Dépité du Ségur, un anesthésiste veut rendre justice aux libéraux

31/08/2020 Par Marion Jort
Politique de santé
Elles ont suscité beaucoup d’espoirs chez le personnel soignant au lendemain de la crise du coronavirus mais les négociations du Ségur de la santé ont déçu. C’est pour ces raisons qu’à 44 ans, le Dr Arnaud Chiche, anesthésiste-réanimateur à Hénin-Beaumont, a décidé de créer au plein cœur de l’été, un nouveau collectif “Santé en danger”. En colère, fatigué et se voulant représentant “de tous les soignants” et de “tous les oubliés”, il demande un “Ségur II” de la santé en septembre. Le groupe rassemble déjà plus de 130.000 membres. 

  Pourquoi avoir créé “Santé en danger” ? J’ai travaillé douze ans en réanimation en tant que praticien hospitalier et pour des raisons personnelles, de confort de vie et de rémunération, j’ai décidé d’aller travailler dans un Espic. A l’hôpital, je m’en sortais, mais j’étais obligé de prendre énormément de gardes. Tout allait bien dans mon service actuel… Quand la crise est arrivée. Je me suis retrouvé, dès le début, en première ligne pour organiser les filières, la prise en charge, le diagnostic. En mars, on a fait comme tout le monde : on a créé des lits de réanimation, on a déprogrammé, réorganisé les missions des paramédicaux. On a transformé la clinique en une grande unité Covid. Pendant le confinement, j’ai été gêné par certains discours des politiques. Le port du masque par exemple, entendre un ministre dire que c’est inutile… Je me suis dit que cet homme ne pouvait pas être médecin. En plus de cela, qu’il était mal entouré. Ce qui m’a aussi posé problème, c’était la retranscription des messages du Conseil scientifique en un message sociétal. Et puis, en juillet, j’ai suivi le Ségur de loin. Au début, ce qui était proposé était pas mal… Je me disais : “Après la première crise, avant la seconde, il y a des négociations pour les soignants. C’est un alignement des planètes”. Mais Olivier Véran a bâclé. Petit à petit, c’est devenu un grand n’importe quoi. Ça m’a mis en colère. Le lendemain de la signature, j’ai posté un message sur Facebook qui est devenu viral. J’ai reçu plein de témoignages. Je me suis dit que quelqu’un devrait endosser la cause des soignants malheureux, maltraités, méprisés… Et aussi prendre en compte la ville, qui a été totalement oubliée au “Ségur I”.   

  En quoi les libéraux peuvent-ils se reconnaître dans votre collectif ? Ce collectif dit qu’il n’est pas normal qu’il y ait des oubliés. Le message c’est “tout le monde autour de la table”. Les priorités pour la ville, c’est par exemple la simplification des charges pour les généralistes, moins d’administratif, simplification des filières. On pourrait utiliser le mot clé “choc” pour en faire un programme : “choc simplificatif”, “facilitatif”, capacitaire. Il est anormal qu’un médecin généraliste ou une infirmière libérale qui souhaite hospitaliser un polyhandicapé ou une personne âgée avec plusieurs pathologies n’ait pas de lit dans les hôpitaux.    Pourquoi ne pas avoir rejoint les rangs d’autres collectifs déjà en place, comme le collectif Inter-Hôpitaux ou Inter-Urgences ? Quand vous vous retrouvez destinataire de centaines de messages et de témoignages, difficile de les orienter vers d’autres. Et puis, le collectif inter-hôpitaux, par définition il est inter hôpitaux. Le collectif inter urgences, par définition il est inter urgences. Et moi, je prétends que les acteurs de la santé, ce sont tous les soignants, y compris par exemple les ambulanciers privés, les infirmières libérales, le monde de la ville, les cabinets et pas que les hôpitaux et les cliniques. Je souhaite m’adresser à tous les soignants.   

