"Nous sommes des urgentistes de l’information" : Qui sont les consultants santé dans les médias ?

19/03/2020 Par Marion Jort
Médias
Sous l’appellation “consultant santé”, des médecins occupent les plateaux de télévision et les studios radios pour décrypter l’actualité médicale au quotidien. Qui sont-ils ? Comment s’informent-ils et comment traitent-ils leurs données ? Plus que jamais mis en avant dans ce contexte de pandémie mondiale liée au Covid-19, Michel Cymes, Alain Ducardonnet et Gérald Kierzek racontent, pour Egora, les coulisses de ces consultations grand public, en direct.
 

Les médecins sont en première ligne face à l’épidémie de coronavirus… Jusque sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio. TF1, France Télévision, BFMTV, Cnews, Europe 1, RTL : zappez ou changez de fréquence, il y en a toujours un quelque part. Un médecin “consultant santé”, qui décrypte l’actualité médicale aux côtés de journalistes.  Alors que l’angoisse monde chez les Français face au Covid-19, de plus en plus de personnes font appel à eux par le biais des émissions de libre-antenne, mises en place spécialement pendant la période de confinement. Ces médecins-consultant sont aussi largement sollicités par les présentateurs d’émissions pour commenter les bilans, traitements, études, mais aussi décisions politiques et règles sanitaires. Ajoutez à cela des invitations sur des chaînes supplémentaires : ces médecins, qui continuent à exercer, sont sur tous les fronts du coronavirus.  “C’est fondamental d’avoir des médecins à la télé, parce qu’on fait notre métier de médecin : rassurer les gens”, explique le Dr Gérald Kierzek, médecin urgentiste à l’Hôtel-Dieu et consultant santé pour LCI et TF1. Nous sommes face à des informations très anxiogènes. Comme c’est le cas pour toutes les nouvelles maladies, les gens ont peur et le médecin est là pour recontextualiser les choses. Par exemple, il faut dire que oui, les personnes âgées sont à risque, mais ce n’est pas parce qu’elles ont 85 ans et de l’hypertension artérielle qu’elles vont mourir ! 98% des gens vont guérir, c’est important de le répéter. Nous sommes des urgentistes de l’information.”

Plus mesuré, le Dr Michel Cymes, présentateur de “Ça va beaucoup mieux” sur RTL et médecin ORL, estime que tout est une question d’équilibre. “Il faut jongler entre les deux, trouver un équilibre pour que les gens ne soient pas trop rassurés mais pas trop inquiets non plus...”, explique-t-il. “C’est très compliqué. D’un côté, on a envie de faire comme avec un patient, dire que tout va bien aller et qu’on va trouver un traitement. Et en même temps, faire comme avec un malade qui a une pathologie liée au tabagisme : lui faire peur pour qu’il arrête de fumer. Le problème dans le coronavirus, c’est qu’il faut qu’on...

réveille les gens pour qu’ils appliquent les gestes barrière. La communication est beaucoup plus compliquée qu’on ne l’imagine. J’essaie donc de rassurer, tout en reconnaissant que ça va augmenter, qu’il y aura plus de morts que la grippe…” Mais pour Gérald Kierzek, le médecin à en ce moment, surtout un rôle de pédagogie. “On est un anxiolytique. Il faut, à un moment donné, ramener un peu de calme, de contexte, expliquer pourquoi ces mesures ont été prises, décrypter le message du président de la République. Bref, je fais mon boulot de médecin, comme tous les médecins de France sauf que moi je le fais aussi à la télé et la radio.”

"Il faut jongler entre les deux, trouver un équilibre pour que les gens ne soient pas trop rassurés mais pas trop inquiets non plus..."

Des "éditorialistes santé" Face à l’afflux de questions et d’informations, comment alors tenir l’antenne pendant quelques dizaines de minutes, voire des heures sans pour autant se répéter ou se tromper ? “A BFMTV, on a décidé de créer un tandem : une journaliste santé et moi en tant que consultant”, explique le Dr Alain Ducardonnet, cardiologue, médecin du sport et consultant pour la chaîne d’information en continu. 

“Nous sommes la partie visible à l’écran, mais nous avons mis en place une équipe. Nous ne pouvons pas tout lire et tout faire, donc d’autres journalistes nous préparent de la documentation sur le suivi des chiffres de la crise sanitaire en France et dans le monde et tout ce qui est déclarations des institutions, qu'elles soient françaises, que ce soit l’OMS, ou les déclarations des sociétés savantes de d’autres pays. Nous faisons aussi des résumés du Lancet, par exemple. On essaie d’être méthodiques, en particulier dans cette guerre des chiffres où la notion de modélisation est prise comme ‘quelque chose qui va arriver’. A l’antenne, la journaliste santé est plus dans le factuel et le reportage, moi dans le décryptage et la mise en perspective. Un peu comme un éditorialiste santé.”  Editorialiste santé, n’est-ce pas pourtant antinomique ? Gérald Kierzek le réfute. “Je suis à la fois le docteur traitant sans me substituer au médecin traitant, mais aussi...

un éditorialiste parce que je recontextualise, je donne mon avis. Je l’avoue, je me suis prononcé la semaine dernière d’emblée en disant ‘le premier tour des municipales, c’est une bêtise, une aberration virologique'. C’est en ce sens que j'éditorialiste les choses.  Par contre, je le fais avec déontologie et dans l’intérêt du patient.”   

“A l’antenne, la journaliste santé est plus dans le factuel et le reportage, moi dans le décryptage et la mise en perspective. Un peu comme un éditorialiste santé”. 

