Alors que l’épidémie de Covid-19 a projeté sur le devant de la scène la souffrance des soignants, l’association Soins aux professionnels de santé (SPS) ouvre ce mercredi 1er septembre une maison qui leur sera dédiée, au pied de l’Arc de Triomphe, à Paris. Un "nid" dans lequel médecins, infirmières ou encore étudiants pourront trouver du réconfort, échanger mais aussi consulter un psychologue. "’Grâce’ au Covid, tout le monde a compris que ça devenait important de s’occuper des soignants et de leur santé. Ça a donné un coup de boost à notre aventure." Depuis qu’il a cofondé l’association Soins aux professionnels de santé (SPS), en 2015, le Dr Éric Henry ambitionne de créer un lieu dédié au bien-être des soignants, un "nid" au sein duquel ils pourraient trouver un refuge ou un accompagnement à leur détresse psychologique. C’est désormais chose faite. La Maison des soignants a pris ses quartiers ce lundi 1er septembre dans les locaux de l’URPS Chirurgiens-dentistes, au pied de l’Arc de Triomphe, à Paris. "C’est un symbole. On est posés en plein centre de Paris", explique le généraliste, installé à Auray (Morbihan). Dans cette "Maison", médecins, infirmières, aides-soignantes ou encore étudiants pourront participer à des ateliers (autour des questions de la gestion du stress, du mode de vie et de l'alimentation, com’ management, et de la prévoyance), suivre des formations (en prévention du suicide, par exemple), assister à des conférences, mais aussi – et surtout – "vider leur sac" lors de groupes de parole ou encore consulter l’un des 100 psychologues qui effectuent désormais des vacations pour l’association. Bref, un "espace pour eux", résume Catherine Cornibert, pharmacienne, en charge des actions et de la communication de l’asso, qui souligne l’importance d’un tel endroit, alors que les appels sur sa plateforme téléphonique gratuite, mise en place en 2016, ont explosé depuis le début de la crise sanitaire : 10.298 appels reçus depuis la création du numéro*, dont 60% en 2020 – avec des pics à 150 appels par jour. "Il y a pas mal de généralistes qui ont décroché leur plaque" Au regard de ces chiffres, force est de constater que la crise sanitaire a exacerbé la souffrance des professionnels de santé – qui était jusqu’ici "taboue", regrette Catherine Cornibert 49% des appels sur la plateforme téléphonique SPS concernaient l’épidémie avec pour motifs récurrents l’anxiété liée au virus et à sa transmission à leur entourage, au confinement, mais aussi les problèmes d’organisation dans le cadre de l’épidémie. La plateforme a également reçu 17 appels d’urgence imminente correspondant à des tentatives de suicide. Une hausse des appels la nuit – particulièrement "anxiogènes", a aussi été observée l’an dernier.
Lors du premier confinement, l’anxiété primait. "Ça a cogné fort, se souvient le Dr Henry. D’abord ce sont les médecins généralistes de Mulhouse qui ont été touchés. Il y a eu au moins 13 morts : des praticiens âgés de 60 à 70 ans qui avaient fini leur carrière médicale et donnaient un petit coup de main et ont fini dans la tombe. En voyant cela, beaucoup de médecins de 58, 60, 62 ans se sont dit ‘Qu’est-ce que je fais encore là ? Est-ce que ça vaut vraiment le coup que je meure ?’ Il y a pas mal de généralistes qui ont décroché leur plaque et qui sont partis, prenant leur retraite en avance." Le deuxième confinement a laissé place à l’épuisement, puis, à partir du troisième, la lassitude s’est fait ressentir dans les rangs, constate Catherine Cornibert. Pourtant applaudis les premiers mois, "les professionnels de santé n’ont vu aucune évolution concernant leur reconnaissance morale ou financière". Un an après le début de l’épidémie, "ils se retrouvent exactement au même point au niveau de l’organisation hospitalière et libérale. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’absentéisme, mais toujours autant de manques", déplore la responsable des actions de SPS. Depuis janvier, ce sont les motifs personnels qui constituent la principale cause d’appels (27% des 2.764 appels avec réorientation reçus sur le premier semestre de l’année 2021), indique un bilan de l’association : cause familiale ("le monde médical donne tellement dans le système qu’on a du mal à s’occuper de nos familles", note le Dr Henry), cause économique, autres. Mais ils sont nettement plus nombreux qu’avant la crise, qui a affecté le moral de bon nombre de professionnels de santé. "Les professionnels de santé sont fatigués", indique Catherine Cornibert. Les appels liés à l’épidémie de Covid-19 représentent 17% des appels de janvier à juin 2021. Selon la docteure en pharmacie, certains soignants ont pu ressentir une frustration voire une colère liée à l’obligation vaccinale. "Le soignant se révolte, c’est une façon pour lui de protester parce qu’on ne l’a pas écouté depuis un an, certains pensent aussi qu’on n’a pas assez de recul au sujet des vaccins." "Un médecin préfèrerait parler à un médecin : il faut oublier cela" Le Dr Éric Henry constate que ce sont avant tout les salariés qui demandent de l’aide (65% des appels en 2020, 45% sur le premier semestre 2021). Il y a, en effet, plus facilement des conflits en équipes, justifie-t-il. Conflits qui ont pu s’accentuer dernièrement car "des soignants ne comprennent pas que d’autres ne soient pas vaccinés, ce qui créé des tensions dans une équipe, des pertes de temps", ajoute Catherine Cornibert. Mais il y a aussi "des conflits de gestion avec des RH qui continuent à faire tourner les gens comme s’ils étaient des machines". Néanmoins, travailler seul peut avoir l’effet inverse et favoriser l’isolement du médecin, prévient le Dr Henry. Ces derniers peuvent vite se sentir submergés, ne pouvant parfois s’arrêter d’exercer, comme cela a pu s’illustrer cet été avec la crise des remplaçants, conséquence de la baisse de la démographie médicale et de l’accroissement des déserts médicaux.
