Soins low cost, concurrence déloyale… l'accès partiel aux professions de santé, vrai danger ou fantasme collectif ?

02/08/2017 Par Aveline Marques
Politique de santé

Permettre l'exercice partiel d'une profession de santé à un ressortissant européen dont la formation n'est pas au niveau... C'est le principe de "l'accès partiel" mis en place par l'Union européenne au nom de la libre circulation des travailleurs. Alors que d'autres pays rechignent à se conformer à cette directive de 2005, les députés français ont dit oui, le 19 juillet dernier. Malgré les vives inquiétudes exprimées par les professionnels de santé.

    A lire également : "Il n'y a pas d'accès partiel à la médecine"    

"Le risque, c'est d'avoir des soins low-cost"

L'Ordre national des infirmiers a été parmi les premiers à sonner l'alarme, en 2013. Pour son secrétaire général, Karim Mameri, c'est la porte ouverte à toutes les dérives.   Dans quelle mesure la profession infirmière sera concernée par l'accès partiel ? Karim Mameri : C'est la grande inconnue. Aujourd'hui, l'exercice partiel est une coquille vide, mais qui pourrait très bien se remplir. Actuellement, au sein de l'Union européenne, il y a le système de reconnaissance automatique : n'importe quelle infirmière peut faire valoir son diplôme dans un autre pays. La libre circulation des professionnels fonctionne bien. Il n'y a pas de cas concrets d'exercice partiel aujourd'hui, tout simplement parce que ce n'était pas permis. Ça ne nous empêche pas d'être vigilant et inquiet sur cette possibilité. Aujourd'hui, 14 pays européens n'ont pas transposé cette directive, l'Allemagne a refusé de l'appliquer aux professions de santé. Il y a d'ailleurs une procédure en cours à la Cour de justice européenne, qui pourrait très bien aboutir à exclure la santé. Ce n'est pas un hasard, il y a une réelle inquiétude. Lors des débats, bon nombre de députés se sont interrogés sur la mise en œuvre de l'accès partiel. Beaucoup ont dénoncé la rapidité et le manque de concertation. Le rapporteur n'a pas été du tout convaincant. Un député -M. Véran, pour ne pas le citer- a affirmé que les médecins n'étaient pas concernés, mais il se met le doigt dans l'œil !   Quelles sont vos craintes ? L'argument principal du Gouvernement a été de dire "si on ne transpose pas, on risque de s'attirer les foudres de l'Europe". Mais l'intérêt majeur, c'est la sécurité des patients ! Comment un patient fera-t-il la différence entre un professionnel diplômé et un autre partiellement formé ? Le risque c'est d'avoir des soins low cost. On craint aussi un démantèlement de la profession infirmière. Or, la profession infirmière ce n'est pas une accumulation d'actes, il y a aussi des compétences et des missions. Dans le cadre d'une démarche de soins, on doit être en capacité de prendre en charge le patient dans sa globalité et pas de façon parcellaire.   Redoutez-vous la concurrence de ces professionnels ? Que certains établissements, par souci d'économies, préfèrent recruter un soignant en exercice partiel plutôt qu'une infirmière Bac+3? C'est un risque. Une clinique pourrait très bien considérer que pour faire tel acte en chirurgie, ils n'ont pas besoin de telle compétence.   Qui contrôlera les compétences de ces professionnels ? Si ce système devait être mis en place, nous demandons à ce que l'Ordre soit en capacité de donner l'autorisation d'exercice ou pas, si l'intérêt général est menacé. On ne veut pas seulement être consultés.  

