“J’ai peur”, n’hésite pas à reconnaître le Dr François Castier, médecin généraliste au sein de la Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) de Breil sur Roya (Alpes-Maritimes), alors que le 24 mars, cinq praticiens étaient décédés du Covid-19. “Au départ, ce n’était pas vraiment le cas car je voyais ce virus comme étant un peu plus ‘méchant’ qu’une grippe.” Mais progressivement, en constatant que le Covid-19 touche toutes les tranches d’âge, même les plus jeunes, l’inquiétude a grandi. Dans la vallée de la Roya, un cas a été confirmé et plusieurs patients sont suspects au regard des symptômes. “On ressent un sentiment d’impuissance car on ne peut pas les dépister”, regrette le médecin. Et d’ajouter : “Certains patients sont venus en consultation, ils n’ont pas de forme grave, mais ils sont à la limite, et nous sommes obligés de batailler pour avoir une prise en charge par le Samu. Nous aurions aimé disposer des tests diagnostics rapidement.”
“Quand nous sommes dans le cœur de l’action, nous n’avons pas peur, mais la tension nerveuse est bien présente, renchérit le Dr Laurent Turi, médecin généraliste à la MSP Léonard de Vinci (Pas-de-Calais). Nous essayons donc d’être les plus prudents possibles. Nous sommes conscients des risques et nous faisons notre travail du mieux que nous le pouvons.” D’ailleurs, la MSP prévoit la mise en place d’un suivi psychologique pour l’équipe et pour les patients, sur proposition de psychiatres et de psychologues bénévoles.
“Nous laissons passer la vague, mais nous allons organiser des groupes de parole”, explique le médecin. Travaillant avec son épouse au sein de la MSP, ils ont décidé de confier leur fille à une tante afin de ne pas la mettre en danger. “Nous sommes dans une crise sanitaire mondiale, il faut prendre le maximum de précaution”, ajoute-t-il.
Mise en place d’une cellule Covid-19
Les professionnels de santé de la MSP Léonard de Vinci ont décidé de la mise en place d’une cellule Covid-19. “Nous avons obtenu l’agrément de l’Agence régionale de santé (ARS) car nous devons respecter un cahier des charges”, fait savoir le Dr Turi. Une équipe composée de...
trois médecins, deux infirmières, deux secrétaires et deux agents d’entretien qui assurent les procédures de désinfection, ainsi qu’une salle d’attente et une salle de consultation sont dédiées à la prise en charge des patients suspectés d’être atteints du Covid-19. “Nous les recevons sur rendez-vous afin d’organiser le flux entre les patients potentiellement atteints du Covid-19 et les autres”, explique-t-il, précisant recevoir sept jours sur sept, de 8h à 20h.
Les patients appellent la MSP et en fonction de leurs réponses à la grille de lecture Covid-19, “soit nous dispensons des conseils téléphoniques, soit nous réalisons une téléconsultation, soit le patient vient à la MSP, soit nous appelons le Samu”, énumère le Dr Turi. Des séances de téléconsultation, dont les modalités d’organisation ont été assouplies, sont également organisées entre le médecin et les infirmières libérales pendant leur tournée auprès des patients chroniques.
La gestion de cette épidémie a aussi conduit la MSP de la Roya à recourir à la téléconsultation. “Lorsque le tableau clinique d’un patient laisse supposer une infection au coronavirus, nous organisons une téléconsultation de suivi à six jours car la décompensation sévère intervient à ce stade, rapporte le Dr Castier. Cela nous permet de faire un point et d’aviser pour la prise en charge.”
Restriction du matériel
Outre l’organisation spécifique pour la prise en charge des patients, les professionnels de santé prennent des mesures d’hygiène les plus minutieuses possibles. “Nous avons des lunettes et des masques mais au compte-goutte, souligne le Dr Castier, s’inquiétant sur la diminution du stock rationné à 18 masques par médecin. Nous avons donc organisé un planning de consultations dédiées, avec des rendez-vous de 17h30 à 20h, ce qui nous permet de garder nos masques. Il ne faut surtout pas que l’un d’entre nous tombe malade, ça serait une catastrophe pour les patients de la vallée.”
