"La médecine a évolué, pas l'homéopathie" : pourquoi j'ai suspendu l'enseignement de ma fac

03/09/2018 Par Fanny Napolier
MEP

Depuis les années 1980, l'Université de Lille faisait partie des facs qui délivraient un diplôme d'homéopathie. Mais pas cette année. Le doyen, le Pr Didier Gosset, a pris la décision de suspendre cet enseignement. "L'homéopathie est restée en marge de l'évolution du mouvement scientifique, remarque le Pr Gosset. A un moment donné, il faut savoir ne pas cautionner ce qui n'est pas scientifique."

  Egora.fr : Pourquoi avoir pris la décision de suspendre ce diplôme d'homéopathie ? Pourquoi maintenant ? Pr Didier Gosset : Il faut replacer les choses dans leur contexte historique et l'évolution dans le temps. Tous les diplômes d'homéopathie en France ont été créés dans les années 1980 avec l'idée de dire que si on ne propose pas cette discipline dans les facultés de médecine, elle va se développer ailleurs, dans des officines privées, de façon peu contrôlée… C'est la raison pour laquelle cette formation avait été inclue dans les facultés de médecine. Peut-être au début y avait-il un cadre plus contrôlé. Trente ou quarante ans ont passé et on n'a pas revu les choses. Un peu comme ces vieilles affaires qu'on a dans la maison, et devant lesquelles on passe sans les regarder. Et un jour, on se dit "tiens, qu'est-ce ça fait là ?"   Le débat actuel aura servi à ce qu'on se pose cette question ? Oui, le coup d'éclairage qu'il y a eu sur l'homéopathie à travers le débat national, nous a amené à réfléchir au sujet et à prendre une décision. En réfléchissant, on s'aperçoit que ce que l'on fait n'est pas en cohérence avec ce que l'on prône. Aujourd'hui on enseigne une médecine fondée sur les preuves. On bassine les étudiants toute la journée avec ça, notamment avec l'enseignement de la lecture critique d'article, qui est un point important dans la préparation au concours de l'ECN. Les étudiants ne comprennent pas. Pourquoi l'homéopathie ? La médecine a évolué, pas l'homéopathie. Il n'y a pas d'études solides sur le sujet qui prouvent une quelconque efficacité en dehors de l'effet placebo. L'homéopathie est restée en marge de l'évolution du mouvement scientifique, alors qu'elle est parfois abusivement présentée comme étant efficace. A un moment donné, il faut savoir ne pas cautionner ce qui n'est pas scientifique. Je veux simplement prendre une position qui n'est pour l'instant qu'un moratoire. Nous restons ouverts. Il faut écouter ce qui va se dire à l'échelon national, à la Haute autorité de santé, dans les Sociétés savantes qui vont être obligées de se positionner… Attention, on parle là des granules. Ça ne remet pas en cause la qualité des confrères qui dans leur immense majorité, il peut y avoir des dérives comme partout, font une médecine en examinant correctement leurs patients. Ils sont surtout efficaces du fait d'une bonne qualité de la relation médecin-patient. Il y a une écoute. Ce sont des consultations qui peuvent durer peut-être un peu plus longtemps, les pathologies sont le plus souvent psychiques ou psychosomatiques, et donc c'est important. C'est ça qui est efficace, et facilite l'expression de l'effet placebo. Ce n'est pas le contenu d'un granule. N'amalgamons pas les granules et la pratique.   Y'a-t-il eu des débats concernant cette décision au sein de votre équipe, du côté des étudiants ? De manière régulière on a effectivement des étudiants qui font des remarques, ou des enseignants. A un moment donné il faut avoir le courage de dire les choses. Et maintenant que les choses sont dites, je vois les messages qui me parviennent et je constate que la décision prise va probablement dans le bon sens.   Vous dites ne pas vouloir prendre parti dans le débat actuel, concernant les médecins qui font l'objet d'une plainte ou sur l'effet de l'homéopathie… Au sujet des poursuites, je constate qu'il s'agit d'une procédure sur la forme et non pas sur le fond. L'université prend sa décision en tant que telle par rapport au diplôme. Les arguments que j'ai exposé chacun les utilisera d'un côté comme de l'autre comme il le souhaite. Ce n'est pas à moi de prendre position dans cette polémique.   Vous appelez à un esprit critique concernant l'homéopathie, comme le font les médecins signataires de la tribune. Oui, oui exactement. Le terme esprit critique me va tout à fait.   La décision concernant l'enseignement de l'homéopathie pourrait-elle s'étendre à d'autres disciplines ? A l'acupuncture, la mésothérapie ou autres… On a effectivement partout en France des diplômes d'université d'acupuncture. Mais ne je pense pas que la problématique soit la même. C'est probablement le moment, et c'est ce que souhaite faire la Conférence des doyens des facultés de médecine, de mettre en place une sorte d'observatoire des pratiques alternatives. C'est certainement ce qui va se faire. Nous nous réunissons d'ailleurs ce mardi à Lille, mais c'est un hasard. Ce n'était pas du tout à l'ordre du jour, mais là le sujet va s'inviter.   Avez-vous eu des réactions de la part d'autres doyens ? Vous attendez-vous à un effet tâche d'huile ? J'ai eu beaucoup de réactions ici sur place de mon université. Pour ce qui est de l'échelon national, j'aviserai (… ) puisque nous nous réunissons pour une séance de travail. Chacun verra comment il se positionne, avec ses arguments. J'ai pris mes responsabilités, j'ai pris une décision qui me paraît être scientifique, avec l'idée de mettre en cohérence ce que l'on dit et ce que l'on fait. Peut-être que les uns et les autres auront d'autres arguments. De toutes façons, il y aura encore des échanges. La réflexion est loin d'être terminée.   Combien d'étudiants étaient inscrits à ce diplôme ? Nous n'avions pas encore d'inscriptions, on était au stade des préinscriptions. Nous avions une dizaine de préinscrits. C'est la raison pour laquelle c'était le moment de prendre une décision. Il s'agit d'un mode d'exercice particulier, donc tous ces médecins-là ont leur activité par ailleurs. Ma décision ne va pas révolutionner la santé publique en France.

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