Lors de la conclusion du Ségur de la santé le 21 juillet dernier, Olivier Véran a promis que le futur service d’accès aux soins (SAS) serait lancé à la fin de l’année, faute d’avoir pu être mis en place au début de l’été, en raison de la crise sanitaire. Un délai qui semble cependant optimiste tant il reste encore quelques questions épineuses à trancher, une négociation conventionnelle entre l’Assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux à boucler, et sachant que les expérimentations n’ont pas encore vraiment commencé. Annoncé en septembre 2019, au titre de l’une des mesures du Pacte pour la refondation des urgences, le SAS a été défini comme "un service universel, accessible par téléphone et en ligne et reposant sur un partenariat entre professionnels hospitaliers et libéraux". Premier objectif : désengorger les urgences, où le nombre de passages a doublé en vingt ans (de 10 à 21 millions de recours par an). Or, selon les données présentées par l’Assurance maladie aux syndicats, 43 % des passages aux urgences relèveraient d’une prise en charge en ville, dont 29 % par un médecin généraliste sans nécessité d’un plateau technique. En outre, on sait maintenant que le problème de l’engorgement semble plutôt se poser durant la journée : les trois quarts des passages aux urgences ont lieu entre 8 h et 20 h en semaine, avec des pics en début de matinée et d’après-midi. PDSA et SAS Dans ce contexte, il ne semble pas question, pour l’instant, de remettre en cause le fonctionnement de la permanence des soins ambulatoires (PDSA). "Nous avons une PDSA qui fonctionne et dont le statut et les horaires sont fixés par la loi, rappelle le Dr François Simon, président de la section d’exercice professionnel du Conseil national de l’Ordre des médecins. Les horaires pourront éventuellement bouger. En revanche, il faut que le dispositif actuel de la PDSA et celui du futur SAS soient harmonisés mais restent distincts." Une position partagée par les syndicats de médecins libéraux qui sont tous aujourd’hui, à peu près, sur la même ligne concernant ce dossier.
"Le SAS a pour but d’organiser une réponse aux demandes de soins durant la journée, de 8 h à 20 h, s’articulant avec la PDSA qui fonctionne en soirée et le week-end aux heures de fermeture des cabinets, écrivaient en septembre, dans un communiqué commun, la CSMF, la FMF, le SML et MG France. Il est inutile de remettre en cause, à cette occasion, les organisations de PDSA en fonctionnement, sauf à vouloir retarder durablement la création du SAS." En revanche, ils voudraient bien en profiter pour voir aboutir une revendication ancienne : l’intégration du...
samedi matin aux horaires de la PDSA. "Pour nous, le prérequis est d’intégrer le samedi matin dans la PDS ambulatoire et le samedi entier dans la PDS en établissement car, aujourd’hui, quand nous faisons des gardes en cliniques le samedi, nous ne sommes pas payés", insiste le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. En outre, pour MG France, les horaires de la PDSA durant la soirée devraient se limiter à la tranche de 18 à 22 h car c’est dans ce créneau que se concentrent, de fait, les appels. Quant à la négociation entre l’Assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux, qui a débuté le 17 septembre dernier pour théoriquement s’achever fin novembre, elle a notamment pour but de trouver les moyens de valoriser l’engagement des médecins dans les soins non programmés. Celui-ci peut passer par les CTPS, même si ces structures sont encore évidemment trop peu nombreuses actuellement pour mailler l’ensemble du territoire. À l’instar de la PDSA, les médecins libéraux pourront être régulateurs des soins non programmés et/ou effecteurs. "La mesure et la valorisation du service effectivement rendu par les médecins libéraux seront nécessaires", a admis la Cnam, en entrée de négociation, faisant état de son souhait d’un "financement au résultat". C’est le premier point d’achoppement avec les syndicats, qui privilégient des mécanismes classiques de majoration. MG France réclame ainsi une majoration spécifique de 15 euros pour les médecins généralistes acceptant de recevoir des patients dans le cadre du service d’accès aux soins. La CSMF pose la même revendication. "Le soin non programmé doit pouvoir bénéficier d’un supplément, qu’il s’agisse d’une consultation ou d’une visite à domicile, précise Jean-Paul Ortiz. Par ailleurs, lorsqu’une organisation implique qu’un certain nombre de médecins se mettent à disposition de la population sur des créneaux dédiés à des soins non programmés, il faut que ceux-ci puissent toucher une astreinte."
