, je n'étais pas prête à m'investir autant dans le travail. Et il y avait eu le décès de mon grand-père deux jours après la rentrée, ça m'a beaucoup affectée…"
Bûcheuse dans l'âme ("Mes parents m'ont donné le goût du travail"), l'externe se ressaisit très vite : elle passe l'été à étudier et carbure les deux années suivantes pour compenser... ses "lacunes". Ambitieuse, TFR vise le top 1000 aux ECN, mais finit "dans les 1700", à sa grande déception. "Je me sentais coupable, j'avais l'impression d'avoir fait mon externat sur deux ans." Son bon classement lui laisse toutefois l'embarras du choix pour sa spécialité. "Quand je me suis lancée dans les études de médecine, je voulais être chirurgienne. Mais après avoir fait des stages d'urologie et de chirurgie maxilo-faciale, j'ai su que ce n'était pas pour moi." La dermatologie et l'ophtalmologie la séduisent pour l'aspect "très visuel" des maladies, mais leur champ semble trop limité. En radiologie, en revanche, "la sémiologie des pathologies est hyper fine, souligne-t-elle. Et je me suis rendu compte que dans le raisonnement médical, c'est nous qui faisions les diagnostics. Si je n'avais pas eu radiologie, je pense que j'aurais arrêté." La longueur de l'internat -5 ans- ne l'effraie pas. "Quand on part pour médecine, on ne s'en rend pas compte. Mais c'est vrai qu'à 26 ans, j'ai encore le statut d'étudiante, avec des cours et des examens, alors que mes amis sont déjà dans la vie active." Et l'interne de casser toutes les idées reçues sur la radiologie, cette spécialité "méconnue", qui pâtit de son isolement au sein de l'hôpital. "Ce n'est pas parce qu'on ne fait pas d'examen clinique et qu'on ne porte pas de stéthoscope qu'on n'est pas en contact avec les patients, dément-elle. Si un patient demande à nous voir après un scanner ou une IRM, on ne dit jamais non. Certains radiologues le font systématiquement. Et quand je fais une échographie, je réinterroge systématiquement le patient." L'interne apprécie également l'esprit de corps de la spécialité : "Il y a beaucoup d'entraide. On n'est pas là pour se tirer dans les jambes."
Seul point négatif : TFR enchaîne les gardes. "Ce semestre, j'en ai 26. S'il y avait ne serait-ce qu'un interne de plus, ce serait plus supportable. Mais nos chefs veillent au respect des repos de garde." C'est loin d'être le cas de toutes les spécialités : en témoignent les anecdotes collectées et relayées par l'instagrameuse. "Je reçois au moins 30 messages par jour et j'essaie de répondre à tout le monde." Les semaines à rallonge, les salaires de misère, les DU qu'il faut payer de sa poche, les stages d'externat passés à classer les biologies… Autant de raisons pour TFR de se "mouiller", aux côtés d'Et ça se dit médecin, pour dénoncer les conditions de formation des étudiants en médecine. "On nous traite d'ingrats, mais ce sont nos études qui sont ingrates, s'insurge-t-elle. Ça me donne envie de me battre… si ce n'est pas pour moi, ce sera pour la génération future." Même combat pour les praticiens, les infirmières, les aides-soignantes, les manipulateurs radios ou encore les brancardiers, tous soumis au travail de nuit, au stress et à une charge de travail exponentielle. "C'est injuste d'être traités comme ça, alors qu'on est là pour aider les gens."
De quoi être dégoutée de l'hôpital? "Même si les conditions ne sont pas optimales, j'aime l'ambiance, le travail en équipe, la transmission de savoirs… Dans l'idéal, j'aimerais avoir un exercice mixte, avec une partie universitaire : j'adore enseigner, je donne des cours aux manip radios." Le développement de l'intelligence artificielle et de la téléradiologie ne lui font pas peur. "Les premiers scanners datent des années 70 et les IRM des années 90 : les radiologues se sont formés sur le tas, souligne-t-elle. Ce sera pareil avec l'IA. Et on aurait toujours besoin de l'humain : on ne peut pas confier la responsabilité médicale à des machines. Ça ira sans doute plus vite… A nous d'être encore plus en alerte." La relève est assurée. *Acronyme de The French Radiologist
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