Troubles olfacto-gustatifs : des conséquences nutritionnelles à l’étude

12/11/2020 Par Charline Delafontaine
Nutrition

A l’instar du Covid, l’anosmie et l’agueusie accompagnent de nombreuses pathologies, et s’observent aussi fréquemment chez les personnes âgées, ou en cas de prise de certains médicaments. Le Dr Laurent Brondel* (Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation, UMR 6265 CNRS, UMR 1324 INRA, Université de Bourgogne ; Service d’Hépato-Gastro-Entérologie du CHU de Dijon) fait le point sur l’importance du contrôle sensoriel sur les comportements alimentaires.   Egora : Symptôme de l'infection à Sars-CoV-2, l'anosmie, couplée à une agueusie, préoccupe la communauté médicale, et ce d’autant que chez certains patients les troubles semblent perdurer dans le temps. De tels symptômes peuvent-ils retentir sur les comportements alimentaires ? Dr Laurent Brondel : On sait en effet que la gustation et l’olfaction - via la voie rétro-nasale – jouent un rôle prédominant dans la détection de la flaveur des aliments qui implique le système de récompense (liking/plaisir à manger et wanting/envie de manger) et dont on connait le rôle majeur dans nos comportements alimentaires. Le problème s’agissant de l'anosmie et de l’agueusie observées chez les patients touchés par une infection à Sars-CoV-2, est qu’on manque de recul quant aux conséquences. Et l’importance des facteurs confondants complique encore les choses : le stress lié à la situation sanitaire actuelle, la diminution de l’activité physique et les changements de régimes alimentaires dus au confinement… Tout cela peut aussi induire à des variations de poids…. Alors, quelle est la part de l’infection ? celle de l’anosmie ? et celle des changements de mode de vie ? On ne sait pas, et l’on se doit d’être prudent. Sans oublier qu’il y a différents profils de patients : entre ceux asymptomatiques et ceux admis en réanimation - et qui, de fait, ont perdu du poids - il y a un gap. Mais si l’on fait un parallèle avec les anosmies et les agueusies observées dans de nombreuses pathologies, en particulier dans les cancers – en cancérologie, 30 à 100% des patients sont touchés - plusieurs études indiquent que ces altérations sont susceptibles d’induire une diminution des apports alimentaires conduisant à un déficit protéino-énergétique et à une perte de poids.

  Quels sont les moyens à notre disposition pour contrer les conséquences nutritionnelles des atteintes olfacto-gustatives ? Je travaille dans un service de gastroentérologie où 42% des patients sont dénutris, notamment du fait d’une altération des sensations hédoniques liées aux stimulations olfacto-gustatives (à côté des facteurs homéostasiques et cognitifs). Pour y remédier, on peut avoir recours au glutamate. Cet exhausteur de goût, largement utilisé par l’industrie agro-alimentaire, présente également un intérêt pour...

les personnes âgées chez qui le vieillissement physiologique des récepteurs du goût et de l’olfaction finissent par altérer la détection des flaveurs et ainsi diminuer le plaisir de manger. On conseillera également de proposer de petites portions d’aliments variés afin de diversifier l’alimentation et contrer le mécanisme de « rassasiement sensoriel spécifique » ou d’« habituation ». On sait en effet que les sensations gustatives diminuent progressivement au cours de l’ingestion… mais qu’elles peuvent être réactivées par l’introduction d’un nouvel aliment. On pourra bien sûr s’appuyer sur les préférences alimentaires.   Certains médicaments sont également responsables de troubles du goût. Quelles sont les classes thérapeutiques concernées ? Les antibiotiques, antidépresseurs, anti-histaminiques et décongestionnants, antinéoplasiques, antipsychotiques. . . De multiples classes thérapeutiques peuvent altérer le goût. Certaines anomalies sont liées au goût du médicament en lui-même, d’autres aux modifications de la salive (anticholinergiques, chimiothérapie), aux altérations des récepteurs (antiseptiques, diurétiques, anticalciques. . .), ou à la neurotransmission (antiparkinsoniens, benzodiazépines). En règle générérale, ces altérations sont réversibles à l’arrêt du traitement.   Au Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation de Dijon, quelles sont les pathologies étudiées ? Elles sont nombreuses car un grand nombre de pathologies induisent des anomalies du goût : les cancers et leurs traitements bien sûr, mais aussi les infections, les insuffisances hépatiques ou rénales chroniques, les maladies endocriniennes de type insuffisance surrénale, diabète, auxquelles on peut associer les syndromes inflammatoires chroniques, les maladies neurodégénératives de type Alzheimer, les syndromes dépressifs… Nous avons récemment conduit une étude (Mouillot T. et al. Journal of renal nutrition, 25 juillet 2020) consacrée au risque de dénutrition, en particulier protéino-énergétique, chez les personnes atteintes d’insuffisance rénale chronique traitées par hémodialyse : entre 30 et 50% des patients sont concernés. Nous avons ainsi observé une modification du système de récompense (liking et wanting) caractérisée par une diminution des envies de consommer des protéines. Et nous avons constaté que ces modifications survenaient à distance des séances d’hémodialyse, et qu’elles étaient corrélées aux taux de certains acides aminés plasmatiques… mais qu’en revanche, immédiatement après la dialyse, les sensations de faim spécifiques pour les protéines étaient ponctuellement restaurées, certainement du fait de l’épuration extrarénale de certains acides aminés accumulés. De quoi recommander, chez ces patients, un apport protéique plus riche après une hémodialyse. En outre, nous conduisons actuellement une étude visant à mieux comprendre les modifications du goût après chirurgie bariatrique, et une deuxième concernant la prise de poids chez les patients appareillés pour un syndrome d'apnées du sommeil… Enfin, nous venons de terminer une étude consacrée là encore à la prise de poids, mais cette fois chez les patients greffés du foie. Le champ à explorer est vaste ! *Le Dr Brondel déclare n’avoir aucun lien d’intérêt

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