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Accès direct aux kinés : "On n’a plus le temps, il faut y aller", plaide la présidente de l’Ordre

Réélue en juillet dernier à la tête du Conseil national de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, Pascale Mathieu est sur tous les fronts. Alors que le Premier ministre a nommé un nouveau Gouvernement, l’élue ordinale entend bien faire avancer les dossiers qui sont sur son bureau, à commencer par l’accès direct aux kinés. Dans un entretien accordé à Egora, la présidente appelle les politiques à cesser les "atermoiements" et à écouter les professionnels du terrain pour améliorer l’accès aux soins. 

26/09/2024 Par Louise Claereboudt
Kiné
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Egora : Un décret paru en juin a acté le lancement de l’expérimentation de l’accès direct aux kinés membres d’une CPTS. Elle était censée démarrer en août. Où en est-on ? Une généralisation est-elle envisageable bientôt ?

Pascale Mathieu : Nulle part. Nous devions avoir un décret qui déterminait les départements, ainsi qu’un arrêté, qui devait obtenir l’avis de la Haute Autorité de santé, ce qui pour moi est assez surprenant car je ne vois pas en quoi la HAS a quelque chose à voir avec les départements. Cet arrêté n’a pas été sorti. Il y a clairement une volonté affirmée du Gouvernement de faire sortir les textes, mais cela coince au niveau du ministère [de la Santé]. C’était déjà le cas avant la dissolution. Peut-être qu’il y avait des réticences, je ne sais pas…

Quoi qu’il en soit, pour le moment, il ne se passe rien. Et je dirais que c’est presque tant mieux parce qu’il faut aller plus loin : on peut sauter le cap de la généralisation. On a déjà depuis plusieurs mois des kinésithérapeutes qui, dans les maisons de santé, sont en accès direct. Cela se passe bien, les remontées du terrain montrent que les kinés s’en emparent. On ne risque rien à généraliser quelque chose qui, de toute façon, se fait à compétences constantes.

Il est indispensable d’avoir quelque chose de lisible car les patients ne s’y retrouvent plus. Ils ont tous entendu dire le Premier ministre Gabriel Attal qu’ils auraient bientôt accès directement aux kinésithérapeutes, mais quand ils demandent aux kinés, ces derniers répondent que ça ne les concerne pas ou que ce n’est pas dans leur département. Je crois qu’il faut arrêter les atermoiements et y aller. On n’a plus le temps. Cela suffit, il faut des réponses.

Certains doutent de l’efficacité d’une telle mesure, constatant que les délais pour obtenir un rendez-vous chez le kiné sont déjà très longs. Quelle est votre réponse ?

Je ne vois pas le rapport avec la problématique. Les kinés étant soumis à la régulation, là où ils sont moins nombreux, il y a aussi un gros problème d’accès aux médecins. Et inversement. Les patients doivent attendre parfois plusieurs semaines avant d’avoir un rendez-vous médical, et de nouveau patienter pour aller voir leur kiné. Court-circuitons cette étape-là. J’appelle également à la pertinence des soins : autonomisons au maximum les patients qui peuvent l’être, quitte à diminuer le nombre de séances dans nos cabinets, pour augmenter notre file active.

À quoi sont dues les réticences qui persistent ?

Il y a, à mon sens, des réticences par méconnaissance et par crainte de l’accès direct. Certains voient cela comme une extension de nos compétences, ce qui n’est pas le cas. Quand on va recevoir un patient en accès direct, on ne posera pas de diagnostic. L’accès direct aux kinésithérapeutes, c’est pour faire de la kinésithérapie, pour débuter la rééducation. Nous ne ferons pas d’actes que nous ne faisons pas aujourd’hui. Si on nous autorisait parallèlement à prescrire des médicaments, des radios, des arrêts de trail… là on serait dans une extension de compétences, et je comprendrais l’inquiétude des médecins… Mais ce n’est pas le cas. L’intérêt est juste de prendre nos patients plus vite, tout en les référant aux médecins en cas de problème - ce que l’on fait déjà d’ailleurs.

Le Cnomk travaille actuellement sur une proposition de loi qui prévoit de changer le nom de la profession. Pourquoi ?

Le Conseil national de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes souhaite depuis de nombreuses années ce changement de nom. Fin septembre 2023, les conseillers nationaux ont voté en faveur d’un changement de dénomination au profit de "kinésithérapeute", supprimant ainsi le terme "masseur" qui le précède actuellement.

La question du changement de dénomination de notre profession trouve son origine dans l’évolution que celle-ci a connue ces dernières années et de la redéfinition de la profession, maintenant définie par des missions de santé publique, et non plus par des actes. Le kinésithérapeute ayant un rôle majeur comme praticien de premier recours, il est nécessaire d’envisager cette modification au regard des évolutions récentes et à venir.

