"Externe en médecine, j'ai enfariné François Fillon" (vidéo)

20/04/2017 Par Aveline Marques
Témoignage

Quentin, étudiant en médecine strasbourgeois, a passé 22 heures en garde à vue au commissariat le 6 avril dernier après avoir "blanchi" le candidat Les Républicains, sous l'œil des caméras, lors de son meeting dans la capitale alsacienne. Très vite, la presse dévoilait que le jeune homme de 26 ans était un ancien fiché S. Rencontre avec un citoyen idéaliste, futur généraliste, qui ne compte pas s'arrêter là.   "J'ai 26 ans et je suis en 5e année de médecine. J'ai commencé médecine un peu tard, trois ans après le bac. Entre temps, j'ai fait des petits boulots: j'ai travaillé dans une plateforme téléphonique, dans une imprimerie, j'ai été animateur en périscolaire, homme de ménage, j'ai fait du service en restauration, etc. J'ai mis de l'argent de côté pour voyager. Je n'étais pas un très bon élève au lycée… j'avais ce besoin de découvrir le monde autrement que par les livres.  

Fiché S après un séjour en Afghanistan en 2011

  En 2011, je suis parti seul au Népal, où je suis resté deux mois. L'idée était d'aller à la rencontre des gens, de vivre chez l'habitant autant que possible. Puis je me suis rendu en Inde, à Varanasi, où j'ai travaillé pour la station Mère Térésa. Après deux mois, j'ai traversé la frontière au Tibet pour aller en Chine. Puis au Pakistan deux mois plus tard. Là-bas, j'ai vécu au sein d'une famille qui habitait près d'Islamabad, la capitale. Ils m'ont emmené dans une entreprise de scalpels, de pinces et autres instruments destinés aux hôpitaux européens. Les conditions de travail étaient extrêmement difficiles : les gens travaillaient jusqu'à 20 heures par jour, dans la poussière ; plusieurs personnes n'avaient plus de doigts. Ce qui m'a vraiment marqué, c'est quand je les ai vus noter "fait dans l'Union européenne" sur ces outils, parce qu'ils sont stérilisés en Europe. On soigne les Européens sur les cadavres de ces personnes. C'est de là que vient ma vocation pour la médecine. Ce voyage a fait naître en moi un besoin d'aider les autres. J'ai vu beaucoup de misère, mais aussi beaucoup d'humanité. Puis j'ai pris l'avion pour l'Afghanistan. Je suis beaucoup resté à Kaboul car il est très difficile de se déplacer dans le pays. La pression est omniprésente ; je ne conseille à personne d'y aller ! Je vivais dans un hôtel entouré de barbelés, avec des gardiens armés. J'allais quand même chez les gens, dans les marchés, au bowling avec les jeunes ou au resto. J'avais un peu appris l'ourdou, donc j'ai pu communiquer avec eux.  

Fillon est un symbole

  A mon retour en France, j'ai été interrogé par la Direction générale de la sûreté extérieure. Quand on revient d'Afghanistan, forcément, il y a des doutes qui peuvent être émis… Mais très vite, ils ont compris que j'étais inoffensif, que c'était de la curiosité, que j'y étais allé pour voir ce qui se passait là-bas, au-delà de ce qu'en disent les médias, et confirmer ma philosophie de pacifiste. J'ai été fiché S; j'ai dû le rester un an, environ. Ça n'a rien changé à ma vie quotidienne ; je n'avais rien à me reprocher, donc je n'ai eu aucun contact ultérieur avec les autorités. Je me doutais juste que je pouvais être mis sur écoute. Cinq ans ont passé. L'idée d'enfariner Fillon a germé assez simplement, suite à l'enfarinage de Manuel Valls en décembre dernier à Strasbourg. Avec un ami, on trouvait que c'était un bon moyen médiatique, non violent, de manifester. De rappeler à la réalité ces gens aux égos surdimensionnés. François Fillon avait le profil type de l'enfarinable. C'est un symbole: un candidat à l'élection présidentielle qui s'est exposé massivement à des conflits d'intérêts. Via sa société de conseil, il a bossé pour Axa, pour une banque et pour un cabinet d'évaluation financière. C'est un antirépublicain. L'affaire Pénélope en remet une couche, même s'il s'agit d'une pratique répandue chez les parlementaires.   

On a lancé un collectif d'enfarinage

  Avec un ami, on s'est rendu à son meeting à Strasbourg. On avait l'intention de l'enfariner lors de son discours. Finalement, on nous a remis des t-shirt "Les étudiants avec Fillon" à enfiler pour former une haie d'honneur. C'était du pain béni pour nous ! Après l'enfarinage, sa sécurité privée nous a sauté dessus. Surtout sur mon ami, qui s'est pris un coup de pied, un coup de poing et a été menotté. On nous a sortis, puis emmenés au commissariat central de Strasbourg. On est resté 22 heures en garde à vue. Les policiers ont été très gentils avec nous. On a leur a dit qu'on était apolitiques, qu'on faisait ça pour marquer le coup. Le système des partis politiques est mal fichu, il empêche les citoyens de s'exprimer, de s'investir comme ils le devraient. On s'attendait à une amende, voire à de la prison avec sursis. Finalement, on est convoqués le 12 mai devant le tribunal pour un rappel à la loi. François Fillon n'a pas porté plainte. On a lancé un collectif d'enfarinage sur internet (farine.pro). C'est un grand projet, qui vise à réclamer la création d'une assemblée citoyenne ; ce n'est pas un acte de mécontentement dénué de valeurs. Sur le site, on va discuter des enfarinables, s'échanger des infos sur leurs déplacements. On ne cible pas que les hommes politiques ; les grands PDG, qui alimentent les lobbies, sont aussi visés. Pour l'instant, j'essaie de mettre les gens en relation. On cherche un webmaster, des avocats, des communicants. L'idée fait son chemin : un étudiant de l'école 42, où devait se rendre Fillon avant-hier avant d'annuler, avait apparemment prévu de l'enfariner.  

Je veux être généraliste

  La vidéo de l'enfarinage que j'ai postée a tourné, mais je ne sais pas encore comment les étudiants de la fac ont réagi. J'ai encore une semaine de stage avant de reprendre les cours. Je sais déjà que je veux être généraliste. Je me vois exercer en pluriprofessionnalité à Marseille, dans une cité, pour aider les gens dans la précarité. Dimanche, j'irai voter, même si aucun candidat ne porte l'idée d'une assemblée citoyenne. Je ne voterai ni pour Macron, ni pour Le Pen. Et bien sûr, pas pour Fillon.

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