Médecins thermaux en détresse : "J'ai fait des ménages au noir pour m'en sortir"

18/02/2021 Par Sandy Bonin
La situation des médecins thermaux est de plus en plus intenable. Privés d'exercice pendant les quasi deux mois du premier confinement, ils sont à l'arrêt complet depuis le 30 octobre. Une absence de revenus qui plonge ces médecins dans la détresse et en pousse certains à envisager de se réorienter. Pour Egora ils confient leurs angoisses et dénoncent une injustice à l'encontre de ces établissements de soins considérés comme des "clubs de vacances".  

Privé d'exercice depuis quatre mois et sans aucune visibilité quant à une éventuelle réouverture, les médecins thermaux sont dans la tourmente. Ces 500 à 600 soignants exerçant au sein ou à proximité d'établissements thermaux ont payé et payent encore un lourd tribut des restrictions liées au Covid. "Les médecins ont perdu environ 60% de leur chiffre d'affaires en 2020", calcule le Dr Michel Duprat, président du syndicat national des médecins thermaux. L'an passé, les établissements thermaux n'ont été ouverts que 15 jours en mars et entre juillet et fin octobre.  

"Cette fermeture des établissements thermaux est une injustice. Nous pourrions travailler sans aucun problème. Nous sommes une structure médicalisée et pas un club de vacances. L'Etat ne nous reconnaît pas comme un établissement de soins. Pourtant, nous sommes conventionnés", s'indigne le Dr Sonia Ayed. Installée depuis 2017 dans la station thermale de Balaruc-les-Bains, la praticienne de 39 ans se dit très "affectée". D'autant que, comme le précise le Dr Duprat, les médecins thermaux sont des saisonniers. Les thermes ferment entre mi-décembre et début mars. "Nous n'avons pu travailler que deux semaines avant le premier confinement, cela ne nous a pas laissé le temps de faire beaucoup de réserves", commente le Dr Ayed.  

 

Situation dramatique 

La soignante a pourtant accueilli le premier confinement avec soulagement devant la situation sanitaire incertaine que vivait la France en mars dernier. Elle a profité de ses enfants de 7 et 10 ans et s'est inscrite sur les listes de renfort de la réserve sanitaire. "Je n'ai pas été appelée ni aucun de mes confères thermaux", constate-t-elle. Sonia Ayed a également profité du premier confinement pour travailler longuement avec son établissement thermal à la réouverture.  

Pour le Dr Elisabeth Penin, la situation a été beaucoup plus dramatique. Après six années passées à Montréal en tant que gériatre, la praticienne a décidé de revenir...

en France il y a un an et demi et de s'installer en médecine thermale exclusive à Dax. "Ce mode d'exercice correspondait bien à ma vision de la médecine, comme ne pas trop prescrire de médicaments par exemple. Il y avait de la demande, après les départs à la retraite de praticiens thermaux. Tout cela a motivé ma décision de m'installer uniquement en médecine thermale", commente la médecin de 55 ans.  

Mais depuis le premier confinement, la situation est compliquée. "Je n'avais misé que sur la médecine thermale et je n'ai rien développé d'autre. Les thermes ayant fermé, je n'ai plus du tout eu d'activité", explique le Dr Penin. "Etant divorcée, je vis seule et je ne peux dépendre que de moi", ajoute la praticienne pour expliquer sa situation.  Comme la plupart des médecins thermaux, la soignante a pris le prêt garanti par l'Etat qui permet d'emprunter 25% de son chiffre d'affaires. "Ça n'était pas une grosse somme. Comme je venais d'arriver, je n'avais pas une grosse activité, j'ai donc déjà pratiquement tout dépensé."

Elisabeth Penin a gagné 5.000 euros entre le 1er et le 15 mars, puis jusqu'en juillet, elle n'a eu aucun revenu et a accumulé les soucis de santé. Hospitalisée pour avoir contracté le Covid, elle s'est cassé la cheville après avoir été prise de vertiges post-Covid. Elle a également été opérée du poignet en juillet, a été réinfectée par le Covid lors du deuxième confinement et a été opérée d'un cancer de la thyroïde fin novembre. 

"J'ai travaillé avec mes plâtres et mes béquilles entre le mois de juillet et d'octobre, je n'ai pas eu d'aide de la Carmf ni d'arrêt maladie à cause des 90 jours de carence", pointe le Dr Penin pour qui "la situation a été très compliquée". "La manière dont sont traités les médecins en France est épouvantable. On a l'impression que l'on gagne beaucoup d'argent mais lorsque l'on enlève toutes les charges, ça n'est pas tant que ça. Le deuxième confinement a été très dur à supporter, nous n'avons eu aucun soutien", regrette la praticienne.  