  Avis partagé par Alain Ducardonnet, qui insiste aussi sur leur expertise nécessaire pour devancer certaines anxiétés supplémentaires chez les Français. “Le côté éditorialiste pour moi n’est pas un côté éditorialiste au sens strict. C’est simplement enrichir un peu le propos. Encore une fois, on ne peut pas se contenter de dire que le bilan grimpe à 300, 400, 500, si des patients lourds vont en réanimation. Il faut expliquer la mécanique qui fait qu’au septième ou huitième jour, il y a des complications qui apparaissent. Que le problème, c’est de pouvoir les traiter, évidemment, mais que ces détresses respiratoires vont rester hospitalisées un certain temps et beaucoup plus longtemps que d’autres patients en réanimation. Ce qui fait que les services vont être saturés. C’est donc du commentaire, mais du commentaire qui reste médical et scientifique”, illustre le cardiologue.  Ce côté éditorialiste, ils l’exercent également dans le décryptage des propos de leurs confrères ou de représentants d’institutions. “C’était flagrant lors de l’interview de Jérôme Salomon [directeur général de la Santé, ndlr], qui était interviewé lundi 16 mars, le matin de l’annonce du confinement par Emmanuel Macron”, poursuit Alain Ducardonnet. A ce moment, on était pas encore confinés mais il a grossi un peu le trait pour permettre, probablement, d'annoncer le confinement dans la journée. C’est vrai que ce sont des stratégies classiques de politiques de santé. Moi, je peux me permettre de souligner la dramatisation, alors que c’est plus difficile pour un journaliste, mais expliquer pourquoi on doit prendre ces mesures.” 

  Remettre en perspective  Autre exemple, le recadrage des politiques face à certains propos qui dérapent à leurs yeux. “Beaucoup de politiques en profitent pour créer des polémiques, je crois que ce n’est pas le moment. Donc, c'est important d’avoir des médecins pour leur répondre”, s’agace Michel Cymes. Ainsi, invité sur France 2 lors de la soirée électorale dimanche 15 mars, il a fermement recadré...

Nadine Morano. L’élue Les Républicains a fustigé le Gouvernement pour sa gestion du coronavirus et critiqué le “manque de coordination” entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe. Des propos qui l’ont fortement agacé. “Tenir des propos comme ça, c'est d'une grande irresponsabilité. Je crois que la situation est déjà suffisamment compliquée comme ça. Les réseaux sociaux sont pleins de fake news, pour ne pas entendre quelqu’un qui se dit responsable politique faire croire que la situation politique est bien plus grave que ce qu’on veut bien le dire”, a-t-il pesté à l’antenne.  Il arrive aussi à ces médecins-consultants de partager l’antenne avec d’autres professionnels de santé, essentiellement des infectiologues, des épidémiologistes et des urgentistes en ce moment. “Parfois, ces professionnels ont des idées tranchées et profitent de la tribune pour raconter leurs convictions. C’est important donc d’avoir quelqu’un qui puisse remettre en perspective”, plaisante Alain Ducardonnet.     Publications scientifiques et appel aux confrères Pour donner des informations… Encore faut-il en avoir. “Je passe ma journée à lire, consulter les alertes. Je lis les journaux qui sont pour moi des références : Le Monde, les publications médicales… et Egora (rires) ! ” explique Michel Cymes. “J’appelle aussi, dès que j’ai besoin de renseignements, des experts infectiologues, épidémiologistes. Et puis, je cherche par moi-même. J’ai fait une chronique sur RTL pour dire aux allergiques de prendre leurs antihistaminiques parce que, en faisant des recherches, j’ai eu une intuition...

sur le fait que les allergiques pouvaient être plus embêtés que les autres. J’ai trouvé un article publié par le CNRS en 2017, j’ai donc appelé le chercheur qui m’a confirmé mon intuition.” De son côté, Gérald Kierzek privilégie les publications telles que The Union Journal of Medicine, The Lancet ou le Jama. Idem pour Alain Ducardonnet, qui confie également solliciter régulièrement ses confrères. “C’est le bénéfice de l’âge : on a des copains un peu partout et on peut avoir des informations qu’on ne donne pas à l’antenne en tant que tel, parce que ce n’est pas notre rôle de trahir le secret professionnel. Mais qui permettent, dans la tonalité qu’on a et dans la façon de traiter l’information, de donner des tendances. C’est pour ça qu’on peut être plutôt rassurant ou plutôt inquiétant.” 

  Tordre le cou aux idées reçues Dernier rôle pour ces médecins “tout-terrain” : lutter contre les fake news. “Réquisitionnés” à l’antenne pour répondre aux téléspectateurs et auditeurs, ces médecins-consultants doivent répondre aux inquiétudes et idées reçues parfois bien ancrées chez les Français. “Je le fais avec Jean-Jacques Bourdin sur RMC le matin, il faut parfois s’accrocher”, raconte Alain Ducardonnet. “Il faut s'accrocher pour faire les choses de manière générale. Et essayer de tordre le cou aux fake news. C’est important de rappeler que le cannabis ne soigne pas le coronavirus par exemple…”  Même exercice pour Gérald Kierzek, sur LCI. “Les questions qui reviennent le plus ? s’exclame-t-il. Je vis avec ma mère de 92 ans, est-ce que je dois la laisser seule dans une pièce, ne pas du tout sortir et lui donner à manger par un sas ? Mon mari est surveillant pénitencier, je suis enceinte, qu’est ce que je risque ? J’ai une ordonnance avec du Tramadol, c’est un produit stupéfiant, mon médecin ne sera pas là pour me renouveler mon ordonnance, comment faire ? Ce sont vraiment des questions médicales. C’est un peu tout ce qu’on toujours voulu savoir, non pas sur le sexe, mais sur le coronavirus, sans jamais oser le demander ! Et ce n’est pas prêt de s’arrêter !” 

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