Par ailleurs, la connotation sexuelle du terme "massage", aux yeux de certains hommes, place trop souvent les femmes kinésithérapeutes dans des situations où elles sont confrontées à des remarques déplacées, des insinuations douteuses, voire pire…

Au travers de ce texte, vous souhaitez également faire évoluer la profession…

En 2022, avant l’élection présidentielle, j’avais sollicité des députés pour porter une proposition de loi visant à modifier structurellement l’exercice et la formation initiale. J’avais eu l’accord de plusieurs députés pour rédiger un texte transpartisan, à l’image de ce qui a été fait pour les sages-femmes. Nous en avons parlé avec toutes les instances de la profession, et nous attendions de pouvoir travailler tous ensemble et d’avoir un Gouvernement stabilisé. La dissolution a rebattu les cartes. Le travail initié a finalement été repris par les syndicats, qui ont contacté le député Stéphane Viry [Liot, NDLR], et une proposition de loi a été déposée. Nous continuons néanmoins le groupe de travail que nous avons initié avec l’ensemble des acteurs car ce que nous voulons, c’est un texte qui convienne à tout le monde.

Etes-vous satisfaite qu’un député se soit emparé de la question ?

Je trouve formidable qu’une PPL ait été déposée, d’autant que le député Viry est tout à fait d’accord pour s’inscrire dans la démarche que nous avons initiée. Nous allons lui transmettre ce que nous avons acté lors de nos groupes de travail, sur la formation initiale par exemple. Nous défendons par exemple la bi-appartenance : actuellement, les salariés de la fonction publique hospitalière ne peuvent pas concilier une activité clinique avec une activité de recherche et d’enseignement, il faut changer cela. Il y a bien des choses que nous voulons intégrer dans ce texte et qui font consensus.

Je trouve que la PPL de Stéphane Viry, si intéressante soit-elle, est très restrictive et n’est pas hiérarchisée dans les objectifs. Il faudra la retravailler. Beaucoup de choses n’ont pas été prises en compte : on ne peut pas rénover la kinésithérapie sans rénover la formation… Il faut aussi la rédiger autrement, notamment lorsque l’on parle d’accès direct. Il ne faut plus faire référence à la prescription : les patients en ont une tant mieux, ils n’en ont pas, on peut les prendre quand même.

Le texte prévoit également d’élargir le droit à la prescription. Les kinés pourraient prescrire des médicaments, actes d’imagerie et des arrêts maladie de moins de sept jours… Je crains que cela puisse crisper davantage. On est au-delà d’un périmètre constant de notre action. Je crains que cela génère des tensions chez les médecins… que je comprendrai.

La semaine dernière, vous avez été auditionnée dans le cadre d’une mission d’information sur les inégalités territoriales d’accès aux soins, à l’initiative du sénateur Bruno Rojouan. Quels ont été les sujets évoqués ?

J’étais auditionnée avec les ordres des sages-femmes et des chirurgiens-dentistes. Nous avons d’abord parlé de la coercition, puisque les trois professions que nous représentions avons des contraintes à l’installation. Je ne les rejette pas, mais elles sont à mes yeux mal calibrées. Le zonage tel qu’il est réalisé montre des limites : nous avons des listes d’attente dans des zones que l’Assurance maladie considère comme non prioritaires pour l’accès aux soins. Sans pour autant remettre en cause le zonage, il faudrait faire en sorte que son application ne renforce pas les difficultés partout, ne rende pas déficitaires des zones qu’on pourrait considérer comme correctement dotées. Or, c’est ce qui est en train d’arriver, je le crains, d’après les remontées du terrain.

L’Ordre est particulièrement concerné par ce sujet, parce que cela soulève un problème déontologique. Nous n’arrêtons pas de traiter des litiges entre kinés en raison du zonage dans les zones appelées sur-dotées. Parfois, lorsqu’un collaborateur d’un cabinet s’en va avec son conventionnement et laisse un cabinet avec un professionnel de moins, le cabinet a dû mal à répondre à la demande des patients et ne peut pas avoir un autre professionnel… Nous avons parfois des plaintes, des difficultés d’interprétation des contrats.

Lors de cette audition, nous avons aussi partagé d’autres constats, comme celui que nous avons beaucoup de professionnels d’Europe qui viennent en France. Cela nous convient à condition que la qualité de formation soit au rendez-vous, ce qui n’est pas forcément le cas partout. On pourrait améliorer le système de cette libre circulation.

Enfin, la principale alerte que nous avons portée concerne les instituts de formation privés. Il faut arrêter d’en ouvrir. De notre côté, nous défendons l’intégration de nos instituts à l’université. Autoriser des ouvertures de petites structures privées alors que les étudiants font face à de grandes difficultés financières* est insupportable.

L’avenant 7 à la convention des kinés a acté que les futurs diplômés devront exercer deux ans dans un établissement ou un désert avant de pouvoir être conventionné. Le Cnomk avait déposé une requête face au Conseil d’Etat, qui l’a finalement rejetée. Quels sont vos recours ?