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"Il n'y a pas d'accès partiel à la médecine"

Député de la majorité, le Dr Olivier Véran a appelé à "dédramatiser" l'accès partiel lors du débat à l'Assemblée nationale. Pour lui, l'offre et la demande sont inexistantes.   Les médecins seront-ils concernés par ce dispositif d'accès partiel ? Agnès Buzyn a précisé qu'aucune profession ne peut en être exclue a priori... Olivier Véran: Non. Il y a une reconnaissance tacite, automatique du diplôme de médecin à travers les frontières européennes. Tout médecin européen peut venir s'installer en France sans démarche particulière dès lors qu'il atteste d'avoir le diplôme de médecin dans un pays de l'UE. Il n'y a donc pas d'accès partiel à la médecine. De même pour les pharmaciens, dentistes, et autres professions médicales. C'est ma lecture.   Alors, à quoi, à qui, faut-il s'attendre ? Il y a notamment le cas des balnéothérapeutes roumains, qui pourraient faire valoir cette compétence en France, relevant du métier de masseur-kinésithérapeute. Mais je pense qu'il n'y a pas de marché pour ça. Quels sont les moteurs qui poussent les professionnels à venir exercer en France plutôt que dans le pays où ils ont obtenu leur diplôme ? Si vous n'exercez qu'une partie d'une profession, il n'y aura pas de différentiel de rémunération. Et sur les professions paramédicales concernées déjà aujourd'hui par des flux massifs à travers les frontières, comme les kinés et les orthophonistes, ce sont souvent -40% dans le premier cas, 95% dans le second- des Français qui sont allés se former à l'étranger pour contourner le numerus clausus. Il n'y a pas d'offres… et il n'y a pas de demandes ! La demande existe en médecine pour les hôpitaux et pour les déserts médicaux. Il y a un appel d'air ; aujourd'hui, un médecin sur quatre qui s'installe en France a un diplôme étranger. On en a besoin. Est-ce qu'il y a aujourd'hui besoin de professionnels de santé exerçant un petit bout du métier d'infirmière ? Je ne crois pas : 1) ça n'offre pas les gages de qualité et de sécurité des soins; 2) il y a la barrière de la langue; 3) ce ne sont pas des professions qui ont les mêmes difficultés démographiques que les médecins. Pour autant, je ne suis pas enthousiaste face à cette directive. J'aime mon système de santé, j'aime le niveau de formation des professionnels. Je milite pour qu'on supprime les numerus clausus et qu'on ait une démarche européenne en matière de démographie des professions de santé. Ça pose des questions mais il ne faut pas dramatiser.   Les professionnels de santé redoutent une baisse de la sécurité des soins, une segmentation de leurs métiers… Que leur répondez-vous? J'entends les craintes, mais je ne vois pas un hôpital embaucher quelqu'un qui n'exercerait qu'un petit bout du métier d'infirmier. Vous imaginez en termes d'organisation! Et surtout, il n'y a pas de difficulté à recruter des professionnels de qualité. Dans la rédaction du décret, les partenaires sociaux -les ordres notamment- seront associés et il y a des mécanismes qui empêcheront la dérive vers une santé low cost. La ministre l'a répété. Il n'y a pas des légions d'Européens de diplôme "sous-infirmier" qui sont prêts, le mors aux dents, à venir s'installer en France. Je ne crois pas. Et si tel était le cas, on a suffisamment de mesures de protection et d'évaluation pour pouvoir faire face.   Ces professionnels pourront-ils exercer en libéral ? Comment seront-ils rémunérés ? Je ne sais même pas de qui on parle... Pour l'heure, c'est totalement virtuel et il y a de fortes chances que ça le reste.   Lors du débat en assemblée plénière, vous avez évoqué le manque de contrôle des qualifications des médecins européens… Quand j'ai fait mon rapport sur l'intérim médical, je me suis rendu compte qu'il y avait un certain nombre de médecins qui exerçaient dans les hôpitaux sur des missions de courte durée, signées un peu à l'arrache à travers des agences d'intérim, sans que soit nécessairement contrôlée leur autorisation d'exercer légalement dans notre pays. On manque de dispositifs de contrôle. D'ailleurs, la discussion autour de cette directive européenne doit nous inviter à se pencher sur les autres mécanismes de contrôle qui posent problème.

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