En 2020, environ 500 000 décès sont survenus à l’hôpital dont 60% au sein de structures « non spécialisées » en soins palliatifs. Une étude multicentrique réalisée durant l’été 2021 auprès de sept cent quarante sept soignants (cardiologues, anesthésistes-réanimateurs cardiaques, chirurgiens, cardiologues pédiatres) exerçant à l’hôpital public, privé et en clinique, a mesuré les conséquences personnelles et émotionnelles chez les soignants confrontés à la fin de vie de leurs patients. Elle a été effectuée par la Société française de cardiologie (SFC), en collaboration avec la Société française de chirurgie thoracique et cardio-Vasculaire (SFCTCV), et la Société anesthésie réanimation cœur thorax vaisseaux (ARCOTHOVA). « Face à la mort, les professionnels de santé sont isolés et communiquent peu au sein de leur service et de leur famille. C'est un sujet tabou », introduit le Pr Thibaud Damy, cardiologue (CHU Henri Mondor). Pour le Dr Rebecca Dickason, sociologue, « le secteur de la santé est un haut lieu d'exposition aux exigences émotionnelles, en particulier, lors de la confrontation avec des patients, ou leur entourage, en situation de détresse. Certains soignants vivent un ou deux décès par mois. Dans une carrière, le nombre, la fréquence et la nature des décès créent un effet cumulatif devenant une véritable pénibilité émotionnelle ». L’étude révèle ainsi que près d’un soignant sur deux présente des signes de burn-out, 38% des symptômes d’anxiété, 31% une dépression et 33% des signes de syndrome de stress post-traumatique. Si 83% des répondants déclarent être impactés émotionnellement, ils sont 25% à l’être de façon très importante (note de 8 à 10/10). Dans ce dernier groupe, 17% reconnaissent avoir eu des conduites addictives (alcool, cannabis…), 10% avoir consommé des médicaments anxiolytiques ou anti-dépresseurs et 12% avoir consulté un psychologue ou un psychiatre. Les morts brutales et inattendues, le décès d'un sujet jeune pendant une procédure vont générer le plus d'effet. Les soignants les plus âgés sont les plus touchés et reconnaissent avoir des difficultés à gérer leur propre souffrance, celle de leur équipe ou des jeunes soignants qu’ils encadrent. « Certains soignants envisagent le suicide, voire même de passer à l’acte. Ils se sentent démunis, peu soutenus et manquent de ressources. L’enquête montre qu’ils doivent répondre à l’injonction de rester maitre de soi en toutes circonstances alors que le partage social des émotions, avec l'équipe, les pairs, les supérieurs est important pour faire face à des fins de vie ou à des décès bouleversants » poursuit la sociologue. Cette étude met ainsi en évidence la nécessité de prendre en compte cette problématique par les institutions et de développer des programmes d’écoute et de formations, initiales et continues, pour soutenir ces professionnels de santé. « Les soignants du coeur qui souffrent le plus éprouvent de la honte à parler de leurs émotions. Et les institutions ne sont pas informées de cette souffrance », complète le Pr Damy. Cette enquête inédite dans le domaine de la cardiologie a permis d'évaluer scientifiquement l’impact de la mort sur les soignants et de briser ainsi un tabou. « Une prise de conscience doit être opérée pour générer des actions et fournir des outils car c’est un problème de santé publique. Il est difficile de prendre soin des patients si nous n’allons pas nous-mêmes très bien », conclut le Pr Erwan Flecher, chirurgien thoracique et cardiovasculaire (CHU Rennes). Une deuxième étude incluant les paramédicaux du cœur sera menée prochainement afin d’identifier les solutions et les ressources à mettre en place à l'échelle individuelle mais aussi collective.
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