"Dans les petites équipes, la discussion est beaucoup plus rapide, il n’y a pas trop de hiérarchie, les choses se règlent quasiment au jour le jour. C’est aussi plus protecteur", fait valoir le généraliste, président de la maison médicale de garde d’Auray. Ce dernier déplore par ailleurs que "la médecine de ville n’appelle pas énormément". "On a encore du mal à faire arriver notre information jusque dans les cabinets médicaux", admet-il. Les libéraux représentent au premier semestre 2021, 8% des soignants qui ont appelé la plateforme. Le président de SPS avance une explication à cela au-delà de la réserve : "Le monde médical n’a pas l’impression d’être sur la même marche que le reste du peuple. Il voudrait accéder à d’autres services que les autres. Je pense notamment qu’un médecin préférerait parler à un médecin, un pair. Certains ont essayé mais ça n’a pas bien fonctionné. Il faut oublier cela et accepter de parler à des psychologues." Ce dernier appelle à "faire confiance aux gens qui ont été formés à l’écoute" et à relâcher les "freins". Il espère ainsi que la Maison des soignants sera une "autre porte d’entrée" pour tous ceux qui souhaitent "déposer leur douleur". "Alors qu’on pensait qu’avec le Covid, l’humain avait disparu, on va avoir un endroit où on peut être un peu cocooné", se réjouit le généraliste, qui est par ailleurs très investi sur la question de la prévention du suicide. A terme, SPS souhaite que soit implantée une Maison des soignants par région. Certaines sont en bonne voie de création, comme en Occitanie – où des étudiants identifient les besoins des professionnels de santé, dans les Hauts-de-France ou encore dans le Grand Est. "La souffrance est très hétérogène", indique en effet Catherine Cornibert. Les soignants installés ou exerçant hors de l’Ile-de-France (région qui concentre 30% des appels) peuvent néanmoins bénéficier de téléconsultations gratuites, assure le président de SPS qui l’assure : "On trouve toujours une solution aux gens." L’heure est maintenant à la recherche de partenaires pour financer les diverses actions et prestations de la Maison, indique Catherine Cornibert, enthousiaste : "On se jette à l’eau, on voit comment ça peut fonctionner. On commence avec les fonds de l’association, mais il faudra trouver des partenaires publics et privés, chercher de la solidarité."
Si elle soutenait déjà les étudiants en santé, l’association SPS propose depuis le début de l’année son aide à l’ensemble des étudiants français. "Par rapport à la performance de notre plateforme (ouverte jour et nuit, 24h/24, 6j sur 7), la Cnam nous a demandé d’accompagner tous les étudiants. On a répondu à cette mission de santé publique", explique Catherine Cornibert. Le verdict est sans appel : 37% des appels reçus sur la plateforme téléphonique SPS de janvier à juin 2021 ont été passés par des étudiants, âgés en moyenne de 23 ans. Presque la majorité d’entre eux (42%) appelaient pour des motifs personnels, 18% pour des problèmes liés à leur parcours, et 16% pour des motifs liés au Covid.
Depuis le début de la crise, qui a plongé bon nombre d’entre eux dans la précarité et l’isolement, SPS a noué un partenariat avec l’association ECTI qui propose des accompagnements personnalisés aux étudiants par des bénévoles seniors. Le Dr Henry souhaite par la suite faire entrer des médecins retraités dans le système pour proposer un soutien supplémentaire aux étudiants en médecine. Une idée qu’il avait eue lorsqu’il était au Syndicat des médecins libéraux (SML) pour "ouvrir le réseau des anciens aux jeunes".
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