Numéro d’appel unique ? Comment les patients accéderont-ils à ces soins non programmés lorsque leur médecin traitant ne peut pas les recevoir ? Pour ne pas transposer à la ville les difficultés d’engorgement des urgences, tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le fait que cet accès doit être régulé médicalement.
"Il est indispensable d’offrir à chacun un service simple et lisible pour accéder, à toute heure et à distance, à un professionnel de santé qui lui fournira un conseil, une téléconsultation, du télésoin, une orientation vers une consultation sans rendez-vous ou, lorsque cela s’avère nécessaire, un service d’urgence, ou provoquera l’intervention d’un Smur, préconisaient en décembre dernier le député LREM Thomas Mesnier et le Pr Pierre Carli, président du Conseil national de l’urgence hospitalière, dans leur rapport sur le Pacte de refondation des urgences. Les centres de réception et de régulation des appels le font déjà partiellement. Il faut créer avec l’ensemble des professionnels concernés un nouveau concept d’accès aux soins."> Sans surprise, la vieille pomme de discorde sur la question d’un numéro d’appel unique pour les soins non programmés et les urgences a refait surface, d’autant...
qu’elle ne semble pas politiquement tranchée à ce jour. "L’organisation et la régulation des appels doivent être faites par les médecins généralistes libéraux, insiste le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. Ce n’est pas au Samu de répondre à notre place." Le message semble avoir été entendu, en partie, du côté de l’hôpital. "Le SAS devra être une porte d’entrée unique pour tout problème de santé aigu non programmé si le patient n’arrive pas à joindre directement son médecin traitant, estime le Dr François Braun, président de Samu- Urgences de France. Le dispositif aura deux composantes : l’une numérique, sous la forme d’un annuaire de l’offre de soins, et l’autre, un accès téléphonique. Pour nous, idéalement, il s’agirait d’un numéro de téléphone commun avec un décroché en moins de trente secondes par un assistant de régulation médical, qui est un professionnel formé pour cette mission et qui pourra orienter le patient vers la filière qui traitera sa demande de la façon la plus approprié : la médecine libérale ou le Samu. La notion de numéro unique me semble importante, mais ce n’est pas pour autant qu’on doit supprimer les numéros existants dans l’immédiat." À l’inverse, les médecins libéraux estiment, quant à eux, que le SAS devra s’appuyer sur une plateforme de régulation des appels, avec un numéro d’appel dédié comme le 116 117 qui a déjà été expérimenté dans quatre régions pour la PDS, "pilotée par des médecins libéraux, associant des opérateurs de soins non programmés et des médecins généralistes d’astreinte exerçant en dehors du centre 15 ». Le compromis ne semble toutefois pas complètement impossible à trouver puisqu’on peut imaginer que les patients puissent accéder directement à la plateforme libérale ou être rebasculés vers elle par l’assistant de régulation médicale s’ils appellent le numéro commun. "Nous voulons un numéro distinct du Samu et qui soit le même pour toute la France, martèle le Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF. Il faut que cette organisation ne soit pas uniforme et s’adapte à ce qui existe déjà sur le terrain. La régulation devra pouvoir être déportée au domicile ou au cabinet du médecin pour que celui-ci n’ait pas à se déplacer à un point unique dans le département et il devra être évidemment à la fois être rémunéré correctement pour cette astreinte et également assuré convenablement. Dans tous les cas, la gouvernance doit rester libérale, et nous ne voulons pas non plus que ce dispositif puisse être géré par des grosses plateformes commerciales comme ce qu’on commence à voir pour la télémédecine par exemple." Beaucoup de choses restent donc encore à caler. C’est pourquoi la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a lancé en août dernier un appel à candidatures en vue d’expérimentations, qui s’est clôturé au 30 septembre. Le ministre devrait choisir les candidats d’ici au 15 octobre. L’évaluation des expérimentations se déroulera en 2021 en vue, enfin, d’une généralisation du SAS au début de l’année 2022 sur tout le territoire. Le Dr Laurent Bréchat, médecin généraliste à la MSP d’Avoine en Indre-et-Loire, qui a participé au groupe de travail du ministère de la Santé, se veut aujourd’hui...