Les gendarmes ont également alerté les professionnels de santé de retirer leur...
caducée des voitures afin d’éviter les vols, qui ont d’ailleurs eu lieu au sein de la MSP, conduisant à mettre les masques et les solutions hydroalcooliques sous clé. Du côté du Pas-de-Calais, l’équipe de la MSP “s’est débrouillée” pour récupérer du matériel et les chirurgiens-dentistes – qui ont fermé leur cabinet dentaire – ont mis leur tenue à disposition. "Nous avions aussi commandé des charlottes et des surblouses il y a trois semaines, nous les avons reçues avant les ruptures de stocks”, indique le Dr Turi.
Des étudiants en renfort au centre 15
De leur côté, les étudiants en médecine sont, aux quatre coins de la France, sollicités pour aider à la prise en charge des patients atteints du Covid-19. C’est le cas de Guillaume, étudiant en cinquième année et actuellement volontaire à la régulation du Samu à Lille, qui a ouvert une cellule de crise pour la gestion du Covid-19. “Les élus étudiants de ma promotion nous ont informés que la cellule était ouverte aux étudiants de troisième, quatrième et cinquième année, et que nous étions rémunérés”, rapporte Guillaume. Elle a d’abord pris place dans les locaux du Smur, avec six postes supplémentaires mais face à l’ampleur de la crise, la cellule a été délocalisée dans les locaux de l’école de sage-femme, permettant l’ouverture de 24 postes supplémentaires.
Pour remplir sa mission, Guillaume a bénéficié d’une formation rapide, et effectué les premiers appels en doublon. “Nous avons aussi à disposition un algorithme décisionnel pour les appels en lien avec le Covid-19", souligne-t-il. Depuis le 16 mars, il fait partie d’un pool de six étudiants à être retournés au Samu pour assurer la régulation de seconde ligne. “Nous avons été formés à ce type de régulation, à la réception des bilans des ambulanciers et des pompiers, au type de véhicules à envoyer si besoin, témoigne Guillaume. Nous ne sommes pas censés recevoir des appels urgents puisqu’ils ont été filtrés en première ligne. Nous réceptionnons des appels davantage médicaux mais gérables à notre niveau.” Question protection, les bureaux du Smur sont espacés et séparés par des cloisons. Des lingettes sont mises à disposition pour nettoyer les bureaux avant et après chaque prise de poste. Néanmoins, une question s’est posée : à chaque fois que le Samu envoie une ambulance pour une suspicion de Covid-19, les ambulanciers passent par les locaux du Samu pour chercher une tenue de protection intégrale. “Il y a donc un va-et-vient d’ambulanciers qui interroge”, conclut l’externe.
Les infirmiers libéraux sont, eux aussi, très sollicités dans cette gestion de crise sanitaire. Infirmier libéral à Baho, dans les Pyrénées Orientales, Jack Horte exerce avec son épouse Céline. Ensemble, ils s’organisent face à l’épidémie de Covid-19. “Depuis le début de l’épidémie, nous sommes dans l’attente des masques FFP2 pour nous protéger et protéger les patients que nous prenons en charge, témoigne Jack Horte. Nous sommes prioritaires, au même titre que les médecins. Ma femme a donc décidé de nous fabriquer des masques en tissus en suivant les différentes étapes mentionnées dans un document transmis au sein du CHU de Grenoble.” Le problème, c’est que ce virus est silencieux pendant 14 jours. “Nous pouvons donc être vecteurs de la maladie sans le savoir, poursuit-il. Avec mon épouse, nous avons donc décidé de mettre en place un sas de décontamination, par lequel nous passons dès que nous rentrons de notre tournée. Nous l’avons installé dans le garage. Nous nous désinfectons au gel hydroalcoolique, nous nous y déshabillons, retirons nos chaussures, mettons des sabots, nous nous désinfectons les mains après ouverture de la porte menant à la salle de bain, après avoir mis le linge à laver. Puis nous nous douchons et nous nous habillons avec des vêtements d’intérieur propres. Cela nous permet de réduire au maximum la présence du virus au sein de notre maison.”
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