 

Ménages au noir 

"Ce sont mes parents qui me donnent de l'argent tous les mois pour vivre. C'est très angoissant. Je n'ai pas pu créer une patientèle en médecine générale en période de pandémie. Les cabinets médicaux étaient vides, je n'ai pas pu faire de remplacements non plus. Avant d'obtenir le prêt garanti par l'Etat, j'ai fait des petits jobs payés au noir, comme des ménages ou du soutien scolaire. Ma collègue a fait comme moi. C'est quelque chose de complétement tabou. Les gens ne...

peuvent pas comprendre qu'un médecin, dépendant d'une structure fermée, n'ait pas de travail. On se retrouve à la mendicité, on est totalement abandonnés et on n'en parle pas, par pudeur parce que toute la France souffre", déplore Elisabeth Penin. 

La Dacquoise a essayé de participer à la campagne de vaccination, mais ni elle ni aucun de ses confrères thermalistes n'ont été appelés pour vacciner. "On nous dit qu'il faut mélanger les listes avec les médecins généralistes installés alors qu'eux doivent prendre un remplaçant pour venir travailler. On m'a dit que je n'avais qu'à mettre de l'argent de côté", témoigne la praticienne, écœurée. 

D'autres régions ont toutefois accueilli les médecins thermaux dans les centres de vaccination. C'est le cas notamment du Dr Sonia Ayed qui fait régulièrement des vacations. Peut-être parce qu'elle est inscrite à la CPTS, donc connue de ses confrères. La soignante de Balaruc-les-Bains a également pu légèrement sortir la tête de l'eau en prenant des gardes aux urgences ou en clinique et en pratiquant des dépistages antigéniques dans son cabinet. "Pour le moment je survis, en partie grâce au prêt garanti par l'Etat, mais il ne faudrait pas que la situation s'éternise", s'inquiète la soignante.

 

Reconversion 

Le Dr Antoine Buffaud n'a pas eu de chance en termes de timing. Le praticien de 38 ans s'est installé en tant que médecin thermal à La Léchère en mars 2020. Il voulait se réorienter après une carrière passée à l'hôpital. "Ça a été la douche froide. Je devais ouvrir le cabinet le 23 mars, nous avons été confinés le 15", raconte-t-il. Le praticien a finalement pu s'en sortir grâce à l'envoi d'une candidature spontanée à l'hôpital d'Albertville. Il est depuis en poste au sein de l'unité Covid. "Je voulais découvrir le monde libéral et arrêter l'hôpital, travailler à Albertville n'était pas mon projet", témoigne-t-il. "Si en 2021 on refait une saison incomplète, je changerais de projet en 2022", prévient le médecin qui avait pourtant très envie de pratiquer la médecine thermale. 

L'éventualité d'une reconversion est une piste évoquée par de nombreux médecins thermaux, à bout de souffle. Sonia Ayed a également décidé de laisser passer 2021 pour...

prendre sa décision. Elisabeth Penin y réfléchit aussi. "Le Covid va avoir un impact à long terme sur la médecine thermale, d'un point de vue démographique. Plusieurs médecins ont décidé de prendre précocement leur retraite", s'inquiète le Dr Michel Duprat. 

Au-delà des praticiens très éprouvés, l'impact du Covid concerne aussi les malades. "Je suis très affectée psychologiquement, c'est un crève-cœur à chaque fois que l'on ferme le cabinet. C'est très compliqué de renvoyer les patients. Certains m'appellent, ils sont en souffrance", regrette le Dr Ayed. 

 

Aucun cluster 

"Nous avons questionné les curistes qui, pour la plupart, n'ont pas pu faire de cure l'an dernier. On constate une reprise des symptômes, une forte hausse de prise de médicaments et un recours beaucoup plus important à la kinésithérapie", indique Thierry Dubois, président du Conseil national des établissements thermaux (CNETh). "Pourquoi les cliniques, les hôpitaux, les établissements de soins de suite peuvent encore soigner et pas nous", s'indigne le professionnel qui rappelle qu'aucun cluster n'a été signalé dans les établissement thermaux pendant les mois d'ouverture.  

"Notre protocole sanitaire est très strict et a été validé par la DGS. Nos mesures ont fonctionné et nous voudrions même les augmenter en n'accueillant que des curistes vaccinés ou disposant d'un test négatif de moins de 48 heures", anticipe Thierry Dubois.  

En grave difficulté économique, les structures thermales ne survivront pas toutes à la pandémie. Un établissement a déjà déposé le bilan et un autre a été placé en mesure de sauvegarde. "Tous nos employés sont au chômage partiel, nous sommes complétement asphyxiés. Les établissements thermaux emploient 10.000 employés. Nous sommes en grande détresse. Les curistes vont finir par aller à l'étranger. Les structures bulgares sont encore ouvertes", s'alarme le président du CNETh. 

 

Covid long 

Une audition a été demandée auprès des services du Premier ministre. Le Conseil national des établissements thermaux réclame 82,100 millions d'euros correspondant aux frais fixes sur la période de fermeture administrative. "Le secteur marchait bien avant la pandémie, je suis convaincue que la reprise va être forte mais nous ne pouvons pas être en mauvaise santé financière à la réouverture", plaide Thierry Dubois. 

En attendant, les professionnels réfléchissent déjà à la réouverture et se verraient bien prendre en charge les pathologies des Covid long. "Ça pourrait être une porte de sortie", envisage le Dr Michel Duprat.  

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