résolument optimiste : "Le SAS va faire partie d’une restructuration complète de la gestion des soins non programmés. Cela va nécessiter une information et une éducation de la population pour savoir comment on utilise le système de soins. Par ailleurs, alors que pendant tout le XXe siècle, la réponse était pensée comme la réponse individuelle d’un médecin à sa patientèle, aujourd’hui, on doit raisonner en termes de réponse populationnelle sur tout un territoire. On peut mettre tous les numéros qu’on veut, s’il n’y a pas, à côté de cela, des moyens pour réorganiser la demande de soins non programmés sur le territoire, on va dans le mur." Une petite révolution, en somme, mais qui pourrait à terme faciliter l’exercice des généralistes au quotidien.
Il serait injuste de rejeter la faute de l’engorgement des urgences sur les médecins généralistes, qui prennent leur part dans les demandes de soins non programmés. Une étude de la Drees l’a prouvé en janvier dernier* : 8 généralistes sur 10 déclarent organiser leur activité afin de prendre en charge quotidiennement ces demandes, en proposant, par exemple, des plages de consultation sans rendez-vous ; plus de la moitié des cabinets offrent une prise en charge des soins non programmés en permanence ; et lorsqu’ils ne peuvent pas y répondre, la moitié orientent vers le secteur libéral, et un quart vers les services d’urgence. Il reste que, face au déclin de la démographie médicale, la nécessité de s’organiser le plus efficacement possible est aujourd’hui cruciale.
Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) détiennent une partie de la réponse. En effet, celles-ci se sont vu assigner dans leurs missions premières l’accès à des soins non programmés et à un médecin traitant si elles veulent pouvoir bénéficier de financements de l’Assurance maladie. Actuellement, sur les 31 CPTS qui ont déjà signé l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI), 19 ont commencé à mettre en place des outils pour répondre aux demandes. Ainsi, la CPTS Val de Sambre à Maubeuge, dans le Nord, a créé une ligne téléphonique dédiée et un planning de médecins volontaires les après-midis et le samedi matin à l’aide d’un agenda partagé en lien avec la maison médicale de garde. La CPTS de Metz a aussi étendu des horaires de cabinets de garde, avec des possibilités de téléconsultation entre 18 h et 20 h et le samedi matin, et mis en place un numéro unique pour orienter les patients vers les cabinets de ville pour éviter le recours aux urgences. Elle utilise aussi un outil numérique mis à disposition du centre 15 pour faire le lien avec les disponibilités des médecins de ville.
"Dans le cadre de la PDS, trouver des effecteurs, c’est facile, car il y a le tableau de garde de l’Ordre, explique le Dr Alain Prochasson, généraliste à Metz, président de l’Association départementale de permanence des soins de Moselle, qui a participé au groupe de travail du ministère sur le SAS. Mais en journée, il n’y avait, pour l’instant, rien de tel. C’est pourquoi dans le cadre d’un contrat entre l’ARS Grand Est et l’URPS des médecins libéraux, nous avons décidé d’expérimenter dans le Bas-Rhin et la Moselle l’outil numérique Entr’Actes créé par un médecin dans l’Essonne [Dr Philippe Paranque, NDLR]. Depuis fin 2018, une centaine de médecins y participent au niveau de notre CPTS."
En cas de besoin de soins non programmés, le centre 15 peut envoyer une notification à un ou plusieurs médecins inscrits en indiquant la demande du patient et ses coordonnées. Une notification reçue directement sur le smartphone et à laquelle ils peuvent répondre s’ils sont disponibles. "L’enjeu aujourd’hui au niveau conventionnel est de trouver des incitations pour les médecins à participer à ce dispositif pour que le panel d’effecteurs soit le plus large possible, estime Alain Prochasson, également membre du bureau de la CSMF. Mais on peut espérer que la mise en place du SAS boostera ce dispositif."
* « Plus de 8 médecins généralistes sur 10 s’organisent au quotidien pour prendre en charge les soins non programmés », Drees, janvier 2020.
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