En tant que présidente de l’Ordre, je ne me vois pas commenter une décision du Conseil d’Etat. J’en prends acte. Il y aurait probablement d’autres recours possibles, mais ce serait peut-être aux étudiants de décider d’aller plus loin, devant la CEDH par exemple. Non seulement ils paient leurs études très cher pour certains, mais en plus ils ont des obligations maintenant, c’est de plus en plus difficile pour eux. Nous abandonnons nos étudiants en kinésithérapie, et ça je ne peux pas l’accepter. L’Etat n’est pas au rendez-vous, je le dis parce que je suis convaincue qu’on a un besoin accru de kinésithérapie. Si on était conscient du rôle crucial de la kinésithérapie, on mettrait des études à frais universitaires et on choierait nos étudiants. Actuellement, on les maltraite. Un pays qui n’est pas capable de prendre soin de sa jeunesse et de ses futurs professionnels de santé doit vraiment remettre en question sa politique.

"S’agissant des violences, on ne doit jamais rien accepter"

Vous travaillez par ailleurs à la construction de nouveaux outils pour prévenir et lutter contre les violences commises à l’encontre des kinés. Quelle est la situation actuelle ? Quels leviers pourraient être actionnés ?

Nous avons formé deux kinésithérapeutes élus de l’Ordre. Ils ont passé un diplôme universitaire**. Nous allons accentuer ces formations pour avoir une compréhension de ce que vivent nos professionnels. Les kinés victimes de violence développent une forme de stress post-traumatique, certains nous disent qu’ils ne peuvent même plus aller travailler. L’une des élus qui a passé le DIU a également recueilli et analysé les données provenant de la plateforme de l’Observatoire national des violences en santé (ONVS). En 18 mois, il y a eu 188 signalements. Ce qui est beaucoup car on sait que c’est sous-déclaré. On constate que 60% de femmes font état de violences de toutes sortes : des atteintes aux biens (destruction de matériel, vols), des insultes. Il y a aussi des agressions sexuelles.

Parallèlement, nous avons envoyé un questionnaire à tous les kinésithérapeutes. Nous avons déjà beaucoup de remontées. Cela va permettre d’affiner les points qui devront retenir notre attention.

Ensuite, nous allons mettre en place en 2024 et 2025 des groupes de travail avec des kinésithérapeutes volontaires qui font partie de ceux qui y ont déclaré des violences sur la plateforme ONVS. Nous voulons, à partir de cela, déterminer des outils accessibles à tous les kinés. Il y aura une plateforme en ligne avec des conseils pour aménager le cabinet – ne pas se retrouver coincé derrière son bureau, par exemple – des mises en situation, pour apprendre à mener une désescalade verbale, car cela peut suffire parfois. Il y aura aussi une partie post-agression, comment prendre soin de soi après. J’ai été très choquée d’entendre des jeunes femmes kinésithérapeutes agressées sexuellement par des patients dire ‘oui mais le pauvre, il est vieux’. Il faut signaler, porter plainte, même si c’est une personne âgée ou un patient psychiatrique. On ne doit jamais rien accepter. On aimerait aussi assurer un suivi des kinésithérapeutes ayant subi des violences, ne pas les lâcher dans la nature.

L’été dernier, vous aviez poussé pour la création d’un BOT sur les réseaux sociaux afin de recenser les dérives de l’ostéopathie, l’un de vos nombreux chevaux de bataille. Quelles suites cela pourrait-il prendre ?

Nous allons aller plus loin parce que nous avons des recensements très emblématiques. Une étude scientifique avec des universitaires va être menée dans une clinique chirurgicale pour recueillir des données objectives des manipulations ostéopathiques ayant conduit à des dommages nécessitant une intervention chirurgicale. L’outil est en train d’être élaboré. Si on arrive à avoir des données probantes, les pouvoirs publics pourront s’emparer du dossier de façon bien plus volontariste que ce qui a été fait jusqu’à maintenant. Car ce qui n’est pas déclaré est invisible. À l’heure où on a tendance à vouloir intégrer de plus en plus les médecines parallèles/complémentaires/alternatives, etc., il est temps d’objectiver et de mettre l’exécutif devant ses responsabilités. 

* Selon la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie, en moyenne, les apprentis kinés doivent débourser 6 701 euros pour leur année universitaire. Une hausse de 2,8% par rapport à 2023.

** DIU "Soigner les soignants". 

Pensez-vous que l'accès direct aux IPA et kinés permettra d'améliorer l'accès aux soins ?

Karine Ruatta

Karine Ruatta

Non

Je ne pense pas que cela soulage quiconque : les paramédicaux ont énormément d’attente. Je suis orthophoniste, je travaille essen... Lire plus

17 commentaires
12 débatteurs en ligne12 en ligne
Photo de profil de Michèle Lacharme
606 points
Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 2 mois
Vraiment n'importe quoi. Même avec une ordonnance, impossible d'obtenir un rendez-vous chez le kiné ! Les patients dans ma petite ville de 30000 habitants se heurtent à des refus " nous ne prenons pas
Photo de profil de Romain L
14,2 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 2 mois
Il faudra m'expliquer l'origine de cet empressement à déréguler l'accès à la kinésithérapie. Dire qu'il y a un problème d'accès à la kinésithérapie parce qu'il y a un problème d'accès au médecin, c'e
il y a 2 mois
Je vous rassure, la majorité des kinés se fichent d’avoir un accès direct plus source de problèmes que d’avantages. La proposition a été demandée par la députée et rhumatologue Dre Rist, et les CNO e
 
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