  Olivier Véran a tout de même annoncé 8 milliards pour la revalorisation des salaires lors du Ségur de la Santé ainsi que des embauches de personnels soignants. C’est insuffisant ? Oui. Il faut plus et il en faut pour tout le monde. Je pense aussi aux sage-femmes qui ont été complètement oubliées pendant le “Segur I”. Elles sont pourtant dépositaires de la sécurité des mamans de France. Et puis, concernant la hausse des salaires pour les paramédicaux, ce n’est pas 180 euros qu’il faut, mais 300 euros. On veut le niveau européen ou pas ? Il y a beaucoup de problématiques qui n’ont pas été abordées. Par exemple, la revalorisation du travail de nuit. Actuellement, les médecins sont payés 15 euros de l’heure. Les carrières sont gelées depuis plus de 15 ans. Est-ce normal ? Je parlais de choc, il faut aussi un choc d’attractivité des carrières pour garder les médecins à l’hôpital.    En moins d’un mois, plus de 130.000 personnes ont rejoint votre groupe Facebook. Vous attendiez-vous à un tel engouement ? Non. Et en même temps, il y a plus d’un million de soignants en France. A partir du moment où on s’adresse à eux pour dire “vous avez été maltraités, vous n’avez pas de matériel, venez avec moi”, je peux comprendre qu’ils nous soutiennent.    Des soignants… Mais aussi des syndicats et des élus ont choisi de vous apporter leur soutien. De quels relais disposez-vous pour demander un “Ségur II” avant fin septembre ? J’ai le soutien d’une trentaine de syndicats. Personne ne m’a répondu chez MG France et la CSMF. Mais j’ai les armes pour signer. J’ai fait un tour chez tous les professionnels pour connaître leurs revendications. On les a organisées et retranscrites et on ne veut oublier personne. Cela va des médecins aux ASH. Par ailleurs, les soutiens politiques* se sont multipliés chez les députés et les sénateurs, majoritairement à gauche. Enfin, j’ai lancé un ultimatum pour un Segur II avant la fin de l’été ou à la rentrée. Pourquoi cet ultimatum ? Parce que je suis impatient et surtout, j’ai tout mis entre parenthèses pour tout ça. Je ne souhaite pas m’exposer, cela impact aussi ma famille.  

  Pourquoi alors endosser ce rôle ? Je tiens à le dire : ce combat ne devrait pas être le mien. Mais dans le paysage médiatique, syndical, politique, il n’y avait personne. J’ai énormément de respect pour les syndicats mais il faut parler à tout le monde. J’ai choisi de faire ça parce qu’à Hénin-Beaumont, nous n’avons pas été autant sous l’eau que d’autres régions et il me restait sûrement un peu plus d’énergie pour le faire. Certains parlent de 2022 et de la présidentielle, moi je m’en fiche. Je veux simplement faire avancer notre cause. Et puis, nous ne sommes ni politiques ni syndiqués, nous représentons simplement les soignants en danger. J’estime, par exemple, que le mari d’une infirmière qui s’expose est autant en danger que sa femme. J’ouvre aussi ce collectif aux usagers, aux patients et je le revendique.    Pensez-vous organiser une grande manifestation, à l’image de ce qui a été fait fin 2019 par les collectifs Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences ?  Non, je pense qu’à plusieurs et avec des mots bien choisis, nous n’avons pas à aller dans la rue et se faire tabasser. Les soignants sont fatigués.   Avez-vous eu un retour du ministère ? On m’a dit que j’allais être reçu par le Premier ministre Jean Castex dans les dix jours, il y a plus de quinze jours. J’attends toujours.  En revanche, j’ai rendez-vous à l’Assemblée nationale le 9 septembre prochain.  

  Comment vous allez vous structurer ? Nous venons de créer 18 antennes régionales et un bureau à Paris. Si l’épidémie doit durer, il faut s’assurer de pouvoir soigner les soignants, de renforcer les capacités d'accueil, de renforcer les systèmes de protection des soignants, des bons tests, des bonnes blouses, des bons gants, des masques…    *voir encadré   


Les soutiens du collectif “Santé en danger”
D’après le dernier listing élaboré par le collectif, plusieurs personnalités politiques soutiennent le Dr Arnaud Chiche, parmi lesquelles : l’ancien ministre Benoît Hamon, les députés Alain Bruneel, Caroline Fiat, Fabien Roussel, Thibault Bazin ainsi que les sénateurs Antoine Lefèvre, Cathy Apourceau-Poly et Jean-Pierre Corbizet.
Du côté des syndicats, il s’agit de : l’UFML-S, Jeunes Médecins, Convergence Infirmière, Alizé, SNIBO, ONSSF, SNUP, CNPTLM, SNPHARE, FNTAU, UD CGT 62, UNIPA, SAR, ONSIL, FFPP ainsi que le CFE-CGC Adhac, le syndicat Sud Santé EPSM AL et la CGT du groupement hospitalier de Seclin-